Le rôle de l’oraison pour développer la Foi

Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, extraits d’une conférence lors d’une retraite à N-D de Vie, 1964.

Notre grâce baptismale est faite de deux éléments :- la réalité de Dieu qui habite dans nos âmes, l’Esprit Saint dont nous sommes les temples (1 Co 3,16) ;- un organisme surnaturel composé des trois vertus théologales (foi, espérance, charité) et des dons du Saint Esprit qui perfectionne nos facultés naturelles.

Nous allons successivement examiner ces trois vertus théologales, que nous pouvons distinguer comme suit : la foi prend contact avec Dieu ; l’espérance marche vers Dieu ; la charité unit à Dieu.
Les trois vertus théologales nous permettent avoir des relations avec Dieu ; on pourrait presque dire qu’elles se trouvent au début, au milieu, et à la fin de cette relation. On comprend que Saint-Paul est affirmé que seule la charité demeure, car notre vocation éternelle est l’union d’amour avec Dieu.

1. La foi prend contact avec Dieu

La foi et cette vertu par laquelle nous prenons contact avec Dieu, nous adhérons à Dieu, nous adhérons à sa personne et à sa vérité. Un passage de l’Évangile illustre bien ce contact, c’est celui de la guérison de cette femme atteinte d’une perte de sang (Mc 5, 25-34). L’acte de foi produit toujours un effet ; il réalise le contact avec l’amour infini de Dieu qui se déverse, se diffuse en nous.

2. La foi est greffée sur l’intelligence

La magnifique image que Jésus a donnée à Sainte Catherine de Sienne nous le fait comprendre : la foi et la pupille de l’œil (1). Elle est greffée sur l’intelligence.
L’intelligence n’est faite que pour le domaine créé. Elle ne dépasse pas le domaine des idées humaines, le domaine fini. L’intelligence n’adhère qu’à l’évidence rationnelle. Or, devant le mystère de Dieu, mon intelligence essaye de raisonner, mais ne comprend pas. Elle se trouve pour ainsi dire bloquée devant le manque d’évidence.
L’intelligence n’est donc faite que pour le domaine fini. Or entre Dieu et moi, il y a l’infini. C’est pourquoi il faut que la foi entre en action ; elle a une aptitude à franchir cet espace infini et à adhérer à Dieu. Maintenant donc que je suis arrivé au bout de l’activité de mon intelligence, mon intelligence n’a plus qu’à se soumettre. Son dernier acte est un acte de soumission, de démission pour ainsi dire, mais en faveur de la foi qui est greffée sur elle.
Pour croire, il faut consentir à un sacrifice de la raison. Ce sacrifice est un geste d’humilité et de vérité devant Dieu. Par la foi, l’homme se décentre de lui-même et reconnaît qu’il n’est pas la mesure de toute chose. Ce sacrifice peut être plus ou moins ressenti suivant l’âge, la psychologie, la culture, la forme d’intelligence ; l’enfant, par exemple, est de plain-pied avec le mystère, puisqu’il n’a pas encore d’exigence rationnelle. C’est un peu le sacrifice d’Isaac par Abraham. Pour croire et persévérer dans la foi, il faut vouloir, donc il faut aimer. Et c’est bien l’amour qui donne la force de consentir à ce sacrifice de la raison.
On peut donc comparer la foi à un greffon sur un cep. Il se passe en effet ce que réalise le vigneron lorsqu’il veut greffer. Il a un cep qui a pris racine et qui a poussé. Il vient avec un sécateur. Il coupe la tige presque au ras du sol et la jette. Dans le cep qui reste, il fait une entaille et dans cette entaille il va placer un greffon, c’est-à-dire une tige de vigne d’une autre qualité, celle dont il veut avoir le raisin. Il l’attache, il recouvre de terre et laisse pousser. La greffe va devenir la véritable tige qui va pousser progressivement.

3. La foi grandit dans la prière d’oraison

Par le fait que je dis : je crois, l’acte de foi que je fais prend contact avec Dieu, adhère à Dieu, et prend possession de Dieu. La foi atteint Dieu, touche Dieu, pénètre dans les entrailles de Dieu, prend contact avec l’infini. Il n’y a que la foi qui puisse avoir ce contact. Saint Jean de la Croix nous dit qu’ici-bas, « la foi est le seul moyen prochain proportionné pour atteindre Dieu » (Montée 2,8).
Ce Dieu avec qui nous prenons contact fait l’Amour infini, et l’Amour se répand, il se diffuse, il est diffusif. Par conséquent, il y aura nécessairement un effet, pas forcément sensible, mais surnaturel. La prise de contact avec Dieu va amener une augmentation de la grâce.
D’où l’importance capitale et vitale de la prière d’oraison. Prière silencieuse, cœur à cœur avec Dieu, abandon et adoration. Nous allons à l’oraison pour trouver Dieu, pour établir ce contact, pour faire un vase communiquant avec lui. Et Dieu ne peut pas ne pas agir quand nous le touchons avec foi, une foi baignée de charité. Le vase communiquant se déverse en nous. En effet, est produite une augmentation de la grâce ; il s’opère en nous une transformation intérieure, « de clarté en clarté jusqu’à la ressemblance de Dieu » (2 Co 3,18).
La communion eucharistique est évidemment plus efficace, mais ici également, il y a communion (et de toute façon la foi est nécessaire pour recevoir les espèces eucharistiques). Il y a union par la contemplation. Saint Jean de la Croix dit de la contemplation qu’elle est un « langage de bouche-à-bouche et d’esprit à esprit avec Dieu ».
Certes, la foi se développe dans toute forme de relation à Dieu. Mais, c’est surtout dans cet exercice de vie contemplative que se fera cet affinement. Nous avons tous une vocation contemplative, puisque nous sommes tous destinés à la vision éternelle de Dieu.

4. L’obscurité est le régime normal de la foi

La foi, dit Saint Jean de la Croix, « prend possession de Dieu à l’état obscur » (Montée 2,8). La raison essentielle de cette obscurité provient de ce que nous n’avons pas ici-bas de connaissance directe, immédiate de Dieu.
Saint-Paul nous rappelle que nous cheminons non pas dans la claire vision, mais dans la foi :- « Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes hors de notre demeure, loin du seigneur, car nous cheminons par la foi, non par la vue » (2 Co 5,6).– « Nous voyons comme dans un miroir et de façon confuse » (1 Co 13,12).
Ce n’est pas là comme une infirmité ou une imperfection de notre foi que nous pourrions corriger par une plus grande ferveur, pour une prière plus intense. C’est notre situation de créature voulue par Dieu. L’obscurité ne relève pas d’abord de la médiocrité de la foi, mais de la nature même de la foi. Fondamentalement, constitutivement, l’obscurité de la foi fait partie de la foi.
Plus tard, nous aurons la lumière de la gloire pour voir Dieu face à face. Cette lumière de la gloire qui nous manque est actuellement remplacée par la foi, instrument parfait en lui-même, mais déficient parce qu’il ne dissipe pas l’obscurité (2).
Mais attention ! L’obscurité ne fait pas de distance. La différence entre la foi et la vision face à face, c’est une question de lumière, de bouton électrique. Je suis en Dieu maintenant par la foi ; je le touche, mais je ne le vois pas. Avec la lumière de la gloire, je tourne le bouton. Le bouton est tourné et je vois, mais le contact n’est pas plus intime, pour ainsi dire, par la lumière de la gloire que par la foi, à condition évidemment qu’il y ait le même degré de charité.
La seule déficience de la foi est d’être obscure. C’est une possession de Dieu à l’état obscur. Elle ne donne pas nécessairement à mon intelligence la lumière claire qu’elle attend… Ce n’est pas parce que je touche que je dois sentir…
Ne soyons donc pas déconcertés si dans l’oraison, nous restons dans l’obscurité. Ne disons pas : « si mon oraison était bonne, je trouverais Dieu, j’aurais des lumières… » C’est peut-être justement parce que nous le trouvons que nous n’y voyons rien.

Dans l’oraison, parce que je prends contact avec la foi, l’effet de lumière naturelle pour mon intelligence n’est pas nécessairement produit ; normalement même il ne l’est pas. Pour adhérer, il faut simplement soumettre son intelligence et dire : « mon Dieu, je crois, sans voir ».
Ne confondons pas « sentiment » avec foi. Le sentiment n’est pas nécessaire. Dans l’oraison, il ne s’agit que d’une adhésion de notre vertu de foi à ce mystère de Dieu, sous l’action de notre volonté, et c’est le seul moyen. Ne confondons pas « lumière » avec foi.
Nos contacts avec Dieu ont la qualité de notre foi. La foi est l’instrument. L’instrument est-il affiné, je pénètre profondément en Dieu. Ma foi, au contraire, est-elle un peu grossière, je n’y pénètre pas. C’est pourquoi il faut développer notre foi par l’oraison et l’alimenter par l’étude. À mesure que ma foi se développe, elle a besoin d’être alimentée par ses racines, que sont les sens qui puisent dans la vérité révélée (œil, oreilles…). Si je mène une vie d’intimité avec Dieu, il faudra que j’étudie de plus en plus pour assurer une alimentation puissante à cette base de départ de ma foi, qui se trouve dans la connaissance de la vérité révélée, de la Parole de Dieu, et de l’enseignement de l’Église.
Car la vigueur et la pénétration de notre foi détermineront la qualité de nos relations et de notre intimité avec Dieu. Il faut donc que ma foi soit forte et vigoureuse. Avoir une fois développée et affinée est donc, pour ainsi dire, la meilleure et la plus grande richesse que nous puissions trouver ici-bas.

P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus(1894-1967, carme, fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie à Vénasque, dans le Vaucluse ; procès de béatification en cours)

(1) « Au ciel la béatitude de mes serviteurs consiste à me voir et à me connaître. Déjà dans cette vie ils ont un avant-goût de la vie éternelle et ils jouissent de ce qui fait le bonheur des bienheureux. Comment ont-ils cet avant-goût ? Par La vue de ma bonté envers eux et par la connaissance de ma vérité. Cette connaissance est dans l’entendement qui est l’œil de l’âme éclairée par moi. La pupille de cet œil est la sainte foi, dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de ma vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l’âme ne saurait voir. Elle est comme celui dont un voile couvre la pupille qui est la partie lumineuse de l’œil. La pupille de l’œil de l’âme est la foi. Si l’amour-propre la couvre du voile de l’infidélité, elle ne peut plus voir. Elle possède bien un œil, mais non pas la lumière, dont elle s’est elle-même privée. » (Ste Catherine de Sienne, Dialogue ch. 46).

(2) Plus les choses divines sont claires et manifestes d’elles-mêmes, plus elles sont naturellement obscures et cachées à l’âme : comme la lumière, plus elle est vive et brillante, plus elle éblouit et aveugle le hibou ; et comme plus quelqu’un regarde fixement le soleil, plus il se couvre les yeux de ténèbres, à cause de l’excès des rayons qui les frappent, et de la faiblesse de sa vue. Ainsi lorsque la lumière divine de cette contemplation entre dans l’âme qui n’est pas encore bien éclairée, elle répand sur elle de ténèbres spirituelles qui la privent de son intelligence naturelle. Pour cette raison, saint Denis et les autres théologiens mystiques appellent la contemplation infuse des rayons de ténèbres à l’égard de l’âme qui n’est pas purifiée et illuminée, parce que l’excessive lumière de cette contemplation surpasse et éteint les forces naturelles de l’entendement. (St Jean de la Croix, Nuit Obscure, Livre II, ch. 5)