Extraits d’un article publié par la revue « Il est vivant ! » n° 280, mars 2011, pp. 26-31.
Dans un sondage Opinion way publié par La Vie du 20 janvier, il apparaît que 63 % des Français préféreraient, si un de leurs proches était gravement malade, avoir recours aux soins palliatifs plutôt qu’à l’euthanasie. Ils sont 42 % à craindre les risques de dérives si l’euthanasie était légalisée, 43 % à s’estimer insuffisamment informés sur ce que sont les soins palliatifs et 68 % à ignorer qu’il existe une loi interdisant l’acharnement thérapeutique (loi Léonetti).
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Première idée reçue : « Quand il n’y a plus rien à faire, l’euthanasie peut être utile. »
Réponse du Dr Xavier Mirabel, cancérologue et président de l’Alliance pour les droits de la vie 1 : « Quand il n’y a plus rien à faire, il y a toujours quelque chose à faire. » Ce quelque chose, ce sont les soins palliatifs. Les soins palliatifs, selon la Sfap 2, ce sont des « soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle ». Autrement dit, il ne faut pas réduire le malade à sa maladie, et la maladie à un dysfonctionnement physique. Quand les traitements thérapeutiques ne peuvent plus rien, il reste à s’occuper du patient : le nourrir et l’hydrater, d’abord, et ensuite venir le voir, lui parler, le soutenir, l’entourer, tenter de répondre à ses interrogations existentielles – lui dire que sa vie a la même valeur que celle des autres. Bref à s’occuper de lui comme d’une personne.
Deuxième idée reçue : « L’euthanasie est une réponse à des situations nouvelles. On ne peut pas rester bloqué sur des positions morales anciennes quand la réalité évolue. »
Il est vrai que la médecine moderne pose des problèmes nouveaux. Techniquement, elle a fait des progrès extraordinaires, prenant en charge des patients qui autrefois auraient été voués à une mort certaine et rapide. Revers de la médaille : la possibilité de l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire de continuer à donner des médicaments quand ils sont devenus inutiles. Ces situations, qui n’existaient pas autrefois, rendent plus difficile le rappel de repères éthiques non pas anciens mais universels, au premier rang desquels le respect de la vie et la prise en compte de la personne dans son ensemble. Le respect de la vie, c’est la base du contrat de confiance entre soignant et soigné. Si le soignant, déjà dominant par sa science et sa compétence, détient le pouvoir de tuer, le contrat est rompu ; comment le soigné, vulnérable par nature, pourrait-il continuer à lui accorder sa confiance ?
Troisième idée reçue : « L’euthanasie met fin à l’acharnement thérapeutique. »
Elle n’y met pas réellement fin, elle le complète. Elle en est la suite normale. « Euthanasie et acharnement thérapeutique sont les deux faces d’une logique de toute puissance », analyse Tugdual Derville, délégué général de l’ADV. Dans un cas, on décide de mettre fin à la vie, dans l’autre de la prolonger artificiellement, contre toute raison. Dans les deux cas, on se veut maître de la vie (et donc de la mort), comme si elle nous appartenait. Or la vie est un don. Un capital dont nous ne sommes pas les propriétaires mais les usufruitiers. La réponse à ces deux dérives que sont l’euthanasie et l’acharnement thérapeutique, ce sont les soins palliatifs.
Quatrième idée reçue : « Si le malade demande à mourir, il doit avoir la liberté de le faire. »
« La demande de mort est rare mais elle existe, observe le Dr Mirabel. C’est toujours un appel au secours. » C’est au personnel soignant et aux proches de tenter de voir ce qui se cache derrière cette demande : solitude, souffrance, etc. « La vraie liberté, ce n’est pas « C’est mon choix ! » poursuit Xavier Mirabel. Il faut écouter la personne et déceler sa souffrance. Si elle demande la mort à cause de sa douleur physique, je respecterai sa liberté en soulageant sa douleur, pas en lui faisant une piqûre mortelle. Si elle souffre de solitude, c’est en essayant de l’entourer que je respecterai sa liberté. » Une personne en fin de vie a besoin d’entendre : « Tu comptes pour moi » et non pas : « Fais ce que tu veux, peu m’importe. »
Cinquième idée reçue : « L’euthanasie, c’est le droit de mourir dans la dignité. »
Curieuse dignité, qui varie en fonction de l’état de santé de la personne ! La dignité est liée à l’humanité, elle ne se perd pas, elle ne s’acquiert pas, elle ne change pas selon notre état, notre métier, notre âge, notre race, notre sexe… Elle est ! Un vieillard grabataire est aussi digne de vivre qu’un jeune éclatant de santé. Si la dignité dépend du regard que nous portons sur nous-mêmes et sur les autres, nous mettons le doigt dans un engrenage infernal. « Dire qu’une personne n’est pas digne de vivre parœ qu’elle est malade, c’est d’une extraordinaire violence ! », proteste Xavier Mirabel.
Sixième idée reçue : « La loi est hypocrite. Elle permet de cesser d’alimenter les malades sans le dire. Le mieux serait de permettre clairement l’euthanasie, en l’encadrant solidement. »
La loi Léonetti est, sur ce point précis, ambiguë. Si l’on en fait une interprétation extensive, on peut en tirer argument pour cesser les soins – alimentation, hydratation, toilette (ne confondons pas les soins, que l’on doit toujours au malade, et le traitement thérapeutique, qu’il est raisonnable d’arrêter quand il devient inutile). Ce sur quoi s’appuient les partisans de l’euthanasie pour dire : cessons cette hypocrisie, qui permet d’euthanasier le patient sans le dire en le laissant mourir de faim, et encadrons l’euthanasie, pour l’autoriser « dans certains cas ». L’autorisation dans certains cas, depuis la loi Veil, on sait ce que cela signifie : d’abord dépénalisation, puis libéralisation, enfin banalisation…
Septième idée reçue : « Certains pays sont beaucoup plus avancés que nous. »
En effet… En Belgique, où l’euthanasie a été dépénalisée en 2002, le nombre de cas est passé de 235 en 2003 à 822 en 2009, soit une augmentation de 250 %. Une étude a révélé que 25 enfants avaient été euthanasiés alors que cette pratique est interdite ! Aux Pays-Bas, où la dépénalisation a eu lieu en 2001, le nombre d’euthanasies est passé de 2120 en 2007 à 2636 deux ans plus tard. En Suisse, l’augmentation a été de 47 % entre 2003 et 2007. De quoi faire réfléchir ceux qui confondent évolution et progrès !
1. Alliance pour les droits de la vie. BP 10267 – 75424 Paris cedex 09. www.adv.org
2. Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. 106 avenue Émile-Zola – 75015 Paris. www.sfap.org
Du « droit à mourir » au « devoir de tuer », il n’y a qu’un pas, dénonce Éliane Catorc, médecin en unité de soins palliatifs.
Y a-t-il une vraie demande sociale d’euthanasie ?
C’est surtout une question d’idéologie, camouflée derrière la souffrance que l’on met en avant. Au nom d’une pseudo-autonomie de l’homme on revendique la dépénalisation de l’euthanasie. C’est une idéologie libertaire avec une vision matérialiste de l’homme.
Avez-vous déjà été confrontée à des demandes de mort de la part de malades ?
Pas directement ! Deux personnes m’ont parlé à demi-mot de l’euthanasie, mais sans en faire la demande explicite. Elles se demandaient pourquoi continuer à vivre alors que la maladie ne cessait de les diminuer et que leur mort était proche. C’est d’une autre vie qu’elles voulaient, pas de la mort. Elles avaient besoin d’entendre que nous ne les abandonnerions pas, que nous serions avec elles jusqu’au bout et que leur vie telle qu’elle était, avait de la valeur.
Que répondez-vous à ceux qui disent que votre position est celle d’une chrétienne et que, s’ils veulent mourir, c’est leur droit ?
Vouloir mourir est une chose, vouloir être euthanasié en est une autre. Cela implique que vous voulez être tué et que quelqu’un d’autre vous tue ! Face à un non chrétien, je n’utilise jamais des arguments confessionnels.
On invoque volontiers la liberté de la personne. Mais une liberté libre de s’anéantir est une contradiction insurmontable au niveau philosophique. Et il y a un paradoxe pour cette liberté à dépendre d’un autre et d’une technique particulière pour s’exercer.
La liberté, en outre, s’exerce difficilement quand la maladie ou le grand handicap vous fragilisent. Vous intériorisez les regards négatifs portés sur vous et le droit à l’euthanasie peut entraîner rapidement un « devoir d’être tué » pour les plus vulnérables.
Il y aurait aussi un « devoir de tuer » pour les soignants qui perdraient leur identité en effectuant des actes contraires à leur vocation. L’euthanasie n’est certes pas une mort douce pour ceux qui doivent l’administrer. Confrontée deux fois à des euthanasies sauvages, je sais quelle souffrance peut en résulter. Les soignants sont quasiment les seuls à assumer les fins de vie dans notre société qui veut évacuer la mort en la confinant dans les hôpitaux.
Que pensez-vous de l’expression « mort compassionnelle » ?
Elle m’évoque la « mort miséricordieuse » qu’Hitler, selon ses dires, avait offert aux malades mentaux et aux handicapés. Recourir à l’euthanasie pour soulager un malade ne tient pas la route ! Nous avons aujourd’hui les moyens de traiter la douleur. Un médecin qui parle de « mort compassionnelle » signe son incompétence et doit passer le relais à quelqu’un qui a appris à traiter la douleur. C’est d’ailleurs une obligation éthique mais aussi médico-légale. L’euthanasie, c’est une tentation de facilité. L’interdit de tuer oblige à être créatif. La réponse médicale face à la fin de vie, c’est les soins palliatifs. Les Français ne s’y trompent pas puisque dans un récent sondage, ils étaient une majorité à vouloir leur développement.
Qu’est-ce que la demande d’euthanasie révèle de notre société ?
Son angoisse face à la finitude et sa tentation de déclarer indignes certaines vies ! Il n’est pas étonnant que cette question se pose avec tant d’acuité dans notre société où la science et la médecine sont supposées pouvoir tout gérer de la naissance à la mort de l’homme.