Du Père Raniero Cantalamessa, dans son livre « Viens Esprit Créateur » (Éd des Béatitudes, 2008) au chapitre 7.
L’ESPRIT NOUS DÉLIVRE DU PÉCHÉ ET DE LA TIÉDEUR
À ce stade, « frère Feu » a lui aussi rempli son rôle. Après nous avoir permis de nous élever jusqu’à la réalité spirituelle qu’il symbolise, il peut se retirer. Et la réalité, la voici : l’Esprit Saint est celui qui nous purifie dans l’intime de notre être, qui dissout en nous le cœur de pierre, qui détruit le « corps de péché » (Rm 6, 6) et qui reforme en nous l’image de Dieu.
Cette conviction accompagne l’Église depuis les origines et se manifeste dans les domaines les plus divers. Une ancienne variante au texte du Notre Père, au lieu de « Que ton règne vienne », disait : « Que vienne sur nous l’Esprit Saint et qu’il nous purifie [1] ». Dans une liturgie de réconciliation de l’Église syriaque, le prêtre prononce cette prière d’absolution pour le pénitent : « Par l’irruption de l’Esprit Saint, détruis et efface de son âme, Seigneur, tous les crimes, les blasphèmes et les diverses sortes d’injustice dont son âme est souillée [2]. »
L’Esprit Saint, non seulement remet les péchés, mais il est lui-même la rémission des péchés ! Une vieille prière liturgique dit ceci : « Que l’Esprit Saint restaure nos âmes, Seigneur, par ces divins sacrements, puisqu’il est la rémission de tous les péchés [3]. » Cette audacieuse affirmation s’inspire d’Ambroise selon lequel « dans la rémission des péchés, les hommes exercent un ministère et non pas un pouvoir personnel, puisque c’est par l’Esprit Saint que les péchés sont pardonnés [4] ». L’auteur du Véni creator connaît tout cet arrière-plan liturgique et théologique puisqu’il affirme lui aussi, dans une autre œuvre, que « les péchés ne sont pas pardonnés sans l’Esprit Saint [5] ».
Là aussi, la Tradition a simplement relevé et mis en lumière une vérité qui était déjà présente dans l’Écriture. Selon le Nouveau Testament, en effet, l’action de l’Esprit Saint se situe au cœur même de la justification de l’impie. Paul l’affirme à plusieurs reprises : « Car pour nous, c’est l’Esprit qui nous fait attendre de la foi les biens qu’espère la justice » (Ga 5, 5) ; « Mais vous vous êtes lavés, mais vous vous êtes sanctifiés, mais vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu. » (1 Co 6, 11)
Le jour de la Pentecôte, Pierre dit à la foule : « Repentez-vous et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit » (Ac 2, 38), ce qui ne veut pas dire : d’abord est accordée la rémission des péchés, ensuite vient le don de l’Esprit Saint, mais plutôt que si, dans un premier temps, celui de la rémission des péchés, l’Esprit est présent comme agent, dans le second, celui de la purification accomplie (les deux temps étant en réalité concomitants), il est aussi présent comme don permanent. Bien que les Actes des Apôtres attribuent de préférence à la personne même de Jésus la rémission des péchés, cela doit toujours être considéré, comme l’avaient bien compris les Pères, à la lumière du principe général de l’Écriture, selon lequel « tout vient du Père, par le Christ, dans l’Esprit Saint ».
L’Esprit Saint n’est pas seulement l’effet de la justification, mais en est aussi la cause. Il n’est pas le terme du processus, comme s’il ne pouvait arriver qu’après l’œuvre négative de l’éloignement du péché, seulement une fois que le terrain aura été « déblayé » et le cœur désormais libéré. Saint Basile écrit : « Les péchés sont pardonnés dans la grâce de l’Esprit [6]. » Augustin en a tiré la conclusion suivante : « La charité de l’Église, que l’Esprit Saint répand en nos cœurs, remet les péchés de ses membres [7]. »
La rémission de notre péché et le don de la grâce ne sont pas deux opérations successives, mais une seule action vue sur deux versants opposés ; le péché n’est pas d’abord ôté pour laisser la place au don de la grâce, mais c’est le don de la grâce lui-même qui enlève le péché.
Dans la purification du péché, l’Esprit Saint n’intervient donc pas quand tout est accompli, bien au contraire, c’est lui qui l’accomplit. Comment cette œuvre grandiose — la rémission des péchés — pourrait-elle d’ailleurs s’accomplir, si ce n’est à travers Dieu lui-même ? Le péché est « annulé ». Il s’agit d’un acte créateur en direction inverse, pourrait-on dire : là quelque chose est tiré du néant, ici quelque chose est réduit au néant (et cette opération n’est pas moins divine que la première). Le péché de l’homme n’est pas seulement « couvert », et pour ainsi dire ignoré de Dieu, mais véritablement détruit et effacé. Il n’y a pas en nous, du moins dans le sanctuaire le plus intime de notre âme, à la fois le péché et la grâce, la mort et la vie ; il n’y coexiste pas deux maîtres, l’esprit du mal et l’Esprit Saint. Les hérétiques messaliens, écrit Diadoque de Photicé, « se sont imaginé que la grâce et le péché, c’est-à-dire l’esprit de vérité et l’esprit d’erreur, se cachent en même temps, chez les baptisés, au fond de l’intellect ». Mais il en est plutôt ainsi :
« Avant le saint baptême, la grâce exhorte du dehors l’âme au bien, alors que Satan se tapit dans ses profondeurs […] ; mais dès l’heure de notre régénération, c’est le démon qui passe au dehors et la grâce au-dedans. […] Néanmoins, Satan continue d’agir sur l’âme comme auparavant, et même pis, le plus souvent ; non qu’il coexiste avec la grâce, […] mais par les humeurs du corps, on dirait qu’il vaporise dans l’esprit les douceurs de plaisirs irrationnels [8]. »
Lorsque Jésus, à la Pentecôte, donne l’Esprit Saint aux Apôtres réunis au Cénacle (cf. Jn 20, 22 s.), il ne confère pas à l’Église un simple « pouvoir » juridique, externe, ou une simple « autorisation » à remettre les péchés ; il leur confère un réel pouvoir, intrinsèque, qui est l’Esprit Saint lui-même. L’Église possède le pouvoir de remettre les péchés, mais seulement dans le sens où elle possède l’Esprit Saint qui a le pouvoir de remettre les péchés. Comme saint Ambroise le rappelait, l’Église, dans la rémission des péchés, n’exerce pas un pouvoir ; elle exerce simplement un ministère, même si celui-ci est incontournable : « L’Église ne peut rien remettre sans le Christ ; le Christ ne veut rien remettre sans l’Église. L’Église ne peut rien remettre sinon au pénitent, c’est-à-dire à celui que le Christ a touché ; le Christ ne veut assurer aucune rémission à celui qui méprise l’Église [9]. »
Tout cela nous donne une image bien différente de celle que le monde nous donne superficiellement de l’Église. En elle brûle l’Esprit qui détruit les péchés comme une sorte d’incinérateur toujours allumé, afin d’éliminer les impuretés de l’âme pour que se maintienne immaculée la cité de Dieu. Un feu est caché dans les entrailles de la maison Église, et bienheureux sont ceux qui le découvrent, y établissent la demeure de leur cœur et y retournent à chaque fois qu’ils se sentent « alourdis » par le péché et « désireux de ressusciter » !
[1] Cf. GRÉGOIRE DE NYSSE, La prière du Seigneur, 3 (PG 44, 1157 D).
[2] In PS 43, p. 452 ; op. cit. in E.-P. SIMAN, L’expérience de l’Esprit par l’Eglise, d’après la Tradition Syrienne d’Antioche, Paris 1971, p. 121.
[3] Missel Romain (Missel quotidien et vespéral), mardi de la Pentecôte, Bruges 1947, p. 1226
[4] AMBROISE, Du Saint-Esprit, III, 137.
[5] Cf. ISIDORE DE SÉVILLE, Étymologies, VII, 3, 17 (PL 82, 269) ; RABAN MAUR, De l’Univers, 1,3 (PL 111, 25).
[6] BASILE LE GRAND, Sur le Saint-Esprit, XIX, 49 (PG 32, 157 A), SC 17bis, p. 421.
[7] AUGUSTIN, Traité sur l’Évangile de saint Jean, 121,4.
[8] Cf. DlADOQUE DE PHOTICÉ, Cent chapitres, 76 (SC 5bis, p. 134).
[9] ISAAC DE l’ÉTOILE, Sermon, 11, 14 (SC 130, p. 247).