L’annonce de la canonisation proche du pape Paul VI nous invite à relire ses grands textes… Je pense à l’exhortation « Evangelii Nuntiandi » de 1975… qui n’a pas vieillie d’une ride. On perçoit bien que l’évangélisation était chez lui une hantise, par exemple dans ce texte de 1957, où, cardinal Montini, archevêque de Milan, il conclut ainsi son discours sur la mission de l’Eglise, fait au Congrès mondial de l’Apostolat des Laïcs à Rome.
« Le premier témoignage sera celui de notre union, de notre amour mutuel, de l’entente qui règne entre nous, cordiale, sociale. « Aimez-vous les uns les autres » nous enseigne le testament du Maître ; « comme je vous ai aimés, ainsi aimez-vous les uns les autres. C’est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. » La première apologie est celle dont Tertullien s’est fait l’écho au sujet de la communauté chrétienne naissante : « Voyez, dit-on, comme ils s’aiment » (Ap. 39).
Et le second témoignage sera celui de notre amour pour ceux que nous voulons évangéliser. C’est là la grande politique de l’apostolat. Ce n’est pas un intérêt personnel qui en est le moteur, c’est le bien des autres. Il ne vise pas à conquérir, mais à servir. Et son irréductible intransigeance devant l’erreur n’est pas une condamnation mais une rédemption.
Ici surgit un autre grand problème pratique. L’amour apostolique amène un contact avec le monde à convertir, contact qui peut être plein de dangers. Saint Paul autorise que l’on se fasse Juif avec les Juifs et faible avec les faibles : « Je me suis fait tout a tous pour les sauver tous » (1 Co 9, 20). Jusqu’où va ce relativisme apostolique ? Jusqu’où cette intransigeance ? Jusqu’à quel point la tolérance est-elle permise aux catholiques ?
Celui qui guide l’Église le dira : la question est extrêmement délicate (cf. Vermeesch, La Tolérance). Nous veillerons à ce que notre attitude d’amour et de respect vis-à-vis de ceux qui ne sont pas catholiques ne dégénère pas en indifférence, en éclectisme, en sympathie, en défection : et cela peut arriver à ceux qui étudient la pensée d’autrui, qui fréquentent une société païenne, qui adoptent les coutumes du monde pour en être plus proches, qui poussent la tolérance vis-à-vis des dissidents jusqu’à justifier leur position, qui dialoguent avec ceux qui sont au loin et offensent ceux qui les entourent, […] à ceux qui parlent d’ouverture pour sortir de la maison et non pour inviter à y entrer ceux qui sont éloignés. Nous veillerons, dis-je.
Mais nous n’oublierons pas que l’attitude fondamentale des catholiques qui veulent convertir le monde doit être d’abord de l’aimer. Voilà le génie de l’apostolat : savoir aimer. Je voudrais que de ce précepte chrétien nous fassions notre résolution et notre programme, ici à Rome, centre de l’apostolat catholique Nous aimerons ceux qui nous sont proches et nous aimerons ceux qui nous sont éloignés. Nous aimerons notre patrie, nous aimerons celle des autres. Nous aimerons nos amis, nous aimerons nos ennemis. Nous aimerons les catholiques, nous aimerons les schismatiques, les protestants, les anglicans, les indifférents, les musulmans les païens, les athées Nous aimerons toutes les classes sociales mais surtout celles qui ont le plus besoin d’aide, de secours et de promotion. Nous aimerons les enfants et les vieillards, les pauvres et les malades Nous aimerons ceux qui se moquent de nous, ceux qui nous méprisent, ceux qui s’opposent à nous et nous persécutent. Nous aimerons ceux qui méritent d’être aimés et ceux qui ne le méritent pas. Nous aimerons nos adversaires : ils sont hommes, et nous ne voulons en tenir aucun pour ennemi. Nous aimerons notre temps, notre civilisation, notre technique, notre art, notre sport, notre monde.
Nous aimerons en nous efforçant de comprendre, de compatir, d’estimer, de servir, de souffrir. Nous aimerons avec le cœur du Christ : « Venez à moi, vous tous… » (Mt 11, 28.) Nous aimerons avec la plénitude de Dieu : « Ainsi Dieu a aimé le monde… » (Jn 3, 16). Est-ce trop que de parler du monde ? Ces paroles sont-elles exagérées ? Est-ce l’enthousiasme qui nous saisit et nous rend présomptueux et enfantins ? Où est l’humilité ? L’humilité subsiste, et la vision de la réalité tout autant. Mais c’est la mission de l’Église qui ouvre ces horizons immenses, et ce n’est pas orgueil et folie de lever les yeux vers le ciel de Dieu. C’est espérance. C’est prière. D’ailleurs, ce royaume de Dieu est déjà en puissance avec nous. J’en vois devant moi le spectacle. Écoutez la voix du Christ : « En vérité, je vous le dis, levez les yeux et voyez les campagnes qui blanchissent pour la moisson » (Jn 4, 35). »
Documentation Catholique, n° 1267 du 22 décembre 1957, 1619-1636.