Dans le journal La Croix du 27 novembre 2014. Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner.
Laurent Basanese, Jésuite, enseignant en islamologie et théologie arabe chrétienne à l’Université grégorienne (Rome)
‣ Pour Laurent Basanese, le pape François a retrouvé en Albanie des accents de son prédécesseur en disant que « tuer au nom de Dieu est un grand sacrilège » .
« Lors de son voyage en Albanie, le pape François a abordé le problème de la violence devant les autorités albanaises et devant les responsables religieux. Notons qu’il a commencé par évoquer la violence politique, celle causée – sous le dictateur communiste Enver Hoxha par ‘‘l’exclusion forcée de Dieu de la vie’’ des hommes : l’absence de Dieu conduit à la violence. Mais, le pape l’a reconnu, on peut la retrouver de manière identique commise au nom de Dieu. La forme est différente mais le fond est le même : c’est la conséquence d’un désir de pouvoir soutenu par un système dogmatique, une idéologie.
En effet, c’est toujours l’idéologie, qu’elle soit ‘‘laïque’’ ou religieuse, qui crée la violence, car ‘‘la religion authentique est source de paix et non de violence’’ , dit le pape. Comment distinguer idéologie et ‘‘religion authentique’’ ? Selon moi, tous les moyens modernes doivent être utilisés pour passer au crible les systèmes de pensée : la science, la mise à l’épreuve du réel, la spiritualité pour les religions.
La question de la vérité ou du ‘‘vrai Dieu’’ est d’abord centrale et toujours d’actualité, comme Benoît XVI l’a sans cesse rappelé et, ici, le pape François : ce n’est pas parce que je crois à une philosophie de vie ou à un ‘‘texte sacré’’ que cela est vrai : il faut pouvoir en rendre compte, ‘‘le prouver’’ aux autres, en retravaillant les textes, les traditions, les outils juridiques, etc. Un croyant ne peut aujourd’hui se contenter de croire ‘‘à la légère’’, en refusant ce travail de l’intelligence, sans risquer de tomber dans la ‘‘mauvaise foi’’, le fidéisme ou le fondamentalisme. La raison est aussi un des plus grands dons de Dieu…
Pour distinguer idéologie et ‘‘religion authentique’’, nous devons aussi regarder leurs fruits : c’est le critère de la mise en pratique. Au niveau social, politique, les lois de ces systèmes nous aident-elles à mieux vivre ensemble, à construire un monde meilleur, ou conduisentelles à la discrimination ? Quant au défi spirituel, si Dieu est vraiment Dieu, il est attentif à la prière : est-ce que le dieu que j’invoque m’écoute ? Les formulations religieuses doivent bien sûr être passées au crible de la prière et mises à l’épreuve du Réel : ainsi, on vérifiera si elles sont ‘‘reçues’’ par Dieu.
Ces discours du pape en Albanie résonnent bien sûr avec l’actualité au Moyen-Orient. Tout système, religieux ou laïc, peut tomber dans la violence, et ‘‘adorer des idoles’’ comme dit le pape, mais l’islam (que le pape ne nomme pas) plus que les autres parce que son credo mêle politique et religion : les préceptes religieux doivent être appliqués par la ‘‘contrainte du glaive’’, par l’État.
L’organisation dénommée « État islamique » résulte malheureusement d’une lecture possible du Coran qui est soutenue par la majorité des docteurs musulmans et extrêmement diffusée. Au-delà des condamnations verbales, les musulmans ‘‘modérés’’ doivent donc s’engager à interpeller fermement ceux de leurs confrères qui la véhiculent dans les mosquées et les médias, et surtout à revisiter leurs textes, à réétudier leurs sources pour repenser ce rapport de leur religion à la violence. Eux seuls peuvent faire ce travail. L’humanité ne supporte plus cette violence, entre eux et contre les autres. Il n’est plus tolérable, aujourd’hui, de concilier la figure du Dieu révélé avec la violence. Nous ne vivons plus au Moyen Âge. »