Sur le site du journal La Croix, ce 7 juillet 2017
ENTRETIEN Le Père Dominique Foyer, théologien, enseignant à l’Université catholique de Lille, revient sur les controverses sur l’avortement, réactivées au moment du décès de Simone Veil, qui fit adopter la dépénalisation de l’avortement en 1975.
La Croix : Le décès de Simone Veil a été l’occasion pour certains catholiques de redire leur opposition à l’avortement. Beaucoup ont estimé que ces prises de position étaient malvenues à ce moment-là. Partagez-vous cette critique ?
Père Dominique Foyer : Il n’y a pas de « bon » ou de « mauvais » moment pour exprimer son opposition à quelque chose de négatif. Ce qu’il faut prendre en considération avant tout, c’est la gravité d’une situation. Or, aujourd’hui comme en 1975, la situation est grave : il s’agit toujours du respect de la vie humaine.
Quand Madame Veil est montée à la tribune de l’Assemblée nationale pour présenter le projet de loi portant sur l’interruption de grossesse, elle n’a pas hésité à parler du drame des femmes confrontées à l’avortement, ni à dire qu’elle considérait l’interruption de grossesse comme une solution de dernier recours. Elle voulait protéger les femmes qui mettaient leur vie en danger en recourant à l’avortement dans des conditions de clandestinité.
Contrairement à ce qu’on répète volontiers, elle n’a jamais parlé d’un quelconque « droit » à l’avortement. Il me semble que ce n’est pas manquer de respect à sa mémoire que d’exprimer les mêmes réticences qu’elle vis-à-vis d’une pratique qui, même si elle protège la santé et la vie des femmes, consiste à mettre fin à une existence humaine innocente et sans défense.
Comme souvent, les mots de certains opposants à l’avortement ont été critiqués pour leur brutalité, notamment le tweet de Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne (1). Le pape François lui-même a eu des mots très forts sur l’avortement par le passé, parlant de « mal absolu » et de « crime ». Vous semble-t-il possible de s’opposer à l’IVG, ou du moins de porter un discours alternatif, sans risquer de blesser des personnes ?
P. D. F. : La vérité est souvent brutale. Les mots peuvent être ressentis comme « durs » ou « intransigeants ». Ceux qu’a employés le pape François ne doivent pas nous surprendre. Ils sont dans la droite ligne de ce qu’écrivait le Concile Vatican II en 1965 : « La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception : l’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables » (constitution Gaudium et spes sur l’Église dans le monde de ce temps, n° 51).
Notons que ces mots très fermes ne visent pas les personnes qui ont recours à l’avortement. Il s’agit ici de porter un jugement moral et spirituel sur des pratiques, sur des actes, restant sauve la nécessité d’apprécier au plus juste la responsabilité personnelle et collective de ceux qui les font, les organisent ou les encouragent.
Non seulement il est possible de s’opposer à la banalisation de la pratique de l’avortement, mais c’est un devoir moral que de s’y opposer. Car, en définitive, ou bien l’avortement est une « bonne pratique » et dans ce cas il faut le favoriser et même l’encourager, ou bien c’est une « mauvaise pratique » et dans ce cas, il faut en limiter l’usage le plus possible en proposant des solutions alternatives.
C’est ici qu’un « discours alternatif » peut trouver sa place : à côté de la condamnation franche d’une pratique inhumaine, l’Église doit aussi parler avec compassion et miséricorde aux personnes concernées, les femmes enceintes en premier lieu.
Quarante ans après la loi Veil, et alors qu’elle est parfaitement acceptée par l’immense majorité des Français, cela a-t-il encore du sens de s’y opposer ?
P. D. F. : Il ne faut jamais baisser les bras quand on a conscience de lutter pour la vérité et pour la justice. On ne doit pas s’opposer aux lois de la République, sauf quand elles sont manifestement en rupture avec les lois fondamentales de l’humanité, notamment dans le domaine du respect des droits humains. Rappelons seulement que le droit à voir sa vie protégée dès son commencement est un de ces droits fondamentaux. La vie humaine est là dès la conception de l’embryon. Lui porter atteinte est un meurtre.
Dire qu’on s’oppose à la loi Veil n’a plus grand sens aujourd’hui, car elle a fait l’objet de multiples modifications qui l’ont complètement dénaturée : les lois Aubry et Roudy, par exemple, ont modifié substantiellement les conditions d’accès à l’IVG initialement prévues par Mme Veil. Le volet « prévention des grossesses non désirées » et « éducation à la fécondité responsable » ont été largement négligés. On s’est gargarisé d’un prétendu « droit des femmes à disposer de leur corps » en omettant les aspects préventifs et éducatifs. On peut dire, avec le recul, que certains choix politiques ou idéologiques ont contribué à la dérive actuelle.
Une réflexion sérieuse sur les situations de détresse qui conduisent à recourir à l’avortement nous pousserait à rechercher d’autres solutions et sans doute à en trouver. Beaucoup d’avortements pourraient être évités aujourd’hui si les femmes qui y recourent se sentaient moins seules, moins abandonnées à leur sort.
(1) « Je prie pour Simone Veil, car « l’avortement n’est pas un moindre mal, c’est le mal absolu, le meurtre d’une vie innocente » (pape François) »