Sexualité, source de vie et d’humanité

par Bertrand VERGELY Philosophe et théologien chrétien

Dans le Dictionnaire encyclopédique d’Éthique Chrétienne (1), Bertrand Vergely développe l’éthique chrétienne de la sexualité et pose quelques questions fondamentales sur une humanité sans sexualité ou une sexualité sans humanité. En voici des extraits.
La sexualité qui est vie est affaire de sens. Pour qu’elle puisse vivre il faut qu’elle signifie quelque chose, faute de quoi elle meurt. Elle a du sens de trois façons. La première est liée au langage, la seconde à la sagesse, la troisième à la mystique .

Le langage

S’agissant du langage, il faut rappeler que rien n’est moins sexuel que le sexe privé de langage et rien n’est plus sexuel que le sexe avec le langage. Faire l’amour, ce n’est pas faire l’amour à un corps muet, mais à une personne en chair et en os, qui parle et à qui on parle. Il est naturel d’avoir une pulsion sexuelle quand on est un homme ou une femme. Il devient humain de transformer cette pulsion en intérêt envers l’être source de désir. Le langage permet la transformation de la pulsion en intérêt. Il permet à la pulsion de s’épanouir. La preuve. Qu’il y ait pulsion sans que celle-ci ne devienne un intérêt, la pulsion perd son sens. Elle cesse d’avoir de « l’intérêt ». Il est beau de faire l’amour à un être qui nous intéresse. Il est amer et triste de faire l’amour sans intérêt pour l’être avec qui l’on est. Sans compter que la parole va loin. Parler, quand la parole est intime, c’est se confier à un autre en libérant la douceur du cœur à cœur. Ouvrir ce cœur à cœur, c’est ouvrir la douceur et la confiance qui vont rendre possible la liberté du corps à corps. On fait d’autant mieux l’amour que l’on a fait la parole avant l’amour, d’autant que cela donne une suite à l’acte amoureux. Quelle violence dans le fait de faire l’amour à un être et de le laisser en plan sans un mot, une fois la satisfaction obtenue. Quelle délicatesse à l’inverse de prolonger l’acte amoureux par l’acte langagier. S’il y a l’amour avant l’amour, il y a l’amour après l’amour. La parole est cet avant et cet après de l’amour qui fait tout l’amour de l’amour. Quand tel est le cas, la sexualité est poétique de l’existence et pas simplement sexualité en dévoilant ce secret: il n’y a pas de sexualité sans poétique.

La sagesse

S’il n’y a pas de sexualité sans poétique, il n’y a pas de sexualité non plus sans sagesse. «L’amour rend philosophe» (2). Aimer un corps passe par le fait d’aimer l’âme qui va avec lui et aimer cette âme, ce qu’elle vit, ce qu’elle désire, son univers intérieur -en un mot son rapport à l’existence-. L’amour fait rentrer dans un univers de plus en plus riche. C’est en cela qu’il rend philosophe. Il donne à penser. Il donne à voir. Il donne à être. Il invite à se mettre à penser, à voir et à être. Toute expérience sexuelle riche rend plus sage. Toute sagesse en retour libère la sexualité. C’est ce qui fait la singularité de la sagesse. Celle-ci fait découvrir une origine inconnue de la sexualité.

La mystique

Enfin, il y a une dimension mystique dans la sexualité. Posons le désir comme étant ce qui va au-delà parce qu’il est envie de. Le désir qui vit ainsi est signe et ce signe est transcendance. Ce qui éclaire sa nature. Le désir est désir parce qu’il est transcendé par le fait de désirer. C’est cette transcendance qui l’invite en profondeur à désirer. S’agissant de la sexualité, c’est elle qui lui donne son aspect grisant… C’est ce que donnent les rencontres amoureuses fortes. Celles-ci obligent à se transcender en vivant de toute sa chair. La sexualité devient alors fastueuse en faisant toucher ce que l’existence peut avoir d’essentiel grâce à autrui. On comprend qu’à l’occasion du sexe puisse se dérouler autre chose que le sexe en faisant éclater le paradoxe de la sexualité. Le fond de la sexualité n’est pas sexuel. Il est plus que sexuel. Il est transcendant. La sexualité est vie parce qu’elle s’enracine dans la relation qui unit l’humanité à Dieu, source ineffable de toute vie.

1- Editions du Cerf – 2013 2- in le Banquet de Platon – Garnier-Flammarion. 1965.
– Lettre des Équipes Notre-Dame n°206 – Mars – Avril 2014 – www.equipes·notre·dame.fr