La démarche de prière pour l’effusion de l’Esprit nous dispose de façon nouvelle à vivre de l’Esprit; en même temps, le Saint Esprit se saisit de cette disponiblité pour agir en nous de façon nouvelle. Puisque nous nous sommes abandonnés à lui, il en profite, pourrait-on dire… ! Son action ne se remarque pas seulement à l’irruption des charismes, mais elle est à la fois sanctifiante et charismatique.
Il faut en chercher la raison dans la grâce de notre baptême, où nous sommes dotés d’une sorte « d’organisme » de la vie surnaturelle. Le Père Cantalamessa rappelait les différents effets du sacrement de baptême dans son exposé sur le « baptême dans l’Esprit Saint »: « L’opus operatum du baptême, c’est-à-dire la part de Dieu ou Grâce, revêt différents aspects – pardon des péchés, don des vertus théologales de Foi, d’Espérance et de Charité (mais seulement à l’état de semence) filiation divine – tout ce qui est réalisé à travers l’opération effective du Saint Esprit ». Le sacrement du baptême nous confère comme un « dispositif » d’ordre surnaturel qui nous permet d’être habituellement sous le souffle de l’Esprit. Les effets d’une prière où nous demandons à être « plongé » dan l’Esprit seront donc multiples et ne se limiteront pas à l’apparition des charismes.
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique, détaille cet « organisme de la vie surnaturelle du chrétien » reçu à notre baptême de la façon suivante: « Le baptême ne purifie pas seulement de tous les péchés, il fait aussi du néophyte une « création nouvelle » (2 Co 5,17), un fils adoptif de Dieu qui est devenu « participant de la nature divine » (2 P 1,4), membre du Christ et cohéritier avec lui (Rm 8,17), temple de l’Esprit Saint. La Très Sainte Trinité donne au baptisé la grâce sanctifiante, la grâce de la justification qui:- le rend capable de croire en Dieu, d’espérer en lui et de l’aimer par les vertus théologales;- lui donne de pouvoir vivre et agir sous la motion de l’Esprit Saint par les dons du Saint Esprit;- lui permet de croître dans le bien par les vertus morales. Ainsi, tout l’organisme de la vie surnaturelle du chrétien a sa racine dans le saint Baptême » (n°1265-1266).
L’une des dimensions de la grâce sanctifiante est donc l’apport des « dons du Saint Esprit » par lesquels nous pouvons vivre et agir sous la motion de l’Esprit Saint. De quoi s’agit-il? Le Catéchisme poursuit, plus loin: « Ceux-ci sont des dispositions permanentes qui rendent l’homme docile à suivre les impulsions de l’Esprit Saint. Les sept dons du Saint Esprit sont la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte de Dieu. Ils appartiennent en leur plénitude au Christ, Fils de David. Ils complètent et mènent à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent. Ils rendent les fidèles dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines » (n°1830-1831).
D’où provient cette liste des sept dons du Saint Esprit? D’un texte biblique, en Isaïe 11,1-9.
1 « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines.2 Sur lui reposera l’esprit du Seigneur,esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force,esprit de connaissance et de crainte du Seigneur:3 son inspiration est dans la crainte du Seigneur.Il jugera, mais non sur l’apparence.Il se prononcera, mais non sur le ouï-dire.4 Il jugera les faibles avec justice,il rendra une sentence équitable, pour les humbles du pays.Il frappera le pays de la férule de sa bouche,et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant.5 La justice sera la ceinture de ses reins,et la fidélité la ceinture de ses hanches.6 Le loup habitera avec l’agneau,la panthère se couchera avec le chevreau.Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble,conduits par un petit garçon.7 La vache et l’ourse paîtront,ensemble se coucheront leurs petits.Le lion comme le boeuf mangera de la paille.8 Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic,sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main.9 On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé,comme les eaux couvrent le fond de la mer ». Isaïe 11,1-9
« Il s’agit, dans ce texte, d’un personnage royal. On y trouve décrites, avec puissance et beauté, les caractéristiques de la fonction royale: piété, vaillance et vigueur pour défendre son peuple, sagesse, exercice de la justice ». (J.M. Asurmendi, Cahiers Evangile n°23, p.51). Ce poème pourrait avoir été composé pour l’intronisation du roi Ezechias (716 avt J-C). Mais il semble aussi viser directement un roi de l’avenir, un nouveau David. Il précise certains traits essentiels du Messie à venir: il est de souche davidique (Jessé, père de David); il sera rempli de l’esprit prophétique; il fera régner entre les hommes la justice, reflet terrestre de la sainteté de Yahvé; il rétablira la paix paradisiaque, fruit de la connaissance de Yahvé. Lorqu’on regarde comment est détaillé « l’esprit de Yahvé », on trouve six « dons ». Les traductions grecque, puis latine de ce texte ont ajouté un septième don, celui de la « piété », en interprétant et dédoublant la « crainte de Dieu ». Ainsi sont nés les « sept dons du Saint Esprit » de la théologie catholique. Le nombre 7 est resté traditionnel; il symbolise la plénitude. Il ne faut pas s’attacher à ce nombre, ni limiter l’action de l’Esprit; l’essentiel est de considérer qu’ils forment partie intégrante de l’organisme surnaturel par lequel l’homme est capable de réagir spirituellement à toutes les situations où il peut se trouver.
Le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, carme (+1967) fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie, et auteur d’ouvrages sur la vie spirituelle, nous aide à mieux comprendre comment Dieu agit: « Les dons du Saint Esprit sont des capacités réceptives. Bien souvent, j’utilise un mot qui est presque irrespectueux mais qui traduit bien: ce sont des entonnoirs. Un entonnoir est capable de recevoir du liquide, mais l’entonnoir tout seul n’est qu’un entonnoir! On peut dire aussi selon saint Jean de la Croix: c’est une antenne capable de recevoir une influence de Dieu, qui vient s’exercer en nous sur le plan psychologique et psychique. (…) L’influence de Dieu intervient sur le plan psychique, sur la sensibilité et l’imagination pour donner des grâces de recueillement; sur l’intelligence pour l’éclairer, lui donner des lumières et suppléer à l’obscurité de la foi; sur la volonté aussi pour la fortifier et l’aider à faire des actes de charité. (…) Les dons du Saint Esprit étant des passivités, saint Thomas lui-même fait remarquer que le mot « don » est mal choisi. On dit: « j’ai les dons du Saint Esprit, avec ça je puis marcher ». Vous pouvez marcher, comme vous pouvez boire quand vous avez un entonnoir, à condition qu’on verse quelque chose dedans. L’action de Dieu est complémentaire du don et nécéssaire à son activité. Or cette action de Dieu est gratuite. On peut donc avoir des dons très développés sans que Dieu agisse; on peut avoir des dons très peu développés et Dieu peut agir en trombe. La liberté de Dieu intervient dans l’utilisation des dons. (…) Si Dieu n’avait pas voulu que nous marchions, il ne nous aurait pas donné de jambes. Il en est de même ici: s’il nous a donné des passivités, c’est qu’il veut les combler. Et d’ailleurs la vie pratique, l’expérience des âmes, montre que cette action de Dieu par les dons du Saint Esprit est très fréquente. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à être très habituelle? Parce que, la plupart du temps, les gens n’y croient pas. Et puis, ils ne se disposent pas à cette action de Dieu, ils ne répondent pas, ils ne donnent pas à Dieu leur coopération. (…) Quelles distinctions peut-on faire entre les dons? Personnellement, il me semble qu’on exagère un peu et qu’on sépare trop les dons parce que, après tout, il n’y a qu’un don, c’est l’Espri Saint. Il n’y a qu’une réceptivité, c’est la réceptivité de la charité. La charité est faite pour donner et pour recevoir. (…) Il y a un fondement de réceptivité mystique chez tous les humains, même chez les païens. Mais évidemment la grâce baptismale greffe sur cela une réceptivité spéciale pour une influnence de Dieu qu’on ne trouve pas, je pense, du moins habituellement chez les païens. (…) Chez nous, en raison de ce don du Saint Esprit qui est lié à notre organisme baptismal surnaturel, cette action de Dieu peut devenir ordinaire et habituelle. (…) L’action de Dieu est diversifiée. A un moment, elle ne produira que du recueillement, à d’autres moments, elle produira une lumière, à d’autres moments elle donnera une force. Mais chacune de ces influences de Dieu est cependant un aliment complet. (…) Ces influences sont connexes, elles sont pour ainsi dire un bloc et elles apparaissent sous telle ou telle forme. (…) Pour les dons du Saint Esprit, je crois donc qu’il ne faut pas trop insister sur leur division ». (Dans l’intimité du Christ, retraite prêchée à N-D de Vie en 1964, cahier polycopié, pp.23-30).
On voit mieux ainsi que ces « dons » du Saint Esprit ne se trouvent pas sur le même plan que les charismes. On peut donc distinguer, pour plus de facilité, les dons « sanctifiants » et les dons « charismatiques ». Le Père Joseph Pelletier, assomptionniste américain, avait publié en 1974 un excellent petit livre (introuvable maintenant), « Un renouveau dans l’Esprit Saint », où cette distinction était très éclairante.
Les dons sanctifiants (les « sept dons ») sont des facultés spirituelles qui nous rendent capables d’accueillir et de répondre rapidement à l’action du Saint Esprit, à ses impulsions et à ses inspirations. Nous ne pouvons pas les rendre actifs par nous-mêmes. Nous devons attendre que le Saint Esprit prenne l’initiative. Le plus que nous puissions faire est de demander au Saint Esprit de les mettre en activité. Une fois en activité, les dons fonctionnent aussi longtemps que le Saint Esprit continue à les soutenir par son intervention directe ou son appui. Ils cessent quand il retire son impulsion. Du commencement à la fin, l’action ou la manifestation d’un don est entièrement due à l’action et à la gracieuse initiative de l’Esprit.* La crainte de Dieu : être à ma place de créature.* La piété: mieux vivre la communion.* La science: voir la réalité selon Dieu.* La force: être énergique dans les difficultés.* Le conseil: avoir une direction pour agir.* L’intelligence: pénétrer la vérité divine.* La sagesse: goûter la présence de Dieu. Les dons sanctifiants sont comme des voiles spirituelles fixées au mât. La manifestation du Saint Esprit desserre les cordages et les voiles se déploient. Le souffle de l’Esprit (cf. Jn 3,8) prend maintenant dans les voiles et nous meut. Nous sommes emportés rapidement et agréablement. Sans ces dons, nous sommes comme des personnes dans un bateau à rames. Le Saint Esprit nous aide, mais nous devons prendre les rames et ramer avec beaucoup d’effort personnel. Et ces dons nous sont donnés pour nous aider à nous aider à nous sanctifier personnellement afin que nous arrivions à connaître, aimer et servir Jésus plus parfaitement. Tandis que les dons charismatiques nous sont donnés pour nous aider à sanctifier les autres, de sorte que nous puissions amener nos frères à connaître, aimer et servir Jésus plus parfaitement.
Les dons charismatiques sont donnés en totalité (s’il est possible d’en dresser une liste complète!) seulement à l’Eglise, à la communauté. Chacun en reçoit un, plusieurs, ou aucun. L’important est que la communauté soit dotée de tous les charismes dont elle a besoin pour sa mission. Pour clarifier le rapport entre les deux sortes de dons, observons cependant quelques comparaisons. Si les dons sanctifiants sont ordonnés à la sanctification du baptisé, les charismes sont accordés en vue de l’évangélisation et donc de la croissance de l’Eglise. Il s’agit de deux perspectives complémentaires. C’est le rôle des dons sanctifiants, particulièrement ceux de sagesse et de conseil, de régler et contrôler l’emploi des dons charismatiques puissants (prophétie, guérisons… par exemple). Les deux genres de dons se soutiennent l’un l’autre. Quand une personne se sanctifie davantage, elle est plus apte à être employée par le Saint Esprit pour l’exercice des charismes, et pour recevoir un véritable ministère charismatique. Cependant, on ne reçoit pas des dons charismatiques parce qu’on est plus saint qu’un autre. Ils sont accordés gratuitement par le Seigneur pour l’édification de l’Eglise. Les charismes ne sont pas permanents; ils dépendent du bon vouloir de l’Esprit Saint et des besoins réels de la communauté. Le Seigneur peut accorder à un groupe, à une communauté, à une paroisse tel ou tel charisme, parce qu’il l’estime nécéssaire pour la réalisation de son plan d’amour. A charge de la communauté de le recevoir dans la foi et l’action de grâce. Mais chaque communauté doit aussi, de son côté, demander tel ou tel charisme dont elle perçoit la nécessité pour sa mission d’évangélisation, afin de le recevoir. A charge pour elle de veiller à demander.
La méconnaissance de la richesse des dons de l’Esprit Saint aboutit à des résultats obtenus à la force du poignet, aussi bien pour la sanctification, que pour l’évangélisation… En revanche, l’ouverture au Saint Esprit à travers la prière pour l’effusion de l’Esprit (ou le baptême dans l’Esprit) aboutit à libérer les deux sortes dons, sanctifiants (dont les effets sont souvent les premiers repérables) et charismatiques.
D. Auzenet, mars 93
Ce texte se trouve également sous forme de fiche à imprimer à l’onglet « Fiches » sous le titre du blog. C’est la n° 109.