25° D. TO A. Avec cette parabole, nous sommes sans une partie de l’évangile selon Matthieu (ch. 19-20) qui illustre le retournement évangélique. L’impossible amour (question sur le divorce), l’impossible détachement (l’homme riche), l’acceptation que le dernier ait tout autant à recevoir que le premier (notre parabole), devenir petit et servir plutôt que d’avoir des places d’honneur (les places dans le Royaume), la guérison donnée avec bonté malgré les protestations (les 2 aveugles).
Appelés et envoyés travailler
Cette parabole, comme plusieurs autres, a pour but de parler du Royaume des cieux (v. 1). Sans nous dire ce qu’il est, on nous dit qu’il faut y travailler. Jésus prend comme point de comparaison le travail dans une vigne, situation familière à ses auditeurs. Un vignoble nécessitait beaucoup d’employés, que ce soit pour tailler les plants ou pour entretenir les sillons d’irrigation. Il en fallait encore davantage au temps des vendanges pour ramasser les grappes et presser le raisin.
Que représente ce travail ? En raison du verbe « envoyer», apostellô en grec (il les envoya à sa vigne, v. 2), nous pouvons y reconnaître le labeur missionnaire d’annonce de la Parole. Mt utilise en effet le même verbe que pour l’envoi des Douze en mission en 10, 5. Travailler au Royaume de Dieu est ouvert à tous et à tout moment…
Que représente la durée ? Sans doute la durée dans une vie de l’engagement au service de l’annonce. Les derniers, qui vont travailler douze fois moins que les premiers, juste une heure ! Mais ils ne sont pas des fainéants. « Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, (sans rien faire ? v.3 & v. 6) — Parce que personne ne nous a embauchés » (v. 6-7). Ce n’est pas de leur faute1. Ceux et celles qui ne cheminent pas dans la foi ne sont pas nécessairement des pécheurs endurcis ou des personnes de mauvaise volonté. Peut-être n’ont-ils tout simplement pas eu la chance de rencontrer quelqu’un qui fasse résonner à leur cœur l’appel du Seigneur…
Une distribution du salaire étonnante
L’étape de la rémunération, de la rétribution, est essentielle pour ceux qui ont une calculette dans la tête. Elle renvoie à la récompense que chaque personne recevra pour son engagement au service de l’Évangile. Cette interprétation s’impose d’autant plus que Matthieu nomme kyrios — en français « seigneur » — le personnage qui fait distribuer le salaire. Il s’agit d’un titre donné fréquemment à Dieu dans l’Ancien Testament grec que lisaient les premiers chrétiens. Car c’est bien de Dieu dont il va être question.
À la demande explicite du Seigneur de la vigne, le salaire est distribué en commençant par les derniers engagés. S’établit alors un lien avec la leçon que Matthieu tire de la parabole au verset 16 : « Ainsi les derniers seront (comme les) premiers et les premiers seront (comme les) derniers », parole de Jésus qui se trouve déjà juste avant la parabole en 19, 30. Certains l’appellent « parole flottante »2, ce qui signifie que si l’on sait que Jésus l’a dite, on ignore à qui il l’a dite, quand et pourquoi. Elle illustre le retournement, et ce qu’il faut entendre par « ce qui est juste » aux yeux de Dieu (« Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste », v. 4). Le propriétaire fait montre d’une très grande générosité. Il manifeste une bonté exceptionnelle, excessive, à l’égard des derniers embauchés.
La générosité de Dieu est autre que la justice humaine
Jésus veut démontrer par sa parabole la façon dont Dieu exerce la justice envers les humains. Notre Dieu est au-delà et en-deçà des règles terrestres. C’est pourquoi l’ouvrier qui murmure (gogguzô) et critique se voit répondre : « ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (v. 15 ; cf. 6, 22 où mauvais s’oppose à simple). Cette réponse essaie de lui faire comprendre que c’est parce qu’il voit mal, à cause d’un problème de vision, qu’il n’arrive pas à comprendre son comportement à lui. Façon très délicate de corriger le Schtroumpf Grognon. Et de nous inviter à une réflexion sur nos préjugés et sur le regard que nous portons sur Dieu et sur les autres…
« Mon ami… » (en Mt, chaque fois que Jésus utilise le titre d’« ami », c’est pour s’adresser à quelqu’un qui est en tort3), la générosité ne lèse personne. Dieu n’accorde pas son salut en fonction du mérite. Dans son amour généreux, Dieu désire donner ce qu’il a de meilleur même à ceux et celles qui n’ont pas eu la possibilité de s’engager longuement pour la cause de l’Évangile. C’est moins une offre d’embauche attractive qu’un avertissement. Le lecteur doit s’attendre à des surprises au moment du jugement. Dieu accordera l’entrée dans le Royaume des cieux à des personnes qu’on n’imagine pas y voir. Le jugement opérera un étonnant renversement de situation en raison même de la bonté et de la libéralité de Dieu.
Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées (Is 55, 9).
1Trait d’humour. On peut insister lourdement sur la sélection, les premiers étant les plus costauds, on peut aboutir à ce commentaire que j’ai lu sur un site internet : « On commence toujours par choisir ceux qui semblent les plus forts, les plus en santé, les plus endurants ou les plus habiles si on les connaît déjà… il a continué de faire le tri avec les mêmes critères pour les ouvriers des heures suivantes. Dans notre culture, on pourrait dire qu’on est passé de la crème fraîche au lait 3 %, 2 % 1 %, lait caillé et babeurre ; autrement dit, les ouvriers de la 11e heure sont les restants des ouvriers du matin » ! Que dire du bon larron …
2On la retrouve en Mt 19, 30, Mc 10, 31, Lc 13, 31 ainsi que la parabole des invités à une noce en Lc 14, 7-11.
3Jésus appelle « ami » l’homme qui n’a pas le vêtement de noce (Mt 22, 12) et Judas qui s’approche pour le faire arrêter (Mt 26, 50).