Eclairage protestant sur la «présence réelle»

Article dans la revue du Chemin Neuf, FOI, n° 34, octobre-novembre 2012, pp. 14-15.

Lors du Colloque sur « Le Repas du Seigneur» à Bose en Italie en mai 2012, le pasteur luthérien André Birmelé est intervenu sur « Le sens et non-sens de l’expression «présence réelle». Quelle est la foi eucharistique des Eglises marquées par la Réforme? Finalement, croient-ils à la présence réelle? La refusent-ils en s’opposant à sa compréhension physiciste ? Nous remercions l’auteur de pouvoir reprendre un extrait de sa conférence.

« La présene du Christ lors de la célébration de la Cène est soulignée par toutes les Eglises marquées par la Réforme. Affirmer la présence réelle signifie que les croyants communiant au pain et au vin de la cène ont, dans ce repas, part au corps et au sang du Christ qui les met au bénéfice du salut.

Cette affirmation doit être distinguée de tout malentendu physiciste qui identifierait directement l’hostie au corps et le vin au sang du Christ. Ces Eglises insistent sur le fait que la présence réelle est à comprendre dans un sens plus large et concerne l’ensemble de la célébration.

Cette compréhension plus large de la présence eucharistique du Christ n’entraîne pas la relativisation, et certainement pas la négation du lien étroit de cette présence aux éléments. Elle permet au contraire de la préciser dans un cadre plus serein qui n’est plus prisonnier des vieux débats passionnés ayant marqué les relations entre les traditions réformatrices. Christ lui-même se donne avec le pain et le vin.

La participation même à ce repas est inscription dans la communion avec Dieu et dans la communion des croyants. Dans et par cette célébration Christ advient aujourd’hui au milieu des siens. C’est là le sens étymologique de la notion de consubstantiation, un terme que les réformateurs n’utilisaient pas, mais qui sera ultérieurement courant dans les Eglises de la Réforme. Luther el son ami Melanchton utilisaient l’image du fer incandescent. On ne saurail séparer le fer du feu et pourtant les deux demeurent deux réalités.

Cette image a souvent été utilisée par les Pères de l’Eglise qui l’appliquaient cependant en premier lieu à l’union en Jésus-Christ du divin et de l’humain. Se référant aux Pères orientaux, les Eglises orthodoxes ont toujours repris cette image pour exprimer à la fois l’union du divin et de l’humain en Christ et la présence du Christ dans les éléments de la Cène, les deux unions relevant d’une même intention théologique.

La mise en avant d’une compréhension plus large de la présence réelle permit, après de longues années de dialogues, de parvenir à un accord fondamental qu’illustrent les termes de la Concorde de Leuenberg (CL) qui établit en 1973 la communion entre les luthériens et les réformés en Europe :

«Dans la Cène, Jésus-Christ, le ressuscité, s’offre lui-même, en son corps et en son sang donnés pour tous, par la promesse de sa parole avec le pain et le vin. Il nous accorde ainsi le pardon des péchés et nous libère pour une vie nouvelle dans la foi. Il renouvelle notre assurance d’être membres de son corps. Il nous fortifie pour le service des humains. Nous ne saurions dissocier la communion avec Jésus-Christ en son corps et en son sang de l’acte de manger et de boire. Toute considération du mode de présence du Christ dans la Cène qui serait détachée de cet acte risque d’obscurcir le sens de la Cène.» (CL 15 et CL 19)

Cette conviction commune ne réduit pas la présence réelle à une présence simplement symbolique. Le Christ crucifié et ressuscité se donne effectivement avec les éléments et fait ainsi participer les croyants à son règne. Cette présence n’est pas le fruit de la foi ou de la subjectivité du récipiendaire mais l’accomplissement de la promesse de la Parole du Christ. Il se donne avec les éléments à tous les participants, aux croyants de la recevoir dans la foi en vue de leur salut.

Pour signifier leur compréhension de la présence réelle du Christ dans la célébration de ce repas, les Eglises marquées par la Réforme insistent aujourd’hui davantage sur l’anamnèse et l’épiclèse. Tout comme la prédication de la parole, la cène est anamnèse, mémorial de la mort du Christ à la lumière de la foi du matin de Pâques. Ce mémorial est étroitement lié à la demande de la pré- sence du Christ par l’Esprit Saint qui accomplit, ici et maintenant, la promesse donnée dans les paroles d’institution. Anamnèse et épiclèse sont à la fois expressions de la présence du Christ et actions de grâce de la communauté célébrante qui loue Dieu pour son œuvre salvatrice et pour ce repas qui est, en ce temps, signe du royaume de Dieu à venir. Cette insistance sur l’anamnèse délocalise la question de la présence réelle du Christ des seuls éléments que sont le pain et le vin. L’anamnèse rend réellement présent ce dont on fait mémoire.

L’histoire passée, celle du Christ, devient notre histoire. Les croyants sont invités à participer à une réalité dont ils ne disposent pas, qui leur est extérieure et qui précède leur foi. Cette réalité est la mort et la résurrection du Christ au profit de tous. Il faut ajouter que, ce faisant, les Eglises luthériennes et réformées se démarquent aujourd’hui nettement de l’option de Zwingli pour lequel les sacrements étaient des moments de confirmation de la foi, Christ se donnant aux siens par la seule parole proclamée. Cette option demeure très présente dans les milieux des Eglises dites libres (mouvance baptiste, pentecôtiste ou mennonite) avec lesquelles le dialogue sur cette question demeure délicat. »

Vers la fin de sa conférence, en se référant aux fruits des dialogues œcuméniques et de l’évolution au sein de chacune des familles ecclésiales (catholicisme compris), André Birmelé formule trois conclusions:

« – le débat du XVI° siècle fut dominé par des schèmes de pensée qui ont été faussement absolutisés et érigés en barrières infranchissables. L’évolution théologique de toutes les Eglises permet aujourd’hui une certaine distance vis-à-vis de ce débat. – les essais d’explication mis en avant au XVI° siècle ne voulaient finalement servir qu’une seule cause : affirmer le mystère de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, un souci commun à tous. – l’affirmation de la présence réelle n’est pas à centrer sur le mode de la présence mais sur la finalité de cette dernière: le don du Christ aux siens en son sang et son corps dans le pain et le vin par la puissance de l’Esprit Saint. »

* La Concorde de Leuenberg est reproduite dans : Accords et dialogues œcuméniques bilatéraux, multilatéraux, français, européens et internationaux. Ed. par A. Birmelé et J. Terme, Lyon, Olivétan, 2007 (CD ROM).

* André Birmelé, doyen honoraire de la Faculté Protestante, Université de Strasbourg; Foi et Constitution, CDE.