Sur le site de France Catholique, une recension de Philippe Verdin
Damien Le Guay, La Mort en cendres – la crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ? Cerf, 202 p., 17 euros.
La question est presque tabou. Seuls pour l’instant les romanciers ont osé l’aborder, Milan Kundera, ou François Taillandier récemment, dans un chapitre plein d’humour de son Time to turn. Il raconte la dispersion des cendres de François Rubien par ses enfants, en catimini, dans une rue de Belleville. « Jeanne, Nicolas, Philippe, Emmanuelle et Maurice bredouillent un « Je vous salue Marie » sur le trottoir et dès le lendemain de bonne heure, une arroseuse de couleur verte descendrait lentement la rue de Belleville, expédiant sur le caniveau son jet horizontal et désinfectant. » Comment en est-on arrivé là ?
Damien Le Guay rappelle avec les anthropologues et les psychanalystes la violence faite aux vivants quand le corps aimé est basculé dans un four, quand les cendres se promènent dans l’urne d’un coffre de voiture à un dessus de cheminée, quand il n’y a pas de lieu pour vivre le deuil, quand il n’y a plus de tombe pour faire mémoire des disparus.
Mais surtout il prend la crémation comme un indice psychologique et social. « Ce désir de cendre, ce souhait d’effacement est la conséquence ultime d’un échec social de singularisation. Le corps, même s’il est en voie de décomposition, reste ce que nous avons de plus singulier. » Des obsèques bâclées, symbole de vies ratées ? Choisir la crémation serait l’indice que nous n’avons rien à transmettre, ou rien envie de transmettre aux survivants. « L’inhumation réussie suppose un échange, une transmission ». Le corps, éperdument sacralisé jusque dans la vieillesse, deviendrait soudain encombrant. Le corps n’est plus une identité mais le moyen de la jouissance. La mort venue, plus besoin d’un corps encombrant puisqu’il n’y a plus de plaisir physique à espérer. On est passé de la notion de « corps qui est moi » à celle de « corps qui est à moi » et dont j’use comme bon me semble. Quand il est fini, on le jette au feu.
La mort rapetissée est le signe également de la fatigue de la vieille Europe. Car la civilisation est née le jour où les hommes ont commencé à enterrer les défunts. La philosophe Chantal Delsol, dans un essai important intitulé L’âge du renoncement, a montré que notre culture européenne était parvenue à un stade de résignation sereine, de renoncement à tous les défis de la royauté de l’homme. Elle pense que notre civilisation est en train de revenir à l’ère préchrétienne. Ce monde païen où l’on brûlait les corps…
L’ouvrage de Damien Le Guay, plein d’audace et de poésie, aborde avec délicatesse mais aussi franchise les questions que chacun doit se poser pour choisir sa mort, et se donner les moyens de préparer une belle mort.