Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre

Quelles sont les particularités du récit de Luc par rapport à Mt et Mc ?

Un Jésus en prière

Le récit lucanien de la Transfiguration (Lc 9, 28-36) est bien tel que peut l’attendre quiconque connaît les caractères généraux de l’évangile de Luc. Le vocable métémorphôthè (il fut métamorphosé, traduit par : transfiguré) semble avoir été évité à dessein; il est remplacé par la périphrase : « l’aspect de son visage devint autre ». Il fallait en effet empêcher des lecteurs pagano-chrétiens d’établir une analogie quelconque entre cet événement et les histoires de métamorphoses de la mythologie païenne… (cf. Ovide)

Luc est seul à indiquer que Jésus gravit la montagne pour prier et que la Transfiguration s’est produite au cours de la prière de Jésus, comme si elle en avait été le fruit. « L’effet de la prière se voit parfois chez les saints au rayonnement du visage » (P. Larange, St Luc). On sait combien Luc est attentif, dans son évangile, à décrire les différents moments de la prière de Jésus.

Un Pierre intempestif et très humain

C’est au moment où Moïse et Élie se séparent (v. 33) que Pierre fait sa déclaration intempestive. Cette circonstance parait donner à ses paroles une nuance toute humaine; elles ne sont plus accompagnées à aucun degré, comme dans Marc, par la terreur provenant de la rencontre avec le divin. Telle la demande des pèlerins d’Emmaüs (Lc 24, 29), elles paraissent inspirées uniquement par le désir de voir se prolonger une présence bienfaisante : Restez avec nous, car nous sommes si bien ici en votre compagnie… C’est pour passer la nuit qu’on dresse des tentes. Pierre imagine que Moise et Élie se laisseront gagner par cette perspective et accepteront l’hospitalité près de Jésus : les disciples s’arrangeront avec leurs manteaux. Il ne tient pas compte de l’état surnaturel des deux personnages.

La crainte mentionnée par Marc a été retenue par Luc, mais rattachée par lui au fait matériel de l’apparition de la nuée (v. 34) : la phrase est même tournée de telle manière qu’on a pu se demander si les disciples n’entrent pas eux aussi dans la nuée, ce qui justifierait davantage encore leur peur. Quoi qu’il en soit, on est nettement sur un plan plus humain que dans le second évangile.

Comme les autres événements de l’existence du Seigneur, y compris le Baptême et la Tentation, la Transfiguration est orientée dans le troisième évangile vers le drame final et vers Jérusalem. Tout d’abord la scène n’est pas sans analogie avec celle du jardin des Oliviers. Luc est seul à noter qu’à la Transfiguration, comme à Gethsémani, les disciples sont accablés par le sommeil et ne sont témoins du prodige qu’à leur réveil (v. 32). Faut-il voir là un détail à portée symbolique, comme Luc en a parfois ?

L’exode de Jésus

Le trait le plus remarquable, c’est que Moïse et Élie s’entretiennent avec Jésus de son « exodos » c’est à dire sa mort, « qu’il devait accomplir à Jérusalem » (v. 31). Comme par ailleurs saint Luc est le seul évangéliste à utiliser ici le terme doxa (gloire, v. 32), cette liaison qu’il établit entre la Passion et la gloire est très proche de la scène de Jn 12, 27-28, considérée souvent à bon droit comme le correspondant johannique de la Transfiguration des Synoptiques.

Le mot exodos, en soi il signifie sortie. On peut le traduire littéralement par exode. Luc aurait regardé comme un nouvel Exode tout ensemble la Passion, la Résurrection et l’ Ascension : par ses souffrances, Jésus quitte Jérusalem incrédule qui correspond à l’Égypte, pour entrer dans la gloire, qui correspond à la Terre Promise de l’ancien Exode.

Avec cette exégèse, on est amené à conclure que le nouvel Exode, qui dans Marc et surtout Matthieu coïncide plutôt avec les débuts du ministère public de Jésus, est relégué par le troisième évangéliste, comme par Jean, à la fin de son existence terrestre. Les quarante ans de pérégrination des Hébreux en route vers la Terre Promise auraient alors pour correspondant les quarante jours (Ac 1, 3) qui séparent la Résurrection de l’Ascension.