Créer des tribunaux ecclésiastiques indépendants pour juger des cas d’abus en tout genre, c’est ce que l’abbé Nicolas Betticher souhaite pour l’Eglise catholique. Le but : décharger les évêques d’une responsabilité inconfortable, qui les pousse, dans bien des cas, à avoir la position de juge et partie.
Le modèle juridique de l’Eglise, fondé sur un système féodal datant du XVIe siècle, n’est plus actuel. “L’évêque possède les trois pouvoirs (munera) ecclésiaux, il est donc souverain, juge et législateur”, indique Nicolas Betticher, official (juge délégué de l’évêque) du Tribunal interdiocésain suisse.
“Pour ce qui est des cas de pédophilie au sein du clergé, le modèle actuel est malsain et peu crédible. Car l’évêque est celui qui engage le prêtre, il est le juge suprême qui condamne les coupables et qui doit aussi protéger les victimes”. D’autant plus que l’Eglise n’a pas toujours connu ce système. Jusqu’au XIIIe siècle notamment, il y avait une distinction nette entre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire.
“Comment condamner un prêtre qu’on a personnellement connu, ordonné et engagé?”
“Nous pourrions lutter plus activement contre la dissimulation, suggère le prêtre fribourgeois. Il s’agit aussi de protéger les évêques contre eux-mêmes, contre leur méconnaissance de la manière dont il faut traiter les cas d’abus. Je l’ai souvent vécu personnellement”. Ce fut le cas lorsqu’il fut vicaire général, dès 2007, et que les cas ont commencé à arriver. “Nous ne savions pas comment nous y prendre, d’autant plus qu’il n’y avait pas de traces écrites dans les dossiers personnels. On a beaucoup camouflé, confie l’official, parce que les évêques sont souvent juge et partie. Comment peuvent-ils dénoncer puis condamner un prêtre qu’ils ont connu, ordonné et engagé?”
“Dans le système actuel, la Commission pour les cas d’abus sexuels des évêques suisses ne peut que conseiller. Il revient notamment aux évêques de transmettre un cas au Ministère public. Ils doivent aussi annoncer l’affaire à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Mais est-ce qu’une seule instance romaine est en mesure d’agir pour le monde entier? Ce n’est que peu réaliste”.
“Rome ne peut pas gérer tous les cas de RH du monde entier”
Parallèlement, les cas d’abus de pouvoir posent problème. “S’il y a un conflit entre deux prêtres du même diocèse, énumère Nicolas Betticher, ou entre un prêtre et son évêque. Le prêtre ne peut pas dénoncer son évêque dans sa propre juridiction. Il ne lui reste plus que l’instance supérieure, c’est-à-dire Rome. Il ne va pas non plus aller à Rome, car s’il perd le procès, il risque gros contre son évêque, qui reste toujours son employeur, son juge et son père spirituel. En outre, Rome ne peut pas gérer tous les cas de RH du monde entier”.