par Marie-Dominique Trébuchet, docteur en théologie, bénévole en soins palliatifs, dans La Croix du 23 décembre 2014.
Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie . Pourquoi cet ouvrage d’un médecin belge, au titre provocateur, a-t-il été publié en France au moment même où une mission du gouvernement sur la fin de vie est en cours ? Préfacé par Véronique Margron, religieuse, postfacé par Gabriel Ringlet, prêtre, le récit-témoignage du docteur Corinne Van Oost est-il destiné à nous ouvrir à « la complexité du réel » (lire La Croix du 15 septembre) et à nous donner l’occasion de réfléchir ? Qu’il nous soit permis d’en douter à la lecture de cette affirmation claire et sans appel qui conclut un court chapitre sur l’interdit de tuer : « Je pense désormais qu’une société qui admet l’euthanasie est une société qui a gagné en humanité » (p. 83). « Médecin catholique », l’affirmation du docteur Van Oost est claire et l’objectif l’est tout autant : s’exprimer en tant que médecin catholique en faveur de l’euthanasie, interpeller les chrétiens et l’Église. L’identité catholique de l’auteur détermine sa décision d’écrire, son jugement moral sur l’acte euthanasique et sa décision de le pratiquer.
De nombreux catholiques m’ont dit avoir été choqués par les choix du docteur Van Oost et leur justification par la foi au Christ, mais comment exprimer son désarroi à la lecture de l’ouvrage ? C’est en leur nom, en théologienne qui étudie ces questions et en bénévole engagée depuis dix ans auprès des personnes qui meurent, que je m’exprime. La question est la suivante : peut-on, au nom d’une conscience éclairée (p. 87), agir comme si on était maître de la vie et de la mort ? Si la foi chrétienne a nourri le discernement de l’auteur, participé à l’élaboration de sa position éthique, comment, en définitive, peut-elle servir à légitimer sa pratique « d’homicide par compassion » (p. 80), alors que nombreux sont ceux qui puisent dans la foi les ressources pour accompagner sans jamais se substituer à Dieu ?
Mme Van Oost donne l’impression de vouloir à tout prix légitimer l’illégitime, de nier le mal, tout en reconnaissant « le seconder » et collaborer à « sa puissance ». Elle reconnaît ainsi « avoir le sentiment de tuer » , mais affirme que « dans l’euthanasie ce n’est pas moi qui tue mon patient, c’est la maladie ». Mais alors pourquoi donc s’interroger sur l’euthanasie ? On comprend finalement que le « partage de la souffrance » (mais la souffrance se partage-t-elle ?) la conduit à poser, selon ses termes, des gestes d’amour pour « témoigner de Dieu et de sa compassion pour l’homme » (p. 83). Le témoignage est difficilement recevable tant est confuse la manière dont l’auteur tente de se justifier en se référant à l’Écriture, à l’exemple du Christ en proie à la détresse devant la mort, et à la compassion de Dieu.
Rappelons ici deux choses : la première est que Dieu ne nous réclame nulle souffrance en participation à celle du Christ ; la seconde est que Jésus n’accepte pas le mal, n’y coopère pas : Il l’anéantit par le don de sa vie. Depuis le Christ et avec lui, tout homme peut croire que Dieu l’accompagne dans l’épreuve du dépouillement et de la souffrance, sans jamais l’abandonner.
Cherchant dans l’Écriture des attitudes qui vont inspirer les siennes, le chrétien doit aussi se laisser guider par les pratiques ecclésiales, spirituelles et éthiques. De ce point de vue, on ne peut laisser écrire que l’Église se contente de discourir ou d’énoncer des « positions très tranchées ». Avec d’autres, l’Église cherche les meilleurs chemins d’humanisation pour l’être humain ; avec d’autres, elle est au chevet de l’abandonné ; pour tous elle déploie un témoignage de fidélité au Fils de Dieu, réduit à rien sur la Croix et reconnu pleinement homme dans cette dépossession de luimême. L’Église n’a pas de « position » en dehors de celle d’être un corps, composé de femmes et d’hommes qui se laissent façonner par le Christ afin d’aiguiser leur perception morale, et d’être ainsi en mesure de distinguer les pratiques qui respectent l’humain de celles qui menacent de le faire disparaître. Face à la question du docteur Van Oost : « Qui étais-je pour lui refuser la mort ? » (p. 25), répondons ceci : l’être humain, créé à l’image du Dieu compatissant, ne devrait-il pas toujours se demander : « Qui suis-je pour donner la mort ? » .