La voix du berger

(4° Dim. Pâques B — Jn 10, 11-18) Nous retournons dans l’évangile selon saint Jean. Face à ceux qui ont jeté dehors l’aveugle-né (Jn 9), Jésus se présente comme la porte et le bon berger des brebis qui vient les conduire. C’est un discours d’encouragement envers une communauté johannique qui se voit refuser l’accès à la synagogue. C’est dans ce contexte dramatique qu’il faut comprendre ce discours de Jésus du chapitre 10, dont nous écoutons aujourd’hui la seconde partie.

Sortir de l’enclos

Il faut nous rappeler que dans le récit imagé (dans le début du chapitre 10), le berger appelle ses propres brebis pour les faire sortir de l’enclos. Ce verbe « faire sortir » rend compte de la situation des judéo-chrétiens de l’époque de Jean. Mais le récit attribue désormais, de manière ironique, cette sortie de la synagogue comme une initiative du berger lui-même. La perte du lieu de culte n’est pas un échec, ni une fin dramatique. Au contraire, c’est un événement qui met en lumière la primauté de la parole sur le lieu, l’initiative salutaire du berger sur ces voleurs pastoraux. Il convient de mesurer le drame épouvantable pour ces premiers chrétiens de l’église de Jean qui furent exclus de ce qui était leur lieu de rassemblement avec leurs autres frères juifs.

S’attacher à son berger

Mais l’évangéliste, à travers cette image, permet de qualifier autrement ce départ de l’enclos. La sortie de l’ancien troupeau est interprétée, non comme une exclusion, mais comme un acte de fidélité envers l’unique pasteur et à sa Parole. Jésus oppose la figure du berger à celles du voleur, du bandit et des étrangers.

Cette marche où le troupeau suit la voix de son berger, évoque également la longue marche du peuple de Dieu au désert où la nuée guidait les fils d’Israël fuyant l’esclavage de l’Égypte (Ex 14). Il faut parfois quitter le lieu pour rester fidèle à la Parole. À l’initiative de ce berger divin, ces brebis fidèles sont menées vers le salut, un avenir meilleur d’herbes fraîches.

Ce bon berger

Si Jésus est la Porte, il n’est pas seulement réduit à un rôle passif de médiateur. Il endosse maintenant l’image du bon berger. Le qualificatif bon ne désigne pas seulement la bonté du berger. Ce mot souligne aussi la qualité, la compétence, l’excellence de ce pasteur, tel un bon ouvrier. Son rôle est de bien garder son troupeau contre ces loups et mercenaires qui guettent le troupeau maintenant en exil. Car, après les heurts au sein de l’enclos d’hier, il y a les dangers du troupeau ecclésial d’aujourd’hui. C’est un bon berger et sa bonté tient de la fidélité héritée du Père, une qualité qui ne s’exprime pas dans un exclusivisme envers ces brebis de la première heure mais qui surabonde pour d’autres encore. C’est un bon berger qui veille encore plus loin que son troupeau. Et cette qualité va s’exprimer d’une manière peu ordinaire, en termes de don de sa vie.

Qui donne sa vie

Aucun réel berger ne donnerait sa vie pour de simples brebis. Certes, ils peuvent se mettre en danger pour la survie du troupeau, mais aller jusqu’à mourir pour elle ? Aucun berger ne donnerait sa vie pour de simples brebis sinon lui, l’unique et véritable berger qui littéralement « dépose » sa vie pour ses brebis.

Jésus associe ainsi son rôle de pasteur à la croix, comme il le fera encore dans son dernier discours à ses disciples : « Nul n’a de plus grand amour que celui qui dépose sa vie pour ses amis » (15,13). L’identité du berger se perçoit vraiment dans le « dessaisissement » de sa vie1. Le don de sa vie représente cet amour qu’il existe entre le Père et Lui. La communion réciproque entre le Père et le Fils fonde ce dessaisissement et l’amour du berger pour ses brebis.

Pour l’unité du troupeau

Être de l’enclos n’est pas la condition d’appartenance au berger. Quand Jean réfléchit l’unité du troupeau, il cherche à révéler celui qui le conduit. Seule compte la voix. « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos ». Le troupeau est en devenir, lecteurs et auditeurs restent attentifs à l’écoute de la parole de Jésus. Jean ne s’intéresse pas à l’organisation de la vie commune, ce serait rester dans l’enclos. C’est dans l’écoute, la manducation de la Parole qu’est donnée la vie en abondance. Jésus est la porte toujours ouverte, l’accès éternel menant au Père.

La pastorale des vocations dont nous avons besoin, n’est-ce pas éduquer à l’écoute de la voix de Jésus, le bon Pasteur ? N’est-ce pas aussi celle qui dénonce les voleurs de brebis, ceux qui escaladent l’enclos en présentant de fausses doctrines appétissantes, les impostures qui guettent toute communauté…

En nul autre que Jésus, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver (Ac 4, 12)


1Expression typique du milieu johannique : 13,37-38 ; 15,13 ; 1 Jn 3,16.