Dès le XI° siècle, dans la prière du Salve Regina, les chrétiens saluaient trois fois Marie comme « Mère de miséricorde ». À Pellevoisin (1876), dès la 3° apparition, Marie se présente à Estelle comme « toute miséricordieuse ». Comment faut-il comprendre cela ?
Marie, celle qui connaît le plus à fond le mystère de la miséricorde divine
C’est sur Marie d’abord que « Dieu a jeté les yeux », comme elle le dit elle-même dans son Magnificat ! Comme nous tous (Ephésiens 1,3-10), Marie a été « de toute éternité aimée et choisie dans le Christ par Dieu le Père », et en elle la première est manifestée en plénitude « la grâce que Dieu nous a faite en son Fils bien-aimé ».
Jean-Paul II, dans sa lettre Dieu riche en miséricorde (n° 9), exprime bien comment Marie se trouve au cœur de la révélation de la miséricorde, par sa façon de s’unir à Jésus en croix.
« Marie est celle qui, d’une manière particulière et exceptionnelle — plus qu’aucune autre — a expérimenté la miséricorde, et en même temps — toujours d’une manière exceptionnelle — a rendu possible par le sacrifice du cœur sa propre participation à la révélation de la miséricorde divine. Ce sacrifice est étroitement lié à la croix de son Fils, au pied de laquelle elle devait se trouver sur le Calvaire. Le sacrifice de Marie est une participation spécifique à la révélation de la miséricorde, c’est-à-dire de la fidélité absolue de Dieu à son amour, à l’alliance qu’il a voulue de toute éternité et qu’il a conclue dans le temps avec l’homme, avec le peuple, avec l’humanité ; il est la participation à la révélation qui s’est accomplie définitivement à travers la croix.
Personne n’a expérimenté autant que la Mère du Crucifié le mystère de la croix, la rencontre bouleversante de la justice divine transcendante avec l’amour ce « baiser » donné par la miséricorde à la justice (cf. Ps 85,11). Personne autant qu’elle, Marie, n’a accueilli aussi profondément dans son cœur ce mystère : mystère divin de la rédemption, qui se réalisa sur le Calvaire par la mort de son Fils, accompagnée du sacrifice de son cœur de mère, de son « fiat » définitif. Marie est donc celle qui connaît le plus à fond le mystère de la miséricorde divine. Elle en sait le prix, et sait combien il est grand. En ce sens, nous l’appelons aussi Mère de la miséricorde : Notre-Dame de miséricorde, ou Mère de la divine miséricorde ».
En s’unissant à Jésus, Marie se fait toute proche de nous
Au sommet de toute la révélation biblique d’un Dieu qui veut sauver tous les hommes et leur faire miséricorde, Jésus nous demande ceci, en deux phrases à la fois différentes et équivalentes :
– « Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait » (Mt 5,48) ;
– « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6,36).
D’où il est permis de comprendre que la « perfection » à laquelle nous sommes appelés, c’est de « faire » miséricorde !
C’est même sur la miséricorde « faite » activement que nous serons jugés : « Venez, les bénis de mon Père (= vous à qui le Père fait miséricorde), car j’avais faim et vous m’avez nourri », etc. — Et quand donc, Seigneur, t’avons-nous ainsi fait miséricorde ? — Je vous le dis en vérité : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,31-46). Quant à chercher « qui » est notre prochain, Jésus nous avertit, dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10,29-37) : c’est nous qui devons nous montrer « le prochain » de tous !
Jean-Paul II, dans sa lettre Dieu riche en miséricorde (n° 9), exprime comment Marie vit cela à sa place qui est la sienne, comment elle se fait proche de nous.
« Notre-Dame de miséricorde, Mère de la divine miséricorde, ces titres que nous décernons à la Mère de Dieu parlent surtout d’elle comme de la Mère du Crucifié, et du Ressuscité, comme de celle qui, ayant expérimenté la miséricorde d’une manière exceptionnelle, « mérite » dans la même mesure cette miséricorde tout au long de son existence terrestre, et particulièrement au pied de la croix de son Fils ; enfin ils nous parlent d’elle comme de celle qui, par sa participation cachée mais en même temps incomparable à la tâche messianique de son fils, a été appelée d’une manière spéciale à rendre proche des hommes cet amour qu’il était venu révéler : amour qui trouve sa manifestation la plus concrète à l’égard de ceux qui souffrent, des pauvres, des prisonniers, des aveugles, des opprimés et des pécheurs, ainsi que le dit le Christ avec les termes de la prophétie d’Isaïe, d’abord dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,18), puis en réponse aux envoyés de Jean-Baptiste, (Lc 7,22).
À cet amour « miséricordieux », qui se manifeste surtout au contact du mal physique et moral, le cœur de celle qui fut la Mère du Crucifié et du Ressuscité participait d’une manière unique et exceptionnelle — Marie y participait. Et cet amour ne cesse pas, en elle et grâce à elle, de se révéler dans l’histoire de l’Église et de l’humanité. Cette révélation est particulièrement fructueuse, car chez la Mère de Dieu, elle se fonde sur le tact particulier de son cœur maternel, sur sa sensibilité particulière, sur sa capacité particulière de rejoindre tous ceux qui acceptent plus facilement l’amour miséricordieux de la part d’une mère. C’est là un des grands et vivifiants mystères chrétiens, mystère très intimement lié à celui de l’incarnation. »
La place de Marie n’est pas celle de Jésus
« Il n’y a qu’un seul Dieu, et il n’y a de même qu’un seul Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est offert pour le salut de tous » (1 Tm 2,5-6). Ce n’est donc pas Marie qui nous sauve ou qui remet nos péchés ! Le Concile l’a rappelé avec vigueur, mais en ajoutant aussitôt (LG 60-61) que Marie a été, « de façon absolument unique, généreusement [et librement] associée à la personne et à l’œuvre [de salut] de son divin Fils ». Il y a cependant une pointe d’exagération et de déviance dans la piété filiale, lorsque l’on a pu chanter « la Madone qui pardonne »… ou lorsqu’on prie une Vierge Marie plus douce qu’un Dieu « père fouettard » dont on craindrait la « justice » et la sévérité…
Comment donc Marie fait-elle miséricorde ? Tout d’abord, à sa place de créature, comme chacun de nous le fait, Marie peut « pardonner » nos manquements de respect ou d’amour filial à son égard.
Ensuite, à sa place de mère, elle nous visite comme elle a « visité » Élisabeth (Luc 1,39-56 – cf. « J’étais dans le besoin et vous m’avez assisté »…), elle nous soigne comme elle a su prodiguer des soins à Jésus enfant (Luc 2,7), elle est attentive à nos besoins comme elle le fut à ceux des époux de Cana (« Ils n’ont pas de vin » : Jean 2,3)…
Mais c’est à sa place d’associée à la rédemption, au pied de la croix de Jésus et « en s’unissant de façon toute particulière à la personne et à l’œuvre de son Fils » que Marie se montre vraiment « toute miséricordieuse ».
– Le Père disait à Moïse sur la montagne du Sinaï « voir la misère de son peuple et entendre ses cris de souffrance » (Exode 3,7-10) ; Marie, sur le mont Calvaire — et avec les yeux et le Cœur de Jésus — voit notre misère et y compatit…
– Jésus lui-même nous « donne » sa Mère pour notre Mère et nous « donne » à elle comme enfants (Jean 19,25-27). « Et est-ce qu’une mère (dit Dieu !) pourrait oublier ses enfants » ?…. (Is 49,15)
– Ainsi Marie est-elle mentionnée comme présente avec les Apôtres, après l’Ascension de Jésus et avant que vienne l’Esprit Saint (Ac 1,12-15) ; elle se trouve avec les 120 disciples réunis dans la chambre haute, et prend ainsi sa place de mère voulue par Jésus…
– « Après son Assomption dans le ciel, le rôle de Marie dans le salut ne s’interrompt pas (dit le Concile, LG 62) : par son intercession multipliée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut. Son amour maternel la rend attentive aux frères et aux sœurs de son Fils… Et ce rôle subordonné de Marie, l’Église l’enseigne sans hésitation, ne cesse d’en faire l’expérience, et le recommande au cœur des fidèles ».
Une intercession « multipliée »
On peut dire que l’intercession de Marie a deux versants : elle transmet au Seigneur nos « demandes »… mais aussi ce que son cœur maternel demande pour nous (comme à Cana : Jean 2,3) : « Ils n’ont plus de santé, de travail, d’espérance »… C’est pourquoi l’une des invocations du Salve Regina supplie Marie de « tourner vers nous ses yeux pleins de miséricorde »…
L’autre versant de l’intercession de Marie, c’est de nous redire… ce que son Fils attend de nous : « Faites tout ce qu’il vous dira ! » (Cana, Jn 2,5). « Faisons » ce que Jésus demande : « Aimez-vous comme je vous ai aimés » (Jn 13,34) et « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6,36). Demandons alors à la « Mère toute miséricordieuse » de nous aider à tourner nos yeux et notre cœur… vers le « prochain » !
Jean-Paul II, dans sa lettre Marie, Mère du Rédempteur (n° 21), nous parle de cette médiation maternelle de Marie.
« Quelle entente profonde entre Jésus et sa mère ! Comment pénétrer le mystère de leur union spirituelle intime ?…. Il est certain que dans cet événement (de Cana) se dessine déjà assez clairement la nouvelle dimension, le sens nouveau de la maternité de Marie, […] c’est-à-dire la sollicitude de Marie pour les hommes, le fait qu’elle va au-devant de toute la gamme de leurs besoins et de leurs nécessités. […] Aller au-devant des besoins de l’homme veut dire, en même temps, les introduire dans le rayonnement de la mission messianique et de la puissance salvifique du Christ.
Il y a donc une médiation : Marie se situe entre son Fils et les hommes dans la réalité de leurs privations, de leur pauvreté et de leurs souffrances. Elle se place « au milieu », c’est-à-dire qu’elle agit en médiatrice non pas de l’extérieur, mais à sa place de mère, consciente, comme telle, de pouvoir montrer au Fils les besoins des hommes — ou plutôt d’en « avoir le droit ». Sa médiation a donc un caractère d’intercession : Marie « intercède » pour les hommes. Non seulement cela : en tant que Mère, elle désire aussi que se manifeste la puissance messianique de son Fils, c’est-à-dire sa puissance salvifique destinée à secourir le malheur des hommes, à libérer l’homme du mal qui pèse sur sa vie sous différentes formes et dans des mesures diverses. »
Le « Salve Regina »
Cette « antienne Mariale termine depuis le 11° siècle la prière du soir (« Complies ») des moines et moniales, en particulier de l’ordre Cistercien. Les chrétiens ont toujours aimé faire « leur » cette prière, surtout dans les temps d’épreuves.
Texte latin
Salve Regina, Mater Miséricordiae,
vita dulcedo
et spes nostra, salve !
Ad te clamamus, exsules, filii Evae.
Ad te suspiramus, gementes
et flentes in hac lacrymarum valle.
Eia ergo, advocata nostra,
illos tuos miséricordes oculos
ad nos converte.
Et Jesum, benedictum fructum
ventris tui, nobis post hoc
exsilium ostende.
O clemens, o pia,
o dulcis Virgo Maria !
Traduction littérale
Salut, ô Reine, Mère de miséricorde,
douceur de notre vie,
notre espérance, salut !
Enfants d’Eve, exilés,
nous crions vers toi.
Vers toi, nous soupirons,
gémissant et pleurant
dans cette vallée de larmes.
Toi, notre avocate,
tourne vers nous
ton regard miséricordieux.
Et, après cet exil, montre-nous Jésus,
le fruit béni de ton sein.
O clémente, ô miséricordieuse
ô douce Vierge Marie !
Mise en forme contemporaine
du P. André Tostain, msc [1]
Nous te saluons, Marie,
notre Reine
qui te dis pourtant notre Mère,
et toute de miséricorde !
Toi la vie, la douceur,
l’espérance pour tous,
nous te saluons !
Comme des enfants qui pleurent,
nous crions vers toi, notre Mère,
nous qui sommes ici-bas
des enfants perdus et des sans-patrie…
Toi notre recours,
tourne vers nous les yeux
et le cœur attentifs
de ta tendresse maternelle !
Et quand viendra l’heure du « passage »,
introduis-nous près de Jésus,
le fruit béni que tu portas pour nous !
Ô toute clémence,
Ô toute miséricorde,
Ô toute douceur,
Ô Vierge Marie, notre Mère !
Pour télécharger ce texte ou indiquer un lien
http://d.auzenet.free.fr/misericorde.php
[1] Bulletin du Sanctuaire de Pellevoisin, n° 340, 1999, p. 14.
Photo : Église N-D des Marais, La Ferté Bernard (72)