(12° D. TO. B — Mc 4, 35-41) Nous sommes toujours au ch. 4 de Marc, après l’enseignement parabolique, et spécialement de deux petites paraboles sur la puissance de la vie que nous écoutions dimanche dernier.
Une urgence inattendue
Nous sommes le même jour, mais déjà le soir (« Ce jour-là, le soir venu », v. 35). Première étrangeté. Audace ou folie ? Les traversées de nuit ne sont pas les plus simples, ni les moins risquées. Pourquoi un tel départ à cette heure tardive ? On perçoit Jésus pressé par l’urgence. La destination peut nous donner une clé de compréhension. L’autre rive équivaut à ce territoire plus à l’Est composé de cités de culture gréco-romaine, la Décapole (5,20). L’urgence de porter l’Évangile sans frontière apparaît dès maintenant. Marc écrit aussi : « ils emmenèrent (litt. ils prennent) Jésus avec eux comme il était dans la barque » (v. 36), cette barque où il était assis pour parler. Pas le temps de manger ni d’autre chose, les disciples montent dans la barque, et finalement prennent Jésus comme simple passager, et exécutent son ordre.
Le sommeil dans la tempête
La tempête1 qui survient est effroyable et le danger mortel. Les disciples sont confrontés à la réalité du danger et de la mort. Leurs paroles sont un cri de détresse : Nous sommes perdus ! Et la comparaison devient saisissante entre la légitime peur des disciples et Jésus, tranquillement assoupi sur son coussin. Deux mondes. Eux sont angoissés, lui dort d’un sommeil assimilé ici à de l’indifférence. Comment ne pas penser à ces situations graves où le Seigneur paraît absent de nos vies, silencieux ? Cela ne te fait rien ? L’attitude de Jésus peut effectivement surprendre : il est présent et absent à la fois.
La scène décrite n’est pas sans lien avec le récit du livre de Jonas. Ce prophète endormi d’une autre tempête, livra sa vie pour sauver ses compagnons d’infortune, et demeura trois jours dans le ventre d’un poisson avant de revoir la lumière. Jonas suggère déjà la Passion et la Résurrection de Jésus, et l’universalité de son Salut. Comme Jonas s’adressa à la ville païenne de Ninive en vue du pardon et de sa conversion, l’Évangile fait route vers un territoire païen. Et le récit suivant montre la délivrance du possédé de Gérasa (la liturgie a dissocié les 2 récits).
La mort conjurée
Quand Jésus s’éveille, la puissance de vie oeuvre. Sa parole chasse la tempête comme elle a chassé le mal et les esprits impurs2. Bien plus, à travers le vent et la mer, c’est la mort qui est vaincue. Sa parole sauve les passagers d’une mort, inéluctable il y a quelques instants. Les disciples sont vivants grâce à lui. Il n’empêche pas les tempêtes, malgré sa présence à bord. Mais seule sa parole rétablit le calme et la paix.
Cette parole est à la poupe, autrement dit à la gouverne. Tel un timonier, la parole de Jésus dirige la barque des disciples en toute sûreté. Et Jésus souligne le manque de foi de ses disciples. Comptant sur leurs seules compétences, ils avaient pris Jésus à bord comme un passager que l’on transporte. Les rôles s’inversent : Jésus prend le commandement. Il n’est ni un simple passager, compagnon de voyage, ni un maître de sagesse (didascale, l’enseignant), ni un prophète, ni un guérisseur. Sa parole exprime l’autorité même de Dieu qui règne et gouverne sur toute la création, depuis le fond de la mer jusqu’au vent du ciel.
Où plaçons-nous Jésus dans nos vies ?
La parole du Christ a toute l’autorité de la parole de Dieu. Celle qui crée et donne vie. Laisser la parole dormir sur une étagère, sur un ambon, et surtout dans sa vie, revient à vouloir mener sa barque sans lui. Réveiller la Parole signifie non seulement l’écouter mais aussi la laisser agir à la gouverne de son Église et de nos vies. La question est posée : qui est-il donc celui-ci, à qui le vent et la mer obéissent ? Mais tout autant cette autre question : où donc est notre foi en sa parole et en lui ? Car on peut découvrir en filigrane l’attitude de foi à laquelle nous sommes appelés, au coeur des tempêtes provoquées par les puissances de mort, malgré le sommeil apparent du Seigneur… Nous rejoignons ainsi les paraboles précédentes : « qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit » (v. 27).
« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »
1Le terme grec employé, lailaps, « tourbillon de vent avec pluie », « ouragan », est peu courant.
2On ne peut manquer de relever que les deux verbes « tancer » (Mc 4, 39, traduit par « il menaça ») et « museler » (Mc 4, 39, traduit par « tais-toi ! ») se trouvent tous deux dans le premier exorcisme de Mc (1, 25).