Catholiques, entre défense d’une civilisation et accueil de l’étranger : un débat salutaire.
Premier débat entre Laurent Dandrieu, rédacteur en chef des pages « Culture » de Valeurs actuelles, auteur de « Église et immigration – Le grand malaise – le pape et le suicide de la civilisation européenne » (Presses de la Renaissance) et Erwan Le Morhedec, avocat, animateur du blog Koztoujours, auteur de « Identitaire – le mauvais génie du christianisme » (Cerf). Deux ouvrages qui, avant même leur publication, ont fait coulé beaucoup d’encre. « Un débat salutaire », affirme Erwan Le Morhedec, « parce qu’on a un souci avec ça dans l’Eglise ». Tout comme Laurent Dandrieu, il se réjouit donc que la question de l’identité soit posée et qu’elle soit sans doute, à l’avenir, au coeur de la Présidentielle.
Vous avez dit « identitarisme »
« Mon optique n’est absolument politique, c’est l’évolution des catholiques sur le moyen et le long terme qui m’intéresse », explique Erwan Le Morhedec qui dit avoir été marqué, ces derniers mois, par la présence de Marion Maréchal Le Pen à la Sainte Baume, la crise des migrants, les attentats, les régionales et l’affaire des crèches dans les mairies. « J’ai voulu examiner ce que cela faisait résonner chez moi », dit-il. Laurent Dandrieu, lui, entend dans son livre s’interroger sur le discours de l’Eglise, notamment à l’égard de la crise des migrants. « L’équilibre entre l’appel à la fraternité universelle et l’attachement aux communautés naturelles qui sont le cadre légitime et bienfaisant dans lequel s’exerce la charité, cet équilibre semble rompu », souligne le journaliste de Valeurs Actuelles, « l’attachement aux communautés naturelles est un peu dévalué ». Ce qui le gêne ? Que « l’attachement à la patrie et à l’identité nationale devienne systématiquement suspect ». Il dit d’ailleurs avoir du mal à comprendre le concept d’identitarisme développé par Erwan Le Morhedec. « Je ne crois pas non plus au clivage entre les électorats de Marine le Pen et de François Fillon sur cette question ».
« J’étais étranger et vous m’avez accueilli »
Ils sont tous deux d’accord sur un point : le chrétien doit nécessairement passer outre « sa réticence naturel vis-à-vis de l’étranger, de ce qui n’est pas lui ». « Le Christ nous dit ‘voyez-moi dans l’étranger’ », rappelle Erwan Le Morhedec. Faut-il pour autant faire de cette parole « un principe de politique », où « la charité serait l’alpha et oméga ? », interroge Laurent Dandrieu. Sa réponse est claire : cela serait « sombrer dans la confusion des ordres et c’est justement le problème du discours ecclésial aujourd’hui ». « L’accueil de l’étranger ne doit pas nuire à nos proches, il doit être réaliste et la charité responsable, elle ne doit pas causser plus de problèmes qu’elle n’en résoud ». Erwan Le Morhedec, lui, dit ne pas nier les difficultés de l’accueil des migrants, « mais il faut savoir où on place le curseur », tempère-t-il, « il faut d’abord penser aux migrants, ensuite débattre politique, et j’ai constaté que ce n’était pas le réflexe immédiat ». Enfin, Laurent Dandrieu estime que les discours des papes sur cette question n’ont pas été pertinents et portent une certaine complicité dans le suicide de la civilisation européenne.
Défendre une civilisation, « pas un repli sur soi »
« Sous prétexte d’attachement à l’identité nationale et à la défense de sa civilisation, on est vite vite soupçonné de repli sur soi, de ne pas vouloir aller vers l’autre, d’être pour un catholicisme claquemuré comme une forteresse et de ne pas vouloir évangéliser. Cela m’agace », répète Laurent Dandrieu, « Pour moi c’est sur le socle bien assumé et bien solide de son héritage que l’on peut dialoguer en vérité avec l’autre. Moi, je préfère bâtir sur le roc de l’héritage que sur le sable des bons sentiments. Ce n’est pas contradictoire avec l’accueil de l’autre ». Et le rédacteur en chef des pages « Culture » de Valeurs Actuelles de dénoncer « un certain discours ecclésial nous demandant de choisir entre notre attachement à la foi et à l’Eglise et notre souci de défendre notre civilisation… Ce dilemme ne me paraît ni juste ni tenable. J’ai voulu écrire ce livre pour essayer de réconcilier ces deux devoirs ». Réponse d’Erwan Le Morhedec : « Être chrétien, c’est chercher à créer des ponts ». Oui au dialogue en sachant ce que l’on est, mais non au « raidissement identitaire qui fait que l’on cherche ce qui est irréductible chez nous… Il y a des murs et une recherche d’homogénéité ethnique non recevable« , souligne-t-il, « un d’abord être ce que je suis avant d’être ce que je crois ». Dans son livre, le blogueur s’attaque à certains groupuscules qui ont un poid et une influence certaine, selon lui. Il reprend ainsi les termes du fondateur de Génération identitaire qui, dans 30 ans, souhaite une France blanche et catholique. « Quand j’entends cela », explique Erwan Le Morhedec, « j’ai un soupçon d’instrumentalisation de la foi au service du politique ».