Méditation sur Jean 11.
« Je suis venu pour qu’on ait la vie et pour qu’on l’ait en abondance » (Jn 10,10). Jésus veut nous combler au-delà de nos attentes… Jean en est tellement certain, lui qui a été témoin de cet épisode. Il nous y fait entrer un peu comme dans une histoire, l’histoire d’une tragédie qui finit bien… « Il y avait un malade, Lazare… » (v.1).
« Seigneur, celui que tu aimes est malade » (v.3).
C’est par cette prière toute simple, qui contient tout, que Marthe et Marie préviennent Jésus de l’état grave de son ami Lazare, leur frère. Dans l’amitié, point n’est besoin de beaucoup de mots. C’est une prière de demande qui ne demande rien, parce que c’est une prière de confiance.
« Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum… » (v.2).
Jean suppose l’épisode connu de ses lecteurs. En fait, il le mentionne au chapitre suivant (12,1-11). Il tient à ce que l’on puisse, dès le début, regarder Marie à la lumière de ce qu’elle fera peu après.
« Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu » (v.4).
La réponse de Jésus s’apparente à ce qu’il avait déjà dit de l’aveugle-né (9,3). C’est en tant que Dieu fait homme qu’il parle. Et il tient à ce que l’on sache ceci: Dieu n’est pour rien dans le mal; au contraire, il ne cesse de tirer le bien du mal. Et puisqu’il y a là un mal, celui-ci sera l’occasion pour Jésus de manifester son Amour, sa miséricorde, sa compassion… En toute circonstance, il nous faut voir le côté positif des situations, pour ne pas nous enfermer dans les pesanteurs. Il y a un problème, une difficulté? C’est l’occasion pour le Seigneur de montrer sa tendresse.
« Or Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare » (v.5).
Là encore, Jean tient à ce que l’on ait la certitude de l’amour de Jésus pour ses trois amis. Tout ce que nous allons lire se produit à l’intérieur de l’amour de Dieu, et non pas en dehors.
« Il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait » (v.6).
Jésus ne va pas bouger. Il va laisser s’accomplir l’irréparable… Lazare va mourir. S’il était parti immédiatement, peut-être serait-il arrivé à temps… Pourtant Jésus sait ce qu’il fait. Ce ne sont pas les apôtres qui vont réclamer, ils savent que Jésus risque sa vie en retournant en Judée. Dans nos prières de demande, Dieu nous éprouve par le temps, en nous faisant attendre. Il peut arriver que notre foi s’affaisse; mais souvent, dans l’attente, notre espérance va grandir et dilater notre coeur pour recevoir plus.
« N’y a-t-il pas douze heures de jour? » (v.9).
Comme dans l’épisode de la guérison de l’aveugle-né (9,4-5), Jésus signifie par ces paroles qu’il n’est pas au bout de sa mission, que son « temps », son « jour » n’est pas achevé. Il dispose encore de quelques semaines… Il est encore temps d’agir.
« Notre ami Lazare repose, mais je vais aller le réveiller » (v.11).
Jésus parle de la mort de Lazare en terme de sommeil et de ce signe qu’il va accomplir en terme de « réveil ». Le retour de Lazare à la vie n’est pas une résurrection à proprement parler, car celle-ci supposerait un corps délivré à jamais de la souffrance, du vieillissement, de la mort, un corps spirituel. Jésus va simplement donner un signe de la résurrection à venir, par ce « réveil » de Lazare.
« Lazare est mort, et je me réjouis pour vous de n’avoir pas été là-bas, afin que vous croyiez » (v.14-15).
Mystère de l’amour de Dieu… qui laisse s’accomplir un mal pour en tirer un plus grand bien… qui laisse souffrir ses amis… Lazare meurt, Marthe et Marie éprouvent cruellement ce départ et l’absence de Jésus. Mais Jésus va plus loin, et s’il n’a pas répondu à l’attente des deux soeurs, c’est que le retour de Lazare à la vie est d’un plus grand prix pour tous: « afin que vous croyiez », « afin que le Fils de Dieu soit glorifié » (v.4). Il nous est sans doute utile de le souligner: le contraste est grand entre la joie de Jésus, et la douleur de ses amis…
« Thomas, appelé Didyme, dit… Allons, nous aussi, pour mourir avec lui! » (v.16).
Curieuse, cette précision du surnom de Thomas, surtout quand on sait que « Didyme » signifie « le jumeau »… Il y a là un peu de malice de la part de Jean. Thomas n’envisage pas un seul instant que Jésus puisse rappeler Lazare à la vie, pas plus qu’il n’acceptera le témoignage de ses dix compagnons qui lui soutiendront avoir vu Jésus ressuscité (20,24-29). Egal à lui-même Thomas! C’est ici le Thomas jumeau de celui qu’on connaît mieux par l’autre épisode…
« Jésus trouva Lazare dans le tombeau depuis quatre jours déjà » (v.17).
Plus qu’il n’y restera lui-même! Et quand Jésus arrive, tout est fini, mais beaucoup d’amis sont encore là, pour entourer les deux soeurs. Et c’est Marthe qui va à sa rencontre, comme si elle l’attendait encore, tandis que Marie reste à la maison, effondrée.
« Marthe dit à Jésus: Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (vv.21-22).
Marthe reproche à Jésus son absence, mais elle manifeste une foi vive, qui attend l’impossible. « Maintenant encore »… Humainement, il n’y a plus rien à espérer, mais avec Jésus tout est possible. Sa prière est puissante sur le coeur de Dieu, et il peut obtenir l’impossible. Sans doute Marthe avait-elle déjà entendu parler de ces deux autres « retours à la vie » que Jésus avait accomplis pour cette petite fille et ce fils unique d’une veuve. Et Lazare est un ami…
« Jésus lui dit: ton frère ressuscitera » (v.23).
Par cette parole, Jésus ne désigne pas le « réveil » qu’il va accomplir. Il parle de la résurrection de tous les morts, à la fin des temps, de la « résurrection de la chair ». Il la promet à Marthe. La mort physique n’est pas la fin, il y a la résurrection.
« Je sais, dit Marthe, qu’il ressuscitera, à la résurrection, au dernier jour » (v.24).
Pour Marthe, cela semble acquis: je sais… Et sans doute attend-t-elle autre chose. Si Jésus est venu pour lui dire cela, d’une certaine façon, ce n’est pas la peine…
« Jésus lui dit: « Je suis la résurrection et la vie » (v.25).
Jésus demande à Marthe, avant tous les autres, de se tourner vers lui, car il peut tout. Il est la Vie, il est la Résurrection, il est Dieu fait homme. Marthe s’est adressée à lui comme à un ami très cher, dont elle pense peut-être qu’il est un prophète, ou même plus qu’un prophète… Mais Jésus lui demande de le reconnaître comme Messie – la Samaritaine (4,26.29) ou l’Aveugle-né (9,37-38) ont fait ce cheminement avant elle – et comme Dieu, ainsi que le dira Thomas après la résurrection: « Mon Seigneur et mon Dieu ».
« Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu? » (v.25-26).
Jésus pousse Marthe à un acte de foi plus précis encore que précédemment. Car c’est la foi en lui qui permet d’accueillir cette Vie et cette Résurrection. Celui qui croit, même s’il meurt physiquement, vivra éternellement; et celui qui vit physiquement aujourd’hui en croyant en Jésus est assuré de ne jamais mourir de mort éternelle… On remarque, évidemment, le croisement des plans, dans les paroles de Jésus… D’où sa parole sur le « repos et le réveil » de Lazare. Pour lui, la mort physique n’est pas une vraie mort, car la mort, c’est la séparation éternelle de Dieu. C’est par la foi en lui qu’on y échappe, et c’est le coeur de sa mission de salut pour tous les hommes. Jésus est venu franchir la mort physique pour nous affranchir de la mort éternelle; sa résurrection glorieuse sera l’assurance et la certitude de cette victoire.
« Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui vient dans le monde » (v.27).
L’acte de foi de Marthe est clair et sans faille. Elle reconnaît Jésus comme Messie et comme Dieu. Elle était prête à cela. Elle passe du « je sais » au « je crois ». Tout est dit maintenant. Et Marthe, très délicatement, va chercher sa soeur, dont elle sait qu’elle est murée dans sa souffrance; il faudrait qu’elle puisse croire, elle aussi… « Le Maître est là, et il t’appelle »… Quand on souffre et qu’on accuse Dieu, il reste toujours proche…
« Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort! » (v.32).
C’est le même reproche que Marthe avait fait. Il n’y avait d’ailleurs rien d’autre à dire. L’amertume et la déception, à la mesure de l’amitié qu’elle portait à Jésus. Dans ce cas, ou bien l’on reste bloqué sur sa souffrance, et c’est le cas de Marie, ou bien l’on va plus loin en acceptant de croire quand même en Dieu, et c’est le cas de Marthe.
Marie pleure… les Juifs qui l’accompagnent pleurent… D’ailleurs, ils pensaient qu’elle se rendait au tombeau pour pleurer…
Marie est fermée sur sa souffrance; cependant, il faut lire, au chapitre 12, l’épisode de l’onction, où saint Jean nous montre une Marie qui s’est enfin ouverte, ô combien, à l’amour de Jésus. Toute retournée, et comprenant qu’en rappelant son frère Lazare à la vie Jésus a signé son arrêt de mort, elle vient lui dire toute sa reconnaissance, avec cette démesure qui est seule à la hauteur du don que Jésus va faire de sa vie… Mais pour l’instant, Marie pleure…
« Lorsqu’il la vit pleurer… Jésus fut irrité intérieurement et s’indigna » (v.33).
Ce n’est pas ainsi que traduisent les Bibles françaises actuellement en usage, mais cette traduction peut se justifier.
Le verbe « embrimaomaï » employé ici et un peu plus loin, exprime une réaction de colère ou d’indignation. C’est ainsi qu’il est traduit, dans ses trois seuls autres emplois dans le Nouveau Testament par « rudoyer » (Mt 9,30, Jésus rudoie deux aveugles guéris; Mc 1,43, il rudoie le lépreux guéri; Mc 14,5, les apôtres rudoient la femme qui vient répandre du parfum sur la tête de Jésus, laquelle pourrait bien être Marie de Béthanie…). Ici, Jean nous dit que Jésus « rudoie » Marie « en esprit », c’est-à-dire qu’il la « gronde » (autre signification du verbe embrimaomaï) intérieurement…
Le deuxième verbe, « tarassô », qu’on voudrait rapporter à l’émotion de Jésus, est employé au chapitre 5 pour désigner l’agitation de l’eau de la piscine de Béthesda; il « n’exprime jamais en Jean une réaction de sympathie mais d’effroi (14,1.27) et de répulsion devant sa propre mort (12,27), devant la trahison (13,21) » (H. Van den Bussche). On peut légitimement penser qu’il veut exprimer ici plus qu’une forte émotion, mais une agitation, un trouble qu’on pourrait appeler de l’impatience ou plutôt de l’indignation. Jésus accepte, ô combien, qu’on puisse pleurer un mort, mais il n’admet pas qu’on puisse pleurer devant lui comme devant un mort…
« Où l’avez-vous mis? – Seigneur, viens et vois. – Jésus pleura » (v.34-35).
Jésus, lui aussi, pleure un ami très cher. Il ressent douloureusement l’atteinte de la mort, de la corruption, car il aime Lazare: « Voyez comme il l’aimait » (v.36). Mais il est venu pour le « réveiller ».
« Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas? Alors, Jésus, irrité à nouveau en lui-même, se rend au tombeau »(v.37-38).
Ce reproche, qui rejoint celui des deux soeurs, mais avec une pointe de dureté, est bien logique. Devant le spectacle du mal, on accuse Dieu de ne rien faire. Mais Jésus n’accepte pas cette attitude, car, encore une fois, en sa présence, elle manifeste un manque de foi… Jésus s’en indigne, s’en irrite… Depuis le début du récit, nous savons que Jésus a volontairement laissé mourir Lazare en vue de la gloire de Dieu qui se manifestera par son retour à la vie; les juifs, au contraire, interprètent ce « laisser mourir » comme un signe d’impuissance…
« Enlevez la pierre! Marthe lui dit: il sent déjà: c’est le quatrième jour » (v.39).
La demande de Jésus, un ordre plutôt, prend Marthe au dépourvu. Elle qui avait pourtant mis toute sa foi en Jésus, est comme prise de vertige devant les conséquences concrètes… Même la plus grande foi est encore en dessous de ce que Dieu veut donner. Qu’on se rappelle Pierre marchant sur les eaux (Mt 14,28-33)…
« Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu? » (v.40).
Jésus vole au secours de Marthe, comme il l’avait fait pour Pierre. Jésus demande une foi ferme, qui n’hésite pas, il le dit ailleurs (Mc 11,23). C’est comme s’il demandait notre foi pour agir. Et Jésus provoque Marthe à aller plus loin dans sa foi… La foi ferme obtient la manifestation de la gloire de Dieu.
« Père, je te rends grâces de m’avoir exaucé… qu’ils croient que tu m’as envoyé » (v.41-42).
La prière de Jésus est toute simple, précisément parce qu’elle possède la certitude du Fils qui ne doute pas de son Père. C’est pourquoi Jésus commence par rendre grâces. Il redit que ce miracle a pour but d’ouvrir les disciples, les deux soeurs, les Juifs, nous-mêmes, à la foi en lui, qui est la Résurrection et la Vie. Le but de l’exaucement de la prière est l’amour et la foi.
« Lazare, viens dehors… Déliez-le et laissez-le aller » (v.43-44).
Et Jésus opère publiquement le miracle du retour de Lazare à la vie. Ce faisant, comme la suite de l’Evangile le montre, Jésus signe son propre arrêt de mort auprès de ses adversaires… C’est que Jésus veut passer la mort physique pour nous libérer de la mort éternelle. Le « réveil » de Lazare n’en est qu’un signe… qui montre que Jésus a pouvoir sur la mort, sur toute mort…
Jésus a exaucé la prière des deux soeurs. Et la façon dont il l’a fait nous donne à réfléchir. Dieu exauce nos prières de demande. Il donne rarement comme on demande, et plus rarement encore quand on le demande. Mais il donne plus que ce qu’on a demandé…
« Beaucoup… qui avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui » (v.45).
Toute cette méditation que nous donne saint Jean gravite autour de la question de la foi. La foi en l’Amour de Dieu plus fort que le Mal et la Mort. Elle nous aide, quant à nous, à « croire sans voir », comme Jésus le dira à Thomas après sa propre résurrection: « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jn 20,29).
P. Dominique Auzenet