Je ne crois plus à la capacité de l’institution ecclésiale à rendre justice

Tribunes à vif, Stéphane Joulain, prêtre de la Société des missionnaires d’Afrique, La Croix du 24 octobre 2022.

Prêtre et membre de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), titulaire d’une licence en théologie pratique et d’un Ph. D. en Counseling et spiritualité.

Formé à la victimologie systémique et en traitement des auteurs d’abus sexuels au Canada, il a accompagné des victimes d’abus sexuels. A Rome depuis 2015 il travaille pour sa congrégation à la Protection des Mineurs.

Il donne aujourd’hui des sessions de formations sur la Prévention des abus sexuels dans différents pays. Consultant pour différentes congrégations religieuses, il participe à plusieurs groupes de recherche et donne des conférences sur le sujet de la prévention des abus dans de nombreux lieux.

Les révélations récentes concernant les agressions sexuelles commises par Michel Santier font monter en moi une profonde nausée. Ce ressenti est provoqué à la fois par les actes commis par cet homme dans le cadre de son ministère sacramentel de prêtre – cette perversion de la grâce et de la miséricorde est un véritable péché contre l’Esprit Saint – mais aussi par cette disproportion dans l’imposition de faibles sanctions pour des faits si graves, qui en d’autres temps auraient été sanctionnés par une excommunication.

La justice canonique s’est révélée au cours des dernières décennies incapable de juger ces nombreux crimes odieux. Je ne crois plus, et je pèse mes mots, à la capacité de l’institution ecclésiale à rendre justice en matière pénale. C’est pour cela que j’encourage toujours les victimes qui me consultent à d’abord se tourner vers la justice des hommes.

Le droit canon est souvent utilisé pour défendre le puissant face au faible, alors que la raison d’être du droit est de protéger le faible du fort. Si le droit civil concerne les rapports entre les individus, le droit pénal concerne le rapport entre la société et les individus.

Le droit pénal dans son application dit comment une société comprend et protège des valeurs fondamentales du vivre-ensemble. C’est à ce niveau-là que l’institution catholique a terriblement échoué. La pratique canonique pénale reflète une compréhension du vivre-ensemble ecclésiale où les clercs et en particulier les évêques règnent en maîtres absolus.

Même si le souverain pontife a tenté d’insuffler un esprit nouveau, le droit pénal canonique est administré par des hommes d’Église qui trop souvent encore préfèrent protéger l’institution que le Peuple de Dieu. Encore récemment dans le cas des accusations envers le cardinal Ouellet, le Vatican a montré une incapacité de l’institution à appliquer ses propres textes. Il est possible de court-circuiter le droit de différentes manières, par exemple en le pervertissant par une interprétation fallacieuse ou bien encore en s’assurant de nommer des personnes que l’on sait ne pas avoir suffisamment de compétences ou bien trop partisanes de la défense de l’institution. Ces stratégies systémiques sont bien connues et sont redoutablement efficaces.

Mon vieux professeur de droit canonique me disait : « Si vous devez avoir une raison d’étudier le droit canon, cela doit être pour protéger le Peuple de Dieu. » Hélas dans le système de l’Église catholique, nous sommes loin du compte. C’est la culture ecclésiale qui doit profondément changer. Ce sont les cœurs qui doivent se convertir. De trop nombreuses fois, la miséricorde est brandie comme un étendard de vertu chrétienne mais en fait elle ne sert qu’à enfoncer davantage les victimes dans le silence et le désespoir.

Je suis de plus en plus attristé par ces nombreuses personnes qui n’en peuvent plus de cette situation et décident de quitter l’Église pour survivre. Mon cœur de pasteur est profondément blessé par cette Église qui regarde sans bouger ses enfants partir, voire pire qui les méprise. Je dis à mes frères et sœurs qui partent pour enfin vivre : « N’ayez crainte, même si l’Église ne vous a pas aimés comme elle aurait dû, Dieu lui vous sera toujours fidèle. Le Salut est aussi possible hors de l’Église. »

Je relis encore aujourd’hui avec une profonde tristesse mais aussi comme un appel impérieux le livre du prophète Osée (2, 3-6, 16) : « Dites à vos frères : ”Mon Peuple”, et à vos sœurs :” Bien-aimée”. Accusez votre mère, accusez-la, car elle n’est plus ma femme, et moi, je ne suis plus son mari ! Qu’elle écarte de son visage ses prostitutions, et d’entre ses seins, ses adultères. Sinon, je la déshabille toute nue, je l’expose comme au jour de sa naissance, je la rends pareille au désert, je la réduis en terre aride et je la fais mourir de soif. Pour ses fils, je n’aurai pas de tendresse, car ils sont des fils de prostitution. »

Mais j’ose encore avoir la foi en la fidélité de Dieu qui lui seul peut sauver son Église : « C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai de cœur à cœur. »