L’accompagnement spirituel est un outil privilégié de croissance dans la foi. Mais encore faut-il trouver la bonne personne pour cheminer…
Pierre-Henri avait 14 ans lorsqu’il a rencontré son premier accompagnateur spirituel, au début des années 2000. Pour l’adolescent, qui avait demandé le baptême trois ans plus tôt, ce fut « naturel », comme un élan du cœur le portant vers ce prêtre d’âge mûr qui officiait à la cathédrale de Troyes (Aube). « Il fut pour moi un guide. Je n’avais personne dans ma famille pour répondre à mon désir spirituel, et j’ai tout appris auprès de lui. Il était disponible, attentionné, répondait à mes questions, savait pointer ce qui n’allait pas, et je me confiais à lui sans mal. Après mon déménagement, nous sommes restés très en lien jusqu’à son décès il y a quelques années. »
L’accompagnement spirituel, autrefois appelé « direction spirituelle », est essentiel pour beaucoup de chrétiens. D’après une longue tradition dans l’Église, depuis les Pères du désert, au IVe siècle, jusqu’à Ignace de Loyola et Thérèse d’Avila, au XVIe, les fidèles ont toujours affectionné cette sorte de compagnonnage, établi avec une personne reconnue comme prudente et de bon conseil, choisie pour être un appui dans leur quête de Dieu. Pour certains, à l’image de Pierre-Henri, cette relation a pu naître presque spontanément, sans qu’ils l’aient cherchée. Fruit d’une rencontre, d’une conviction intime. Et de la Providence.
Ce n’est toutefois pas le cas le plus fréquent. Et de nombreux chrétiens peinent, en quête de quelqu’un pour les accompagner. L’on commence par chercher au plus proche. Il s’agit d’être attentif : au sein de la paroisse, d’un mouvement de laïcs ou d’une communauté religieuse, ou lors de tel rassemblement d’Église, des rencontres peuvent éveiller en soi le désir de se confier.
Beaucoup vont spontanément vers des prêtres, heureux de trouver du même coup un confesseur. L’on se tourne aussi naturellement vers les monastères. « Certains en font la demande directement à un frère. D’autres me sollicitent, je les reçois et les oriente vers l’un d’entre nous », explique frère Ginepro, prieur de l’abbaye trappiste de Tamié (Savoie). À Lille, les dominicains reçoivent également des demandes régulières, qu’il ne leur est d’ailleurs pas toujours possible de satisfaire. « Dans ce cas, nous redirigeons les personnes vers le diocèse, qui pourra aussi les orienter », explique frère Denis Bissuel, prieur du couvent. Ces demandes adressées aux moines et aux moniales résultent quelquefois d’une connivence particulière avec une famille spirituelle. Plus simplement, elles témoignent de la confiance accordée aux communautés religieuses, à la fois ouvertes et retirées, ce retrait autorisant une parole plus libre et exigeant une démarche de quasi retraite à l’accompagné.
Cette recherche peut se heurter cependant à plusieurs obstacles. D’abord une faible culture de l’accompagnement. « Je me souviens que ma mère en parlait, mais c’est comme si cela n’avait pas existé pour ma génération », relève Marylène Pierrot, 70 ans, accompagnatrice depuis dix ans dans le diocèse de Chartres. Pour le père Alessandro Saraco, auteur d’un livre sur le sujet à partir des écrits d’André Louf, prieur du Mont-des-Cats, cette relative perte d’intérêt résulte d’une « conception limitée, autoritaire et moralisante de la direction spirituelle » qui a pu autrefois avoir cours (1). Ce constat, partagé à travers les diocèses, a poussé certains à se mobiliser (lire les repères).« Il serait dommage que cet outil reste l’apanage de pratiquants très engagés dans l’Église, alors même que le besoin s’en fait de plus en plus ressentir : de nombreuses personnes se sentent seules face à leur vie à construire, et nos contemporains sont passionnés par la recherche de sens », analyse Yves le Therisien, responsable du service de la vie spirituelle pour le diocèse de Quimper et Léon.
Autre frein, celui de la disponibilité, également très lié au contexte ecclésial : la diminution du nombre de prêtres et l’alourdissement des charges paroissiales conduisent un certain nombre d’entre eux à ne pas pouvoir répondre aux demandes.
Si l’accompagnateur parfait n’existe pas, il existe bien quelques critères essentiels. « Il le faut plein de charité, de science et de prudence : si l’une de ces trois qualités lui manque, il y a du danger », conseille François de Sales. Thérèse d’Avila, qui a longtemps tâtonné, recommande « que le directeur soit prudent, c’est-à-dire qu’il ait un esprit sûr et de l’expérience. Si à cela, on ajoute la doctrine, c’est un très grand bien ». Dans le Manuscrit de l’Escorial, la sainte recommande encore « des personnes spirituelles et savantes », qui « ont je ne sais quelle lumière, parce que Dieu les destine à éclairer son Église : et lorsqu’il s’agit d’une vérité, ils sont assistés pour la reconnaître. Quand (…) ils sont de vrais serviteurs de Dieu, ils ne s’étonnent jamais des merveilles que le Seigneur opère » (2).
Quelquefois, plusieurs tentatives sont nécessaires avant de trouver le bon accompagnateur. Émilie, 30 ans, qui se prépare à devenir vierge consacrée, a ainsi peiné pendant deux années, essuyant quelques refus et le plus souvent ne donnant elle-même pas suite. « Le ressenti est essentiel. Il m’est difficile d’aborder le domaine de l’intime avec une personne inconnue, alors j’attache de l’importance à la première rencontre : est-ce quelqu’un de bienveillant, avec qui je suis à l’aise, en sécurité ? Il faut que soient réunies les conditions pour créer une alliance, c’est-à-dire sentir que l’on sera entendu et non jugé. »
« Il faut ensuite sentir, vérifier si cet accompagnement nous fait grandir en Dieu : la vie doit jaillir », estime Jean-Denis Régnier, membre de la Communauté de vie chrétienne (CVX) qui accompagne cinq personnes dans les diocèses de Lyon et Grenoble. Quitte à se laisser bousculer, comme en témoigne Clémence, la trentaine, mère de famille à Paris. « J’ai d’abord mis un terme à un premier accompagnement qui ne sonnait pas juste. C’était une discussion certes agréable, mais très intellectuelle, confortable, et qui ne me faisait pas avancer. J’avais besoin au contraire d’être bousculée. » Étonnamment, ce besoin de confrontation l’amène à aborder un prêtre dont le sermon… l’a fortement agacée ! « Je pensais n’avoir aucune affinité avec lui. Pourtant, il s’est révélé terre à terre, m’a aidée à défaire des nœuds en moi, à simplifier ma relation à Dieu. Au départ, c’était un peu laborieux, à rebrousse-poil. Il me poussait à m’ouvrir et n’était pas dupe de mes évitements. En un sens, il m’a réveillée. »
Adrien Bail
Comment trouver son accompagnateur
Dans les diocèses, l’offre d’accompagnement spirituel se structure peu à peu. À Quimper, on peut s’adresser au service de la vie spirituelle, qui propose un premier échange et met en lien les demandeurs avec des accompagnateurs, dont une trentaine ont été formés par le diocèse depuis dix ans. À Saint-Étienne, un service d’accompagnement répond en particulier aux attentes des recommençants dans la foi.
L’accent est également mis sur l’information dans les paroisses et via RCF. Le site du diocèse de Chartres, qui s’appuie sur le prieuré Saint-Thomas, à Épernon, donne les coordonnées de plusieurs accompagnatrices, laïques et religieuses, qui reçoivent et orientent les demandes d’accompagnement.
Les centres ignatiens proposent des accompagnements individuels, dans la vie mais aussi au cours de retraites selon les Exercices de saint Ignace. Auprès des mouvements ignatiens, l’on trouve aussi des formations à l’accompagnement ouvertes aux laïcs, au centre spirituel du Hautmont (Nord), au Châtelard (Rhône), à Manrèse (Hauts-de-Seine).
Dans La Joie de l’Évangile, le pape François encourage l’Église à « initier ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs – à cet ”art de l’accompagnement”,pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (cf. Ex 3, 5). Nous devons donner à notre chemin le rythme salutaire de la proximité, avec un regard respectueux et plein de compassion mais qui en même temps guérit, libère et encourage à mûrir dans la vie chrétienne. »
« Un outil pour se mettre à l’écoute de l’Esprit »
RECUEILLI PAR ADRIEN BAIL
Père Alain Mattheeuws Jésuite Pour l’auteur de L’Accompagnement spirituel, mode d’emploi (3), l’accompagnement doit être offert à tous les baptisés.
Que vise l’accompagnement spirituel ?
Père Alain Mattheeuws : À chercher comment mieux correspondre à la volonté de Dieu, à grandir en sainteté. C’est pourquoi il est ouvert à tous les baptisés – pas uniquement à des prêtres, des religieuses ou à certaines catégories sociales. Parce qu’ils ont soif de Dieu, des chrétiens demandent un guide. Ce peut être à l’occasion d’une décision importante (trouver sa vocation) ou bien parce que la vie nous interpelle (après un échec, à l’approche de la mort)que l’on éprouve le désir d’une parole qui éclaire, d’une écoute plus profonde pour discerner les appels de Dieu, distinguer le bien, le mal, le mieux.
Quels sujets aborder ?
Père Alain Mattheeuws : Il faut laisser une grande liberté dans la matière même du partage. On peut demander des conseils, un enseignement, recevoir des éclaircissements sur sa vie morale, sur le mystère de l’Église – même si l’accompagnateur n’est pas un professeur. Dans le domaine spirituel, nous pouvons rêver, nous tromper… Nous confronter à un tiers nous aide à écarter les illusions, à ne pas prendre nos propres désirs pour la volonté de Dieu, à démasquer celui que saint Ignace appelle « l’ennemi de la nature humaine ».
Comment l’accompagnateur se positionne-t-il ?
Père Alain Mattheeuws : C’est un frère ou une sœur dans la foi qui, avec humilité et force, peut confirmer, encourager, interpréter. Ses qualités sont d’abord spirituelles. Formé à la parole de Dieu, doté d’un bon sens humain et psychologique, il doit mener une vie centrée sur l’Eucharistie et la Réconciliation, être lui-même accompagné et reconnu par l’Église – en vertu d’une mission (dans un séminaire, une communauté nouvelle) ou encore sur la base de sa réputation dans une paroisse. Jusqu’à 12 ou 13 ans, nos premiers accompagnateurs sont nos parents. Ce peut être ensuite un laïc, un parrain, un prêtre, un moine, une moniale…
Quelle différence avec du coaching ou une psychothérapie ?
Père Alain Mattheeuws : L’accompagnateur n’est pas un expert. Dans le coaching, il y a un but à atteindre et des critères objectifs d’évaluation. Dans l’accompagnement, on n’évalue pas la relation selon un critère d’efficacité mais selon sa fécondité dans le plan de Dieu. La psychothérapie s’attache à identifier des mécanismes de peur, des blessures, des recherches d’identité. L’accompagnement ne vise pas directement la guérison mais la sanctification.
Quels sont ses écueils ?
Père Alain Mattheeuws : On peut être passif, manquer de distance ou de liberté : l’accompagnateur ne peut décider à notre place, il n’a pas toujours raison, il n’est pas Dieu. Si la relation conduit à une amitié, elle doit garder de la pudeur et rester asymétrique, c’est-à-dire préserver la mission de l’accompagnateur. Enfin, on doit toujours viser la ressemblance et la suite du Christ, à l’écoute de l’Esprit Saint. Il ne s’agit pas d’une conversation de salon. Il faut que cela travaille !
L’accompagnement doit-il durer ?
Père Alain Mattheeuws : Le temps est nécessaire pour voir les fruits, c’est un allié du discernement. Si l’accompagnement se poursuit, cela signifie que l’on se sent transformé, que l’on a encore soif d’être mieux uni au Christ et que l’accompagnateur est disponible. Le cadre et le rythme des rencontres peuvent évoluer : quand on se connaît mieux, une rencontre brève suffit à aborder l’essentiel. En revanche, si l’on tourne en rond, peut-être vaut-il mieux arrêter.
Notes
(1) Discernement et accompagnement spirituel dans les écrits d’André Louf, Alessandro Saraco, Éd. des Béatitudes.
(2) Citations extraites du livre Être accompagné, de Léo Scherer, s.j., Éd. Vie chrétienne.
(3) éd. Artège, 2015, 44 p., 3,95 €.
Dans le journal La Croix du 3 février 2018.