Extraits de l’homélie improvisée du pape Benoît XVI lors de la première session du synode spécial sur le Moyen-Orient, le lundi 11 octobre 2010. Capitaux financiers, terrorisme, drogue, idéologies dominantes. L’ascension et la chute des puissances de ce monde, interprétées à la lumière de l’Apocalypse. Texte dans la Documentation Catholique n° 2456 du 21 novembre, ou sur le site de Sandro Magister.
Le concile a commencé avec l’icône de la « Théotokos ». À la fin, le pape Paul VI a reconnu à la Vierge Marie le titre de « Mater Ecclesiæ ». Et ces deux icônes, qui marquent le début et la fin du concile, sont intrinsèquement liées, elles ne sont plus, à la fin, qu’une seule icône. Parce que le Christ n’est pas né comme un individu parmi d’autres. Il est né pour se créer un corps : il est né – comme le dit Jean au chapitre 12 de son Évangile – pour attirer tous les hommes à lui et en lui. Il est né – comme le disent les épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens – pour récapituler le monde entier, il est né comme l’aîné de nombreux frères, il est né pour réunir le cosmos en lui-même, ce qui fait qu’il est la tête d’un grand corps. Avec la naissance du Christ commence le mouvement de la récapitulation, de l’appel, de la construction de son corps, de la sainte Église. La Mère de « Théos », la Mère de Dieu, est Mère de l’Église, parce qu’elle est Mère de celui qui est venu pour nous réunir tous dans son corps ressuscité.
Saint Luc nous le fait comprendre à travers le parallélisme entre le premier chapitre de son Évangile et le premier chapitre des Actes des Apôtres, qui reprennent à deux niveaux le même mystère. Au premier chapitre de l’Évangile, l’Esprit Saint vient sur Marie qui conçoit et nous donne le Fils de Dieu. Au premier chapitre des Actes des Apôtres, Marie est au milieu des disciples de Jésus qui prient tous ensemble, implorant la nuée de l’Esprit Saint. Et c’est ainsi que, de l’Église croyante avec Marie en son centre, naît l’Église, corps du Christ. Cette double naissance est l’unique naissance du Christus totus, du Christ qui embrasse le monde et nous tous.
Naissance à Bethléem, naissance au cénacle. Naissance de l’Enfant Jésus, naissance du corps du Christ, de l’Église. Ce sont deux événements ou un seul. Mais, entre les deux, il y a vraiment la croix et la résurrection. Et ce n’est que par la croix que passe le chemin vers la totalité du Christ, vers son corps ressuscité, vers l’universalisation de son être dans l’unité de l’Église. Et ainsi, puisque seul le grain de blé tombé en terre donne ensuite une récolte abondante, c’est du Seigneur transpercé sur la croix que vient la totalité de ses disciples réunis dans ce corps qui est le sien, ce corps mort et ressuscité.
Tenant compte de ce lien entre « Théotokos » et « Mater Ecclesiæ », nous portons notre regard sur le dernier livre de la Sainte Écriture, l’Apocalypse, dans lequel, au chapitre 12, apparaît justement cette synthèse. La femme vêtue de soleil, ayant une couronne de douze étoiles sur la tête et la lune sous les pieds, accouche. Et elle accouche en criant de douleur, elle accouche avec une grande souffrance. Ici le mystère marial est le mystère de Bethléem élargi au mystère cosmique. Le Christ naît sans cesse de nouveau, à chacune des générations, et ainsi il assume, il recueille l’humanité en lui-même. Et cette naissance cosmique se réalise dans le cri de la croix, dans la souffrance de la passion. Et le sang des martyrs appartient à ce cri de la croix.
Alors, en ce moment, nous pouvons jeter un regard sur le second psaume de cet office du milieu du jour, le psaume 81, dans lequel on voit une partie de ce processus. Dieu se trouve parmi les dieux, encore considérés en Israël comme des dieux. On voit dans ce psaume, de manière très concentrée, en une vision prophétique, la perte de puissance des dieux. Ceux qui paraissaient des dieux n’en sont pas et ils perdent le caractère divin, ils tombent par terre. « Dii estis et moriemini sicut homine » (cf. Psaume 82 [81], 6-7) : la perte de puissance, la chute des divinités.
Ce processus qui se réalise au cours du long cheminement de la foi d’Israël et qui est résumé ici en une vision unique, est un véritable processus de l’histoire de la religion : la chute des dieux. Et la transformation du monde, la connaissance du vrai Dieu, la perte de puissance des forces qui dominent la terre, est donc un processus de souffrance. Dans l’histoire d’Israël nous voyons comment cette libération par rapport au polythéisme, cette reconnaissance – « il est le seul Dieu » – se réalisent à travers tant de souffrances, à partir du cheminement d’Abraham, puis l’exil, les Macchabées, jusqu’au Christ. Et il se poursuit au cours de l’histoire, ce processus de perte de puissance dont parle l’Apocalypse en son chapitre 12 ; elle parle de la chute des anges, qui ne sont pas des anges et ne sont pas des divinités sur la terre. Il se réalise vraiment juste au moment de la naissance de l’Église : nous voyons comment les divinités sont alors dépouillées de leur puissance par le sang des martyrs, toutes ces divinités, à commencer par l’empereur-dieu. C’est le sang des martyrs, la souffrance, le cri de la Mère Église qui les fait tomber et transforme ainsi le monde.
Cette chute n’est pas seulement la découverte que ces divinités ne sont pas Dieu. C’est le processus de transformation du monde, au prix du sang, au prix de la souffrance des témoins du Christ. Et si nous y regardons de plus près, nous constatons que ce processus ne finit jamais. Il se réalise aux différentes périodes de l’histoire selon des modalités toujours nouvelles. Même aujourd’hui, en ce moment où le Christ, Fils unique de Dieu, doit naître pour le monde avec la chute des dieux, avec la souffrance, avec le martyre des témoins.
Nous pensons aux grandes puissances de l’histoire d’aujourd’hui, nous pensons aux capitaux anonymes qui réduisent l’homme en esclavage, qui n’appartiennent plus à l’homme mais sont un pouvoir anonyme que servent les hommes, qui les tourmente et les fait même mourir. Ils sont une puissance destructrice qui menace le monde. Il y a aussi la puissance que constituent les idéologies terroristes. La violence est apparemment exercée au nom de Dieu, mais ce n’est pas Dieu : ce sont de fausses divinités, qui doivent être démasquées, qui ne sont pas Dieu. Il y a aussi la drogue, cette puissance qui, comme une bête vorace, étend ses mains sur toute la terre et qui détruit : c’est une divinité, mais une fausse divinité, qui doit tomber. Ou encore la manière de vivre répandue par l’opinion publique : aujourd’hui c’est comme cela, le mariage ne compte plus, la chasteté n’est plus une vertu, et ainsi de suite.
Ces idéologies qui sont si dominantes qu’elles s’imposent avec force, sont des divinités. Et ces divinités doivent tomber dans la souffrance des saints, des croyants, de la Mère Église dont nous faisons partie. Ce que disent les épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens – les dominations, les puissances tombent et sont soumises à l’unique Seigneur Jésus-Christ – doit se réaliser.
Il est question de cette lutte dans laquelle nous sommes plongés, de cette perte de puissance des dieux, de cette chute des faux dieux qui tombent parce que ce ne sont pas des divinités mais des puissances qui détruisent le monde, au chapitre 12 de l’Apocalypse, où l’on trouve aussi une image mystérieuse pour laquelle, me semble-t-il, il y a plusieurs belles interprétations. Il y est dit que le dragon lance contre la femme qui fuit un grand fleuve d’eau, pour l’emporter. Et il paraît inévitable que la femme soit noyée dans ce fleuve. Mais la bonne terre absorbe ce fleuve, qui ne peut plus nuire. Je pense qu’il est facile de donner une interprétation du fleuve : ce sont ces courants qui dominent tout le monde et qui veulent faire disparaître la foi de l’Église, qui paraît ne plus avoir de place face à la force de ces courants qui s’imposent comme l’unique rationalité, comme l’unique façon de vivre. Et la terre qui absorbe ces courants est la foi des simples, qui ne se laisse pas emporter par ces fleuves et qui sauve la mère et le fils. C’est pourquoi le psaume, le premier psaume de l’office du milieu du jour, dit : « La foi des simples est la vraie sagesse » (cf. Psaume 118, 130). Cette vraie sagesse de la foi simple qui ne se laisse pas dévorer par les eaux, est la force de l’Église. Et nous voilà revenus au mystère marial.
Il y a encore une dernière expression dans le psaume 81, « Movebuntur omnia fundamenta terrae » (Psaume 82 [81], 5), toutes les assises de la terre sont ébranlées. On voit aujourd’hui, avec les problèmes climatiques, combien les assises de la terre sont menacées, mais elles sont menacées par notre comportement. Les assises extérieures sont ébranlées parce que les assises intérieures le sont, les assises morales et religieuses, la foi dont découle la juste manière de vivre. Nous savons que la foi est l’assise, et, en définitive, les assises de la terre ne peuvent pas être ébranlées si la foi, la vraie sagesse, reste ferme.
Et le psaume dit : « Lève-toi, Seigneur, et juge la terre » (Psaume 82 [81], 8). De même disons, nous aussi, au Seigneur : « Lève-toi maintenant, prends la terre dans tes mains, protège ton Église, protège l’humanité, protège la terre ». Et confions-nous de nouveau à la Mère de Dieu, à Marie, et prions : « Toi, la grande croyante, toi qui as ouvert la terre au ciel, aide-nous, ouvre aujourd’hui encore les portes, pour que triomphe la vérité, la volonté de Dieu, qui est le vrai bien, le vrai salut du monde ». Amen.