Sur le site de La Croix, article de Marguerite de Lasa
Portrait. Alors que des émeutes d’extrême droite ont enflammé le Royaume-Uni, un imam de Liverpool, Adam Kelwick, s’est illustré en nouant un dialogue avec les manifestants. Samedi 3 août, une photo de lui le montrant prenant l’un d’eux dans ses bras est devenue virale.
Depuis une semaine, Adam Kelwick a traversé des moments de grande inquiétude, mais aussi de beauté et d’espoir. Au milieu de la violence d’extrême droite qui vise notamment des mosquées dans tout le Royaume-Uni, déclenchée après le meurtre de trois fillettes, le 29 juillet à Southport, cet imam de Liverpool est, contre toute attente, parvenu à nouer un dialogue avec des manifestants.
« Nous ne sommes pas d’accord sur tout, admet-il après une rencontre, le 8 août, avec eux. Mais nous avons eu le sentiment d’avoir été montés les uns contre les autres. » Le lendemain, voyant sur les réseaux sociaux que celui qu’il avait rencontré la veille n’appelait plus à manifester, l’imam a éprouvé un grand soulagement. « On dirait qu’on a résolu le problème. »
« Tendre la main »
Le travail de l’imam semblait avoir porté des fruits. Tout a commencé le samedi 3 août, quand une photo de lui est devenue virale sur les réseaux sociaux. On le voyait, chéchia blanche sur la tête, les yeux fermés et les traits imprégnés d’un sourire profond, serrer dans ses bras un manifestant.
C’était la veille, à Liverpool. Ce soir-là, la mosquée Abdullah-Quilliam, où il prêche, avait été désignée comme cible par l’extrême droite. En réaction, environ 200 manifestants antiracistes, selon le journal britannique The Guardian, s’étaient rassemblés devant l’édifice pour protéger le lieu de culte. De l’autre côté de la rue, derrière une barrière de policiers, une trentaine de manifestants hostiles étaient regroupés.
Par deux fois, l’imam a demandé à la police s’il pouvait traverser la rue pour aller leur parler. « Ils ne m’ont pas autorisé, parce que la situation était trop tendue », se souvient-il. Après un moment, Adam Kelwick est allé voir la responsable de la police. « Je lui ai expliqué à quel point c’était important pour notre communauté de tendre la main aux manifestants et de leur montrer que nous voulions les écouter. » Et la police a fini par accepter.
Accompagné d’autres fidèles, l’imam a donc traversé la rue et a souri aux manifestants en leur proposant des hamburgers. « Les premières personnes à qui j’ai parlé m’ont ignoré, comme si je n’existais pas. Elles m’ont regardé droit dans les yeux, j’ai pensé : ”OK, vous avez vos raisons, vous êtes contrariés.” Et je suis passé aux personnes suivantes. » Au bout d’un moment, certains ont finalement accepté les plats qu’il leur offrait. Et à partir de là, tout le monde a commencé à discuter.
« Surtout, nous voulions les écouter, insiste l’imam. Ils avaient beaucoup de colère et de mécontentement à évacuer. » Les manifestants disaient par exemple que l’immigration était trop importante, qu’ils avaient peur pour leurs enfants, et que la police agissait mal. « À chaque fois, j’essayais d’expliquer que nous avions les mêmes préoccupations. »
Inviter les manifestants à la mosquée
Puis il les a invités à la mosquée. « Si vous voulez sérieusement résoudre ces problèmes, leur a-t-il dit, ça tombe bien, j’ai une mosquée pleine de bénévoles. Amenez vos amis, nous allons nous asseoir ensemble et réfléchir à ces sujets, parce qu’ils nous concernent tous. » Le rendez-vous a été pris, certains ont dit qu’ils viendraient. Quant aux personnes qui l’ont ignoré, « elles sont aussi dans mes prières, conclut l’imam. Et elles sont aussi bienvenues à la mosquée ».
Moins d’une semaine plus tard, l’événement est annoncé. Au-dessus d’un visuel titré : « L’islam est-il une menace pour la Grande-Bretagne ? », Adam Kelwick précise sur X : « Nous ouvrons nos portes aux habitants de Liverpool, en particulier à ceux qui ont manifesté contre nous la semaine dernière. »
Où a-t-il trouvé la force pour traverser cette rue et enjamber la distance qui le séparait de manifestants d’extrême droite ? Simplement dans sa foi musulmane, répond-il. Celui qui partage son temps entre son travail d’imam et l’action humanitaire évoque le Prophète de l’islam. « Il nous a appris que nous devions répondre aux actes malveillants par des bonnes actions », insiste-t-il, citant un verset du Coran : « Repousse le mal par ce qui est meilleur ; et voilà que celui que tu avais repoussé avec animosité devient un ami chaleureux » (Coran 41 : 34).
La voix d’Adam Kelwick sonne sur le ton joyeux de l’évidence : « Le meilleur moyen de détruire ton ennemi, c’est de faire de lui ton ami. »
Depuis une semaine donc, il reçoit des messages d’imams du pays, qui lui demandent comment reproduire ce qu’il a fait. « Ce n’est vraiment pas très difficile, leur dit-il. La première chose à faire, c’est de regarder l’autre comme un humain. Ensuite il faut lui parler et l’écouter. Et s’il y a de la nourriture dans l’équation, ça rend les choses encore plus faciles. »
——
6,5 % de musulmans en Angleterre et au pays de Galles
L’Angleterre et le pays de Galles comptent aujourd’hui un peu moins de quatre millions de musulmans, soit 6,5 % de la population. Cela fait de l’islam la deuxième religion des deux nations.
Moins de la moitié de la population (46 %) se déclare chrétienne en 2021. Les « sans religion » viennent ensuite, comptant, eux, pour 37 %.
Londres reste la région d’Angleterre la plus diversifiée sur le plan religieux en 2021, avec plus d’un quart de tous les résidents déclarant une religion autre que chrétienne.