Les sources de la connaissance de cette grâce particulière
• Même si l’Évangile ne parle nulle part clairement de l’immaculée Conception de Marie, il faut nous arrêter sur le titre à elle donné par l’ange Gabriel : « Pleine de grâce».
• Le verbe grec employé signifie gratifier. Il exprime un changement réalisé dans le sujet atteint par la grâce. « Marie a été transformée par la grâce de Dieu » (I. de la Potterie, Marie dans le mystère de l’alliance, 52).
• Ce verbe est au participe parfait passif : le passif signifie que Dieu lui-même a agi sur Marie, et le parfait indique une action passée dont les effets demeurent toujours présents.
• Le même verbe est employé à l’actif en Eph 1, 6-7. Il y est question de la grâce dont Dieu nous a gratifiés par un acte précis du passé. Cette grâce consiste à être saints et sans tache (amônos en grec = immaculé, terme négatif dont l’aspect positif est exprimé dans le salut de l’ange).
• À remarquer que ce titre «pleine de grâce » est adressé uniquement cette fois à une personne dans la Bible. Il tient la place du nom de Marie dans la salutation : « Salut, pleine de grâce ». « Pleine de grâce » est le nom de la Vierge sur les lèvres de Dieu !
• À lui seul, ce titre n’affirme pas la conception immaculée, car il ne précise pas le moment du passé dans lequel Dieu a comblé Marie de sa grâce.
La sainteté de Marie
• Elle est reconnue, proclamée, chantée dans les homélies des Pères de l’Orient et dans les hymnes liturgiques. Les expressions «toute pure, toute belle, toute vierge… » pullulent.
• Ainsi, au 4° siècle, saint Ephrem dit : « Pleine de grâce, toute pure, toute immaculée, toute sans faute, toute sans souillure ».
• Théoteknos, évêque en Palestine entre 550 et 560 : « Elle naît comme les chérubins, celle qui est d’une argile pure et immaculée ».
• Saint Jean Damascène (8° siècle) : « Salut, pleine de grâce, tu es élevée au-dessus des cieux, aussi haut qu’il est possible de l’être, tu es infiniment plus pure que la lumière resplendissante du soleil ».
• En parlant de sanctification, l’on n’affirme pas encore l’Immaculée Conception.
Les difficultés
Alors que la fête de la Conception de Marie est célébrée en Orient dès la fin du 7° siècle, puis transmise à l’Occident, la question se pose du moment précis de la sanctification de Marie : les uns pensent au jour de l’Annonciation, d’autres (le premier, Pascase Radbert au 9° siècle) avant la naissance, d’autres encore juste après la conception.
Deux causes interdisent à beaucoup d’adhérer à l’immaculée Conception : 1. le caractère peccamineux attaché à la conception (cf. le verset du psaume 51 : « J’étais pécheur dès le sein de ma mère »). 2. l’impossibilité de maintenir l’universalité du salut en Jésus si Marie n’a jamais été atteinte par le péché (cf. St Thomas d’Aquin). Saint Bernard réagit fortement quand, en 1138, les chanoines de Lyon introduisent la célébration de la fête de la Conception de Marie.
Solution à ces difficultés
Duns Scot réintègre Marie dans l’universalité du salut en évoquant la grâce prévenante due au Rédempteur de tous les hommes qui a préservé Marie du péché originel. Marie apparaît ainsi comme la première sauvée, non par mode de sanctification, mais par mode de préservation. Comment comprendre cette préservation dans le cadre de la doctrine de l’universelle rédemption? Nous ne sommes pas habitués à l’idée que Dieu nous rachète non seulement en pardonnant nos péchés, mais aussi en nous évitant de les commettre. Or cette idée se trouve déjà chez saint Augustin. Saint François de Sales, dans un sermon sur l’Assomption, donne cette explication : «Racheter la liberté d’une personne qui devrait être esclave, avant qu’elle le soit, est une grâce plus grande que de la racheter après qu’elle est captive » (Œuvres VII, 458). Dans sa lumineuse simplicité, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a conscience d’avoir été préservée de péchés quelle aurait pu accomplir : « il m’a remis d’avance, m’empêchant de tomber ». Un autre problème est de comprendre que les fruits de la Croix peuvent atteindre également les hommes qui ont vécu avant Jésus Christ. Mais pour Marie, et cela est exceptionnel, elle en bénéficie par avance, en vue des mérites de Jésus crucifié. D’où la belle définition de Sainte Louise de Marillac disant à Marie : « Vous êtes la véritable fille aînée de la Croix ».
La définition du dogme
Déjà au Concile de Bâle, en 1439, on explique l’exemption du péché originel de Marie « en raison de la prévenance et de l’oeuvre de la grâce unique de la volonté divine ». On y définit l’immaculée Conception, mais comme les Pères avaient rompu avec le Pape Eugène IV, la décision fut considérée comme non valide canoniquement. Et l’on a attendu jusqu’au 8 décembre 1854.
Après consultation de tous les évêques, Pie IX, dans la Bulle Ineffabilis du 8 décembre 1854, promulgue le dogme : « Par l’autorité de Notre Seigneur Jésus Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul et la Nôtre, nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine d’après laquelle, par une grâce et un privilège singulier de Dieu tout-puissant et en vue des mérites de Jésus Christ, Sauveur du genre humain, la très bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, préservée de toute tache du péché originel, est une doctrine révélée par Dieu et qui, par conséquent, doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles ».
Cent ans plus tard, Pie XII, dans l’Encyclique Fulgens Corona du 8 septembre 1953, souligne le lien entre l’immaculée Conception et la maternité divine. Celle-ci «postule la plénitude de la grâce divine et une âme exempte de toute tache, étant donné qu’elle requiert la dignité et la sainteté les plus élevées après celles du Christ ».
Le Concile Vatican Il reprend la même doctrine, dans la Constitution sur l’Église.• «Rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils (…), elle reçoit cette immense charge et dignité d’être la Mère du Fils de Dieu» (53).• « Enrichie dès le premier instant de sa conception d’une sainteté éclatante absolument unique… », dans son fiat, elle épouse à plein cœur la volonté divine de salut, «sans que nul péché ne la retienne » (56).• « La Vierge Immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle… » (59).
À Lourdes, c’est le 25 mars 1858 que Marie a dit à Bernadette : « Je suis l’Immaculée Conception ». Il faut souligner la relation avec le titre «pleine de grâce » de l’Annonciation.
L’immaculée Conception et nous
Dans la préface de la fête de l’immaculée Conception, il est dit : « En elle, tu préfigurais l’Église, la fiancée sans ride, sans tache, resplendissante de beauté ».Selon Ep 1,4 le dessein de Dieu sur tout homme est de le rendre saint et immaculé. Marie est la parfaite réalisation de ce dessein… Elle devient notre modèle.Selon la constitution de Vatican II sur la liturgie, au n° 103 : « En Marie, l’Église admire et exalte le fruit le plus excellent de la Rédemption, et, comme dans une image très pure, elle contemple avec joie ce qu’elle-même désire et espère être tout entière ».
Mgr Paul-Marie GUILLAUME,évêque émerite de St-Dié (Vosges) Enseignement donné à Pontmain le dimanche 23 mai 2004
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