Discours du pape François le 21 septembre à Tirana, Albanie
Chers amis,
Je suis vraiment heureux de cette rencontre, qui réunit les responsables des principales confessions religieuses présentes en Albanie. Je salue avec un profond respect chacun de vous et les communautés que vous représentez ; et je remercie de grand cœur Monseigneur Massafra pour ses paroles de présentation et d’introduction. Il est important que vous soyez ici ensemble : c’est le signe d’un dialogue que vous vivez quotidiennement, en cherchant à construire entre vous des relations de fraternité et de collaboration, pour le bien de la société tout entière.
L’Albanie a été tristement témoin de telles violences et de tels drames que peut causer l’exclusion forcée de Dieu de la vie personnelle et communautaire. Quand, au nom d’une idéologie, on veut expulser Dieu de la société, on finit par adorer des idoles, et bien vite aussi l’homme s’égare lui-même, sa dignité est piétinée, ses droits violés. Vous savez bien à quelles brutalités peut conduire la privation de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, et comment à partir de ces blessures se forme une humanité radicalement appauvrie, parce que privée d’espérance et de référence à des idéaux.
Les changements survenus à partir des années 90 du siècle dernier ont eu comme effet positif aussi celui de créer les conditions pour une liberté de religion effective. Cela a donné à chaque communauté la possibilité de raviver des traditions qui ne s’étaient jamais éteintes, malgré les persécutions féroces, et a permis à tous d’offrir, également à partir de sa propre conviction religieuse, une contribution positive à la reconstruction morale, avant la reconstruction économique du pays.
En réalité, comme l’a affirmé saint Jean-Paul II dans sa visite historique en Albanie en 1993, « la liberté religieuse […] n’est pas seulement un don précieux du Seigneur pour ceux qui ont reçu la grâce de la foi : elle est un don pour tous parce qu’elle est la garantie fondamentale de toute expression de la liberté […] Il n’est rien qui nous rappelle, autant que la foi, que, si nous avons un unique Créateur, alors nous sommes tous frères ! Ainsi, la liberté religieuse est un rempart contre les totalitarismes et une contribution décisive à la fraternité humaine » (Message à la nation albanaise, 25 avril 1993).
Mais il faut tout de suite ajouter : « La vraie liberté religieuse a horreur des tentations de l’intolérance et du sectarisme et promeut des attitudes de dialogue respectueux et constructif » (ibid.). Nous ne pouvons pas ne pas reconnaître combien l’intolérance envers celui qui a des convictions religieuses différentes des siennes propres est un ennemi particulièrement insidieux, qui malheureusement se manifeste aujourd’hui en différentes régions du monde. En tant que croyants, nous devons être particulièrement vigilants pour que la religiosité et l’éthique que nous vivons avec conviction et dont nous témoignons avec passion s’exprime toujours par des attitudes dignes du mystère que l’on entend honorer, en refusant avec résolution comme non vraies, parce que non dignes de Dieu ni de l’homme, toutes ces formes qui représentent un usage déformé de la religion. La religion authentique est source de paix et non de violence ! Personne ne peut utiliser le nom de Dieu pour commettre de la violence ! Tuer au nom de Dieu est un grand sacrilège ! Discriminer au nom de Dieu est inhumain.
De ce point de vue, la liberté religieuse n’est pas un droit qui puisse être garanti uniquement par le système législatif en vigueur, qui est aussi nécessaire : c’est un espace commun, une atmosphère de respect et de collaboration qui est construit avec la participation de tous, même de ceux qui n’ont aucune conviction religieuse. Je me permets d’indiquer deux attitudes qui peuvent être d’une utilité particulière dans la promotion de cette liberté fondamentale.
La première, c’est celle de voir en tout homme et en toute femme, même en ceux qui n’appartiennent pas à sa propre tradition religieuse, non des rivaux, encore moins des ennemis, mais bien des frères et des sœurs. Celui qui est assuré de ses convictions propres n’a pas besoin de s’imposer, d’exercer des pressions sur l’autre : il sait que la vérité a sa force de rayonnement propre. Nous sommes tous, au fond, des pèlerins sur cette terre, et au cours de notre voyage, tandis que nous aspirons à la vérité et à l’éternité, nous ne vivons pas comme des entités autonomes et autosuffisantes, ni comme des individus ni comme des groupes nationaux, culturels ou religieux, mais nous dépendons les uns des autres, nous sommes confiés aux soins les uns des autres. Chaque tradition religieuse, à l’intérieur d’elle-même, doit réussir à rendre compte de l’existence de l’autre.
Une seconde attitude est l’engagement en faveur du bien commun. Chaque fois que l’adhésion à sa propre tradition religieuse fait germer un service plus convaincu, plus généreux, plus désintéressé pour la société tout entière, il y a un exercice authentique et un développement de la liberté religieuse. Celle-ci apparaît alors non seulement comme un espace d’autonomie légitimement revendiquée, mais comme une potentialité qui enrichit la famille humaine par son exercice progressif. Plus on est au service des autres, et plus on est libre !
Regardons autour de nous : combien sont nombreux les besoins des pauvres, combien nos sociétés doivent encore trouver des chemins vers une justice sociale plus répandue, vers un développement économique inclusif ! Combien l’âme humaine a besoin de ne pas perdre de vue le sens profond des expériences de la vie et de récupérer l’espérance ! Dans ces domaines d’action, les hommes et des femmes inspirés par les valeurs de leur propre tradition religieuse peuvent offrir une contribution importante, même irremplaçable. C’est là aussi un terrain particulièrement fécond pour le dialogue interreligieux.
On ne peut dialoguer sans identité, ce serait un dialogue fantôme, il ne sert à rien. Chacun est fidèle à sa propre identité. Sinon, c’ets du relativisme.
Chacun de nous offre le témoignge de sa propre identé à l’autre, dans le dialogue avec l’autre. Le plus est important, c’est de marcher ensemble sans trahir son identité, sans la masquer, sans hypocrisie.
Il ne peut pas y avoir deux équipes: les Catholiques contre le reste!
Chers amis, je vous exhorte à maintenir et à développer la tradition de bonnes relations entre les communautés religieuses existantes en Albanie, et à vous sentir unis dans le service de votre chère patrie. Continuez à être signe, pour votre pays et pas seulement, de la possibilité de relations cordiales et de collaboration féconde entre des hommes de religions différentes. Et je vous demande une faveur, de prier aussi pour moi. J’en ai telement besoin. Merci. Que Dieu vous bénisse.
Sur le site de la Croix
Fusco/AFP
Dans son allocution devant le président albanais Bujar Nishani, dimanche 21 septembre, le pape a montré en exemple « le climat de respect et de confiance réciproque entre catholiques, orthodoxes et musulmans », « un bien précieux pour le pays ».
Cette visite, la deuxième d’un pape après celle de Jean-Paul II en 1993, a aussi ravivé la mémoire des martyrs de l’ancienne dictature.
Des musulmans se sont retrouvés dimanche 21 septembre à 7 heures du matin, dans une mosquée du centre de Tirana, pour prier afin que la visite du pape François dans leur pays se passe bien.
Pour le pape, l’Albanie donne un « beau signe pour le monde ». Par le choix singulier de ce pays des Balkans de 3,5 millions d’habitants, à majorité musulmane, pour son premier déplacement européen hors d’Italie, il a voulu mettre en valeur « la cohabitation pacifique et la collaboration entre ceux qui appartiennent à différentes religions ».
Sa brève salutation à la presse dans le vol vers Tirana, son allocution devant le président Bujar Nishani, puis sa rencontre avec les dirigeants des différentes religions, ont été autant d’occasions d’apprécier « le climat de respect et de confiance réciproque entre catholiques, orthodoxes et musulmans », « un bien précieux pour le pays ».
« TUER AU NOM DE DIEU EST UN GRAND SACRILÈGE ! »
Sans référence explicite à l’actualité, marquée par les violences de l’organisation État islamique, le pape François a fait valoir l’exemple concret albanais « à notre époque où le sens religieux authentique est travesti par des groupes extrémistes ».
« La religion authentique est source de paix et non de violence ! Personne ne peut utiliser le nom de Dieu pour commettre de la violence ! Tuer au nom de Dieu est un grand sacrilège ! Discriminer au nom de Dieu est inhumain », a-t-il déclaré devant les dirigeants de cinq groupes religieux du pays, dimanche après-midi à l’université catholique de Tirana.
« Que personne ne pense pouvoir se faire de Dieu un bouclier lorsqu’il projette et accomplit des actes de violence et de mépris ! », avait-il mis en garde plus tôt, espérant que la coexistence interreligieuse en Albanie devienne « pour beaucoup de pays un exemple dont on s’inspire ! ».
En Albanie, cette cohabitation est d’autant plus frappante qu’elle succède à une négation complète et violente du fait religieux pendant la dictature d’Enver Hoxha. Les portraits suspendus à Tirana de 40 martyrs persécutés durant ce régime athée ou les taches de sang représentées sur le logo du voyage pontifical rappelaient dimanche combien l’Albanie revient de loin.
« Dans un passé récent, la porte de votre pays a également été fermée, bloquée par le verrou des interdictions et des prescriptions d’un système qui niait Dieu », a souligné le pape dans sonhomélie au cours de la messe dominicale célébrée en plein air, face à plus de 250 000 personnes.
Parmi elles, des musulmans et orthodoxes, désireux d’être aussi bénis par le pape, ainsi que des Macédoniens, Kosovars ou Monténégrins des pays voisins. De nombreux jeunes aussi.
« En repensant à ces décennies d’atroces souffrances et de très dures persécutions contre les catholiques, les orthodoxes et les musulmans, nous pouvons dire que l’Albanie a été une terre de martyrs », a poursuivi le pape François, s’attirant par moments les applaudissements qui tournèrent en ovation lorsqu’il fendit la foule en jeep découverte, malgré une fatigue visible.
« PLUS ON EST AU SERVICE DES AUTRES, ET PLUS ON EST LIBRE ! »
En 1993, au sortir de la dictature, Jean-Paul II avait déjà cité en modèle la cohabitation interreligieuse dans ce pays. « Le peuple albanais est exemplaire. Les trois grandes communautés religieuses entretiennent des rapports d’estime réciproque et de collaboration cordiale », avait-il déclaré, voyant dans la liberté religieuse retrouvée « un rempart contre les totalitarismes et une contribution décisive à la fraternité humaine ».
Ce qu’attend aussi Jorge Bergoglio de l’entente entre religions en Albanie. Au-delà de sa valeur d’exemple, elle doit favoriser l’essor de ce pays parmi les plus pauvres du continent.
« Chaque fois que l’adhésion à sa propre tradition religieuse fait germer un service plus convaincu, plus généreux, plus désintéressé pour la société tout entière, il y a un exercice authentique et un développement de la liberté religieuse », a-t-il fait valoir aux autres dirigeants religieux.
« Plus on est au service des autres, et plus on est libre ! », a-t-il résumé, incitant les confessions présentes à « (se) sentir unis dans le service de (leur) chère patrie ».
Si le pape n’a pas fait état dimanche de la candidature du pays à l’Union européenne, contrairement à Jean-Paul II en son temps, le secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Parolin, a indiqué sur la chaîne vaticane que « le Saint-Siège offre son soutien à l’intégration européenne de l’Albanie ».
Sébastien Maillard, à Tirana (Albanie)