(7° dim. Pâques B — Ac 1, 15--26) Entre l’ascension de Jésus et la Pentecôte, faut-il considérer cette période d’une dizaine de jours comme une sorte de vide ? Jésus ressuscité est rentré dans l’invisible… l’Église ne semble pas encore avoir commencé son œuvre… Que se passe-t-il donc ? Rien ? Sûrement pas. En effet, lorsqu’on regarde de près les Évangiles, les Actes et les Lettres des Apôtres, on constate à quel point ce temps d’une dizaine de jours a été fécond : Séparation d’avec Jésus — Annonce de sa Venue glorieuse — Prise de conscience de son exaltation à la droite du Père — Prière pour attendre et se préparer à la venue de l’Esprit Saint — Complément du groupe des Apôtres avec l’élection de Matthias — Accueil de l’Esprit Saint L’épisode du choix de Matthias est proposé ce dimanche. Les Onze redeviennent les Douze. Mais pourquoi ? D’autant plus que le groupe des Douze interviendra peu par la suite…
La mort de Judas
Pourquoi reparler de Judas ? Il était l’un de nous dit Pierre à son propos. Lui aussi avait reçu sa part de ministère : il fut de ceux que Jésus a choisis. Dès lors, Jésus, le Fils glorifié de Dieu s’était-il trompé ? Il serait erroné de penser que l’apôtre fut choisi en vue de sa trahison. Ce serait trahir le libre arbitre et renier ce salut apporté à tout pécheur. Luc rappelle d’abord combien la Passion ne s’oppose pas au dessein de Dieu, mais vient le révéler. Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? (Lc 24,26). La trahison s’inscrit dans ce plan.
Mais ce n’est pas tant la trahison qui intéresse ici Luc que la mort du traître. Sa mort, sans qu’elle soit reliée à une action divine, est présentée comme la conséquence de son choix injuste. Dans la version de Luc, la mort de Judas est horrible : chute tête en avant, ventre éclaté, entrailles répandues1. Tandis que Jésus fut élevé sur la croix, comme au ciel (1,9-11), Judas meurt en s’écrasant pitoyablement. Et les entrailles répandues du traître contrastent avec les entrailles miséricordieuses de Jésus et du Père (Lc 1,78 ; 7,13).
Lorsque Pierre s’adresse, en tant que chef des Douze, aux Apôtres et aux disciples, en vue de trouver un successeur à Judas, ils ont à choisir celui qui occupera, « dans le ministère de l’apostolat, le ‘lieu’ qu’a délaissé Judas, pour s’en aller en son ‘lieu’ à lui » (Ac 1, 25). Le plus grand nombre des interprètes anciens, modernes et contemporains, considèrent que cette expression de Pierre, dans ce contexte, désigne le lieu (topos) de la perdition éternelle, l’enfer des damnés. Il en va de même pour l’interprétation juive
La puissance du symbolisme
La mort du traître ne met pas fin à l’espérance du Royaume signifié par les Douze. L’aventure de l’Évangile, plus forte que la mort et la trahison, doit se poursuivre. Dans la fidélité au choix de Jésus, il faut donc reconstituer le groupe des Douze, par respect pour le symbolisme ainsi établi.
Car les Douze ont été choisis par Jésus lui-même (Lc 6,12-16) en référence aux Douze tribus d’Israël. Par cette instauration de Douze disciples, Jésus affirmait, dans un geste prophétique, la venue du Royaume de Dieu. En reconstituant le groupe des Douze, Pierre redonne chair à leur fonction prophétique d’annonce du Royaume à venir (Ac 1,6-8) jusqu’au retour du Christ (1,9-11).
Trois critères pour le choix de ce deuxième douzième Apôtre. Le premier critère, moins apparent mais tout de même évident, demeure la confession de foi en « Jésus Seigneur ». Le nouvel Apôtre sera choisi parmi ceux qui ont accompagné Jésus. S’ensuit un critère d’ordre chronologique : être disciple depuis le baptême jusqu’à son élévation. Enfin, un autre critère, qui est d’abord de l’ordre de la mission : devenir témoin de sa Résurrection.
Montre-nous lequel tu as choisi
Cet appel naît aussi, et peut-être surtout, de la prière de l’assemblée. La communauté, dans son discernement, se laisse guider par son Seigneur. Quant au tirage au sort, il relève d’une pratique usuelle dans le monde antique. Il n’est pas sans rappeler le choix des services du Temple (1 Ch 25,8-9) comme cela fut le cas pour Zacharie (Lc 1,9). Les disciples s’en remettent ainsi au Seigneur et Christ : c’est lui qui choisit, qui appelle comme il avait appelé chacun des Douze.
Joseph ou Matthias : les deux conviennent. Mais le texte peut nous laisser entrevoir que ce choix de Matthias est surprenant. Joseph nous a été présenté de manière assez élogieuse. Il bénéficie de deux noms, et d’un qualificatif : Joseph (nom juif très répandu), Barsabbas qui peut faire référence à son père ou sa lignée ou se traduire aussi par ‘né un sabbat’. Puis le texte ajoute son surnom le qualifiant de juste (Justus). Cette triade pourrait évoquer l’usage du nom dans la noblesse romaine (tria nomina) : un prénom, puis un nom patronymique et un surnom. À l’inverse, la présentation de Matthias est des plus brèves, pour ne pas dire des plus pauvres : un unique nom, assez commun, sans qualificatif, sans renommée. Mais c’est celui-ci que le Seigneur désigne. Et le choix du Christ et de l’Esprit nous surprendrons encore.
Voici la toute première transformation de l’Église juste après l’Ascension, qui attend alors la venue de l’Esprit. Pourtant, quelque temps après, Jésus lui-même ira chercher Paul, un outsider !
1L’évangile de Matthieu (Mt 27,3-5) raconte le suicide Judas par pendaison avant la mort de Jésus.