Prière universelle, poil à gratter…

Cessons de donner des directives à Dieu

Un article de Randall Smith, dans The Catholic Thing, sur le site de France Catholique

Platon trouvait ridicule la prière d’intercession. Si Dieu est infiniment bon, Lui suggérer de changer d’avis ou de vous traiter autrement, c’est Lui demander d’agir avec moins de discernement, d’aller contre Sa propre nature. Et cependant, le Christ nous a dit de prier, et de demander ce dont nous avons besoin. J’ai beau admirer Platon, je me rangerai toujours du côté du Christ.

D’autant que Platon marque un point. Devrions-nous vraiment dire à Dieu ce qu’Il doit faire ? De même, la Bible est claire là-dessus, Dieu nous connaît mieux que nous nous connaissons nous-mêmes, et Il sait mieux que nous ce qui est bon pour nous. L’appeler à l’aide est une chose ; Lui donner notre avis sur la façon de nous aider est tout autre chose.

Voilà pourquoi je suis souvent gêné par la mode actuelle dont est affublée la « Prière universelle » à la messe — incluant des directives spécifiques sur la façon dont Dieu devrait nous aider. En pratique, on entend (vous aussi l’entendez sans doute ainsi) quelque chose comme : « Pour une solution au conflit au Moyen Orient, que Dieu fasse admettre à tous les belligérants qu’ils ont plus intérêt à faire la paix qu’à poursuivre la guerre. » Ou bien : « Pour les sans-abri, pour ceux qui sont rejetés par la société, y-compris ceux qui sont rejetés en raison de leur orientation sexuelle, que Dieu nous aide à mesurer leur infinie dignité et à les traiter avec respect, et à reconnaître leurs droits dans la société. »

Rassurez-vous, je n’éprouve aucune difficulté à prier pour la paix au Moyen Orient, pour les sans-abri et les homosexuels. Mais je suis gêné par le fait que nos « que » soient si longuement développés qu’il ne puisse y avoir place que pour quatre ou cinq invocations, généralement récoltées dans les informations du matin. Dans ma paroisse, nous avions l’habitude de prier tout le temps pour Haïti, jusqu’à ce qu’éclatent les révoltes dans les pays arabes, et maintenant nous prions pour la Libye et la Syrie. Les pauvres Haïtiens ne semblent plus avoir besoin de nos prières puisque ils ne figurent plus à la « Une » du New York Times, chose bizarre car, me semble-t-il, leur situation ne s’améliore guère.

J’ai assisté à des offices de rite byzantin où la « Prière universelle » dure cinq bonnes minutes, les fidèles appelant la bénédiction de Dieu sur tout le monde, des responsables politiques aux paysans et aux ouvriers, des artistes aux mères, aux pères, aux enfants…, bref, vous pouvez en ajouter. La liste est longue. Mais ils ont le temps car ils ne se mêlent pas d’expliquer à Dieu comment agir. Par exemple, ils ne disent pas : « Pour les enfants, qu’ils comprennent mieux la sagesse de leurs parents. » Ou : « Pour les députés, qu’ils écoutent plus fidèlement la voix de leurs électeurs. » Non, ils prient, tout simplement, et laissent Dieu décider de ce qui est le mieux.

Ce n’est pas ma crainte seulement d’une position théologique bizarre en disant à Dieu ce qu’Il doit faire, mais aussi d’une prise de position sociologique bizarre (et politiquement gênante) en étant agressé à la messe par le dernier slogan politiquement correct déguisé en prière. Nombre de telles invocations ne sont pas vraiment adressées à Dieu mais aux paroissiens. Lorsque quelqu’un prie : « Pour ceux qui sont rejetés en raison de leur orientation sexuelle, que nous reconnaissions pleinement leurs droits dans la société. » ce n’est pas vraiment une prière adressée à Dieu, c’est une prise de position politique. « Dieu » n’a pas grand’chose à voir là-dedans.

Remarquez que de telles prières comportent rarement une question directe : « Aidez-nous, Seigneur, à voir votre vérité et à marcher sur vos traces. » Elles semblent plutôt parler de Dieu à la troisième personne, comme s’Il n’était pas vraiment présent. Ce sont des invocations qui laissent Dieu de côté : « Que nous puissions user davantage des sources d’énergie renouvelables et réduire notre dépendance de l’énergie fossile. » Est-ce une prière ou un élément de plate-forme politique ?

Pour certaines invocations, en particulier émises par les paroissiens, il est difficile de dire si j’apporterai mon « Amen ». Que faire quand quelqu’un énonce une telle prière : « Pour que les catholiques aient un plus grand respect envers la liberté sexuelle. » ? À propos de ce genre de prière, je me contente d’une prière silencieuse « Seigneur, je n’ai pas la moindre idée de ce que ça signifie, je Vous prie de nous aider comme nous en avons besoin. » Ne serait-ce pas plus sensé ? Dieu nous connaît bien mieux que nous nous connaissons nous-mêmes, et en vérité Il sait mieux que quiconque comment nous aider. Les exhortations morales ont une place toute désignée dans les homélies, et les déclarations politiques doivent être réservées aux politiciens. Et pour l’amour du Ciel (et pour nous-mêmes) adressons-nous à Dieu, comme présent parmi nous. Et, par-dessus tout, rappelons-nous qu’il n’est nul besoin de dire à Dieu la meilleure façon de nous aider. Il y a déjà un bon bout de temps qu’il s’en occupe, après tout.