Dites-moi en face que je n’aurais jamais dû vivre !

Témoignage sur l’avortement, par Rebecca Kiessling

sur le site de France Catholique

J’ai quasiment été adoptée à ma naissance. à 18 ans, j’ai appris que j’avais été conçue lors d’un viol sous la menace du couteau d’un violeur en série. Comme la plupart des gens, je n’avais jamais considéré que l’avortement concernait ma propre vie, mais lorsque j’ai reçu cette information, j’ai réalisé tout à coup, que non seulement cela concernait ma vie mais que cela avait même à faire avec mon existence. C’était comme si je pouvais entendre les échos de tous ces gens, qui avec les tons de voix des plus sympathiques diraient «  Bien entendu, excepté dans les cas de viol…  » Ou qui s’exclameraient avec un dégoût plutôt fervent  : «  En particulier dans les cas de viol  !!!  » Tous ces gens sont là qui ne me connaissent même pas mais qui se lèvent en jugement de ma vie, si prompts à la rejeter tout simplement à cause de la façon dont j’ai été conçue. J’ai ressenti que j’avais dès lors à justifier ma propre existence, que j’aurai à me prouver vis-à-vis du monde que je n’aurais pas dû risquer d’être avortée et que j’étais digne de vivre. Je me souviens de m’être sentie comme une ordure à cause des gens qui diraient que ma vie était comme une ordure – dont on pouvait disposer. S’il vous plaît, comprenez qu’à chaque fois que vous vous identifiez comme étant pro choix ou qu’à chaque fois que vous faites cette exception pour le viol, cela se traduit en réalité par le fait que vous êtes capable de vous tenir devant moi, de me regarder dans les yeux et de me dire : «  Je pense que votre mère aurait dû pouvoir vous avorter.  ». C’est une affirmation qui a un impact considérable. Je ne dirai jamais quelque chose comme ça à qui que ce soit. Je ne dirai jamais à quelqu’un : «  Si j’avais pu intervenir, tu serais déjà mort.  » Pourtant, c’est la réalité avec laquelle je vis. Je défie quiconque de me décrire comment ce ne serait pas le cas. Ce n’est pas comme si les gens disaient «  Oh bien sûr, je suis pro-choix excepté pour cette petite fenêtre d’opportunité en 1968/69 afin, que toi, Rebecca, puisse être née.  » Non – c’est la réalité cruelle de cette position, et je peux vous dire que cela fait mal et que c’est mesquin.

Mais je sais que la plupart des gens ne mettent pas un visage sur ce sujet. Pour eux, c’est juste un concept — un cliché expéditif qu’ils balaient sous le tapis et qu’ils oublient. J’espère qu’en étant un enfant du viol, je peux aider à donner un visage et une voix à ce sujet.

J’ai souvent eu affaire à ceux qui se confrontent à moi et essaient finalement de me renvoyer avec de brefs sarcasmes du style «  Eh bien, tu as eu de la chance  !  » Soyez sûrs que ma survie n’a rien eu à voir avec la chance. Le fait que je sois vivante aujourd’hui est corrélé aux choix qui avaient été posés par notre société en son entier, ceux des gens qui s’étaient battus pour être sûrs que l’avortement soit illégal au Michigan à cette époque — même dans les cas de viol — des gens qui argumentaient pour protéger ma vie et des gens qui votaient pro-vie. Je n’ai pas eu de la chance  : j’étais protégée. Et vous voudriez vraiment rationaliser que nos frères et sœurs qui sont avortés quotidiennement sont «  malchanceux  » quelque part  ?

Bien que ma mère de naissance ait été enchantée de faire ma connaissance, elle m’a dit pourtant qu’elle était allée en fait voir deux avorteurs clandestins et que j’avais été presque avortée. Après le viol, la police l’avait dirigée vers un conseiller qui lui avait dit en substance que l’avortement était ce qu’il fallait faire. Elle m’a dit qu’à cette époque, il n’y avait pas de centres pour les difficultés lors de la grossesse, mais ma mère de naissance m’a assuré que s’il y en avait eu, elle s’y serait rendue pour avoir au moins un peu plus de conseil. Le conseiller est celui qui l’a mise en contact avec les avorteurs clandestins. Pour le premier, elle dit qu’il s’agissait des conditions typiques de la clandestinité dont vous entendez parler pour justifier le fait «  qu’elle aurait dû pouvoir m’avorter en sécurité et légalement  » — du sang et de la saleté partout, sur la table et le sol. Ces conditions et le fait que ce soit illégal l’ont conduite à se désister comme pour la plupart des femmes. Ensuite, elle fut mise en relation avec un avorteur plus coûteux. Cette fois-là, elle devait rencontrer quelqu’un de nuit à proximité de l’Institut des Arts de Détroit. Quelqu’un l’aborderait, l’appellerait par son nom, lui mettrait un bandeau sur les yeux, l’installerait sur le siège arrière d’une auto, l’emmènerait et alors l’avorterait… puis lui remettrait le bandeau et la déposerait. Et savez-vous ce que je trouve tellement pathétique  ? C’est que je sais qu’un grand nombre de personnes ici et là, m’entendant décrire ces conditions, réagiraient en secouant pitoyablement la tête pour exprimer leur dégoût  : «   C’est vraiment affreux que votre mère de naissance ait dû passer par ça afin de pouvoir être capable de vous avorter  !  » Comme si c’était de la compassion  ?  ! Je réalise pleinement qu’ils pensent qu’ils sont remplis de compassion mais leur cœur est plutôt incroyablement sec dans ma perspective, ne pensez-vous pas  ? C’est de ma vie dont ils discutent aussi durement et il n’y a aucune compassion dans cette position. Ma mère de naissance va bien — sa vie a continué et en fait, elle est super mais j’aurais été tuée, ma vie se serait terminée. Je peux ne pas ressembler à ce que j’étais à 4 ans ou à 4 jours d’existence dans le ventre de ma mère, mais c’était toujours et indéniablement moi et j’aurais été tuée par un avortement. D’après les recherches du Dr David Rear­don, directeur de l’Institut Elliot, co-éditeur du livre Victims and Victors  : Speaking Out About Their Pregnancies, Abortions and Children Resulting From Sexual Assault, et auteur de l’article Rape, Incest and Abortion  : Searching Beyond the Myths (Viol, inceste et avortement  : Aller plus loin que les mythes), la plupart des femmes qui tombent enceintes suite à une agression sexuelle ne veulent pas d’avortement et en fait vont plus mal après un avortement. Ce qui signifie que la position de la plupart des gens sur les cas de viol se fonde sur des prémisses défectueuses  : 1) la victime du viol voudrait un avortement ; 2) elle irait mieux avec un avortement ; 3) que la vie de l’enfant ne vaut pas la peine qu’elle poursuive sa grossesse. J’espère que mon histoire et les autres histoires postées sur ce site www.rebeccakiessling.compourront contribuer à dissiper ce dernier mythe.

Je souhaiterais pouvoir dire que ma mère de naissance figurait parmi la majorité des victimes et qu’elle ne voulait pas m’avorter, mais elle avait été convaincue de faire autrement. Cependant, l’attitude désagréable et les propos grossiers du second avorteur clandestin ainsi que la peur pour sa propre sécurité l’ont fait renoncer. Quand elle lui a dit au téléphone qu’elle n’était pas intéressée par cet arrangement risqué, ce docteur de l’avortement l’a insultée et l’a traitée de tous les noms. à sa surprise, il l’a rappelée le lendemain pour essayer de la convaincre de m’avorter encore une fois, elle a refusé de nouveau et fut injuriée. Alors, après tout cela, elle ne pouvait plus continuer. Ma mère de naissance abordait le second trimestre — bien plus dangereux et bien plus coûteux pour me faire avorter. Je suis tellement reconnaissante que ma vie ait été épargnée. Mais beaucoup de chrétiens bien intentionnés me diront des choses du style  : «  Oui, tu vois, Dieu voulait vraiment que tu sois là  !  » D’autres diront encore  : «  Il fallait que tu sois là  ». Mais je sais que Dieu a l’intention que chaque enfant à naître reçoive la même opportunité de naître et je ne peux pas m’asseoir béatement et dire  : «  Eh bien, ma vie aura au moins été épargnée  » ou «  Je l’ai mérité. Regardez ce que j’ai fait de ma vie  ». Des millions d’autres ne l’ont pas pu  ! Pouvez vous rester là et dire «  Au moins, pour ma part j’ai été désiré(e)… au moins je suis en vie…  » ou juste «  Et alors  ?  » Est-ce là réellement la sorte de personne que vous voulez être  ? Une façade de compassion à l’extérieur, mais une froideur de marbre et du vide à l’intérieur  ? Prétendez-vous vous soucier des femmes mais n’avoir rien à faire avec moi parce que je suis un rappel de ce que vous ne préféreriez pas voir en face et que vous détesteriez aussi de voir pris en considération par d’autres que vous  ? Est-ce que je ne trouve pas de place dans votre agenda  ? En faculté de Droit, j’ai eu aussi des camarades de classe qui m’ont dit des choses comme  : «  Bof  ! Si tu avais été avortée, tu ne serais pas là aujourd’hui et tu ne saurais pas la différence de toute façon, alors qu’est ce que ça peut faire  ?  » Croyez-le ou non, mais certains des philosophes de l’avortement des plus connus utilisent le même type d’argumentation  : «  Le fœtus ne sait jamais ce qui lui arrive, alors il n’y a pas de fœtus qui va regretter sa vie.  » Donc, je suppose que tant que vous poignardez quelqu’un dans son sommeil, ça va très bien, parce qu’il ne sait pas ce qui lui arrive  ?  ! J’ai expliqué à mes camarades de classe comment leur propre logique justifierait «  que je puisse les tuer aujourd’hui, parce qu’ils ne seraient pas là demain et qu’ils ne pourraient pas savoir la différence de toute façon, alors qu’est ce que ça peut faire  ?  » Et ils restaient bouche bée. C’est étonnant ce qu’un peu de logique peut faire quand vous réfléchissez vraiment à ce sujet — comme nous étions supposés le faire en cours de droit — et considérez le véritable sujet de conversation : Il y a des vies qui ne sont pas là aujourd’hui parce qu’elles ont été avortées. C’est comme le vieux dicton  : «  Si un arbre tombe dans la forêt, et que personne n’est là pour l’entendre, est-ce que ça fait un bruit  ?  » Oh oui  ! Et si un bébé est avorté et que personne d’autre n’est là pour le savoir, est ce que cela est important  ? La réponse est : «  OUI  ! Leur vie est importante. Ma vie est importante. Votre vie est importante  » et ne laissez personne vous dire le contraire  !

Le monde est un endroit différent de ce qu’il aurait pu être parce qu’il était illégal pour ma mère de naissance de m’avorter alors qu’elle était enceinte. Votre vie est différente parce qu’elle ne pouvait pas m’avorter légalement parce que vous êtes assis à entendre mes mots aujourd’hui  ! Mais vous n’avez pas besoin d’avoir un impact sur des audiences pour que votre vie importe. Il y a quelque chose que nous manquons tous aujourd’hui à cause des générations actuelles qui ont été avortées et cela importe.

Une des choses les plus épatantes que j’ai apprise est que le violeur N’est PAS mon créateur comme certaines personnes aimeraient que je le croie. Ma valeur et mon identité ne sont pas établies en tant que «  produit de viol  » mais en tant qu’enfant de Dieu. Le psaume 68-5, 6 affirme  : «  Père des orphelins… c’est Dieu dans son lieu de sainteté. Dieu donne à l’isolé le séjour d’une maison.  » Et le psaume 27,10 : « Si mon père et ma mère m’abandonnent, le Seigneur m’accueillera  ». Je sais qu’il n’y a pas de honte à être adoptée. On nous dit dans le Nouveau Testament que c’est dans l’esprit d’adoption que nous sommes appelés enfants de Dieu par le Christ notre Seigneur. Alors, Il a dû avoir une très haute idée de l’adoption pour utiliser cette image de Son amour pour nous  !

Mais ce qui est plus important, j’ai appris, je serai capable d’apprendre à mes enfants et j’apprends à d’autres que votre valeur ne se fonde pas sur les circonstances de votre conception, sur vos parents, sur votre fratrie, votre compagnon, votre maison, vos vêtements, votre apparence, votre Q.I., vos notes, vos performances, votre argent, votre occupation, vos succès ou échecs, ou vos capacités et handicaps — ce sont des mensonges qui sont perpétrés dans notre société. C’est un fait que, les conférenciers les plus motivants disent à leurs auditeurs que s’ils pouvaient juste faire quelque chose d’eux-mêmes et atteindre un certain standing sociétal, alors ils pourraient être eux aussi «  quelqu’un  ». Mais le fait est que personne ne peut atteindre ces standards ridicules et que beaucoup de gens en resteront incroyablement loin et alors, est-ce que cela signifie qu’ils ne sont pas «  quelqu’un  » ou qu’ils sont des «   rien du tout  »  ? La vérité est que vous n’avez pas be­soin de prouver votre valeur à quiconque et si vous voulez réellement connaître votre valeur, tout ce que vous avez à faire c’est regarder la Croix — parce que c’est le prix qui a été payé pour votre vie  ! C’est la valeur infinie que Dieu a investie pour votre vie  ! Il pense que vous avez beaucoup de valeur et moi aussi. Ne voulez-vous pas vous joindre à moi pour affirmer la valeur des autres aussi, en parole et en action  ? Pour ceux qui parmi vous diraient «  Eh bien, je ne crois pas en Dieu et je ne crois pas en la Bible alors je suis pro-choix  » je vous recommande de lire mon essai Le droit de l’enfant à naître à ne pas être injustement tué, une philosophie de l’approche des droits. Je vous assure que vous ne gaspillerez pas votre temps.

 

Une réflexion sur « Dites-moi en face que je n’aurais jamais dû vivre ! »

  1. PRUDENCE
    Je viens de lire ce témoignage avec attention . Aussi troublant et aussi douloureux que soit ce témoignage , en aucun cas un viol ne peut être cautionné . Ceci dit , il n’y a que la personne concernée qui pourra décider pour elle-même et l’enfant à venir , tout en se faisant aider .
    J’ai eu connaissance d’une histoire de vie : une dame qui s’est fait violée à 20 ans , a eu une fille , à cet époque l’avortement n’était pas autorisé en France . Cette dame ne s’est jamais mariée , elle a toujours dit à sa fille qu’elle était née d’une belle histoire d’amour . Quelques jours avant de mourir , cette dame a dit la vérité à sa fille . La fille a remercié sa mère de l’avoir préservée , mais elle m’a dit qu’elle aurait préféré que sa mère ne lui dise rien .
    Je souhaite à Rebecca Kiessling de se tourner résolument vers la vie .

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