Vu de ma fenêtre. Compatir, oui ! Mais transformer en nouveau catéchisme les valeurs portées par “Charlie Hebdo”, jamais !
L’autre dimanche, je ne suis pas allé manifester. Pourtant j’ai compati autant que d’autres au sort des victimes du fanatisme. J’admire rétrospectivement le courage des journalistes de Charlie Hebdo. Ils se savaient menacés depuis des années et n’ont pas voulu taire ou feutrer leurs humeurs, leurs allergies, leur sensibilité politique. Mais je ne suis pas assez faux derche pour aller défiler dans un océan de panneaux “Je suis Charlie” alors que je n’ai aucune sympathie pour ce journal.
Tout me hérisse : son esthétique, sa dérision, son manichéisme, sa veine scato, la violence de son anticléricalisme, ses partis pris idéologiques. À tort ou à raison, je l’inclus dans cette dérive nihiliste, héritée de Mai 68, qui en dépréciant les ancrages du peuple français a engendré une génération d’individus acculturés et immatures, voués à l’idolâtrie de leur ego.
En tant que plumitif occidental, je suis attaché à la “liberté d’expression”, souvent à mon coeur défendant et sans la diviniser. Celle de Charlie Hebdo bien évidemment. Mais au même titre celle de Finkielkraut, de Zemmour, de Millet, de Camus, de Redeker, de Houellebecq. Or, dans la mouvance incarnée entre autres parCharlie Hebdo, et relayée par la doxa médiatique, on a diabolisé ces auteurs avec le mépris glacial du pharisien.
Je n’ai pas de mépris pour Charlie Hebdo. Pourtant, c’est peu dire que mes goûts et couleurs n’y trouvent pas leur compte de beauté, de subtilité, de spiritualité, de civilité, de ludisme. De tolérance. De délicatesse. De pudeur. Je ne suis pas Charlie et ma présence dans la manif eût été indécente. Du reste, la prise en otage d’une émotion populaire sincère et de bon aloi par une classe politique en quête exclusive de gains dans les sondages relevait d’une tartufferie peu reluisante.
Sa théâtralisation mondialisée, société de spectacle oblige, mêlait dans le cortège “people” des dignitaires d’États plus ou moins de mèche avec le terrorisme islamique, le condominium des anti-Poutine derrière Juncker, des sympathisants du Hamas, des anciens sectateurs du Che ou d’Arafat, des anticléricaux à la mode de 1905 dont l’hostilité à l’islamisme maquille en laïcisme radical une haine récurrente du catholicisme. Des sexas gauchistes faisant l’apologie de la police en entonnant la Marseillaise : ce recyclage tardif et laborieux dans le cocardisme eût sûrement inspiré la verve des caricaturistes de Charlie Hebdo. Je n’ai pas la mémoire assez courte pour avoir oublié les crimes d’Action directe et l’idolâtrie du juge Pascal dans certains médias.
Les unanimités d’ordre compassionnel ont généralement la vie brève. Mes amis, mes proches qui ont défilé ici ou là et de bonne foi m’ont tous affirmé qu’ils y avaient trouvé du réconfort. Soit. En lisant la presse écrite, en écoutant les radios, en regardant les chaînes d’info en continu, j’ai cru percevoir par-delà la récupération politicienne une visée sournoisement idéologique.
Comme si le slogan “Je suis Charlie” prenait le relais de “Jouir sans entraves”, de “CRS SS”, d’“Il est interdit d’interdire” et de “Touche pas à mon pote”.
Slogans dont on sait à présent dans quel état mental et moral ils ont contribué à mettre la société française. Je ne suis pas Charlie et tant pis si cette irrégularité me vaut l’excommunication du clergé bobogaucho. Son fondamentalisme n’ayant jamais fait dans la nuance, ses incantations aux “valeurs républicaines” promettent un surcroît de sectarisme plutôt qu’un sursaut de notre pays. En tout cas, elles ne pèseront pas lourd dans les coeurs d’une jeunesse qui aurait besoin d’idéaux dignes de l’appellation, et non de placebos éculés.