Un intrus au pays de ses pères

(14° D. TO. B — Mc 6, 1-6) Quittant Jaïre rétabli dans sa condition de « père », les disciples suivent Jésus dans sa « patrie ». Nazareth n'est ici désigné qu'à travers le mot de « patrie », le lieu du père, des pères, par deux fois (versets 1 & 4).

Le fils de son Père

Entre ces deux mentions de la « patrie », la grande surprise est de voir défiler toute la parenté, la mère, les frères, les sœurs, mais justement pas de « père » : aucune trace de père ! Ce clan sans père était déjà la situation familiale dépeinte implicitement en Mc 3, 32 : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent ». Marc ne parle nulle part de Joseph. Cette « patrie » sans père est une révélation en creux, une omission décisive : l’évangile doit nous conduire à un autre père, le Père céleste. La désignation de Jésus comme « fils de Marie », fils d’une femme, très inhabituelle, va dans le même sens.

Non, le le charpentier

De ce fait, Jésus est ici non pas le « fils du charpentier » (leçon qui prévaudra en Mt 13, 55), mais lui-même « le charpentier », avec des mains de charpentier, donton s’étonne qu’elles soient devenues des mains de thaumaturge (ces grands miracles qui se réalisent par ses mains, v. 2), des mains de médecin (il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains, v. 5). Le mot tektôn, dont c’est la seule mention dans le N.T., traduit traditionnellement par « charpentier », désigne de façon large tous les artisans du bâtiment. L’archéologie nous a appris que le bâtiment était florissant dans la région à l’époque de Jésus, du fait de la reconstruction de Sepphoris (30.000 hb), à quelques kilomètres seulement de Nazareth (400 hb).

Voire même un intrus

Jésus est devenu un intrus parmi les gens de son village, ce que marque la répétition du démonstratif houtos, « celui-ci ». La première question des Nazaréens est phonétiquement expressive dans sa concision : pothen toutôi tauta; « d’où, à celui-ci, cela ? » L’étonnement devant l’enseignement de Jésus, exprimé avec le même terme qu’à la synagogue de Capharnaüm (« ils étaient frappés », Mc 1, 22), devient « choc », « scandale », eskandalizonto (v. 3). Marc a précisé d’emblée que les disciples sont présents, c’est la première fois que le verbe « suivre » est dit des disciples de Jésus. Ils vont être témoins de ce rejet, de la non-foi des siens, de ce choc, et de l’étonnement final de Jésus, condamné à l’impuissance (Il ne pouvait accomplir aucun miracle, v. 6).

Écouter l’homélie

Alors, oui ou non ?

Jésus dévoile le manque de foi. La rigidité du cœur est un obstacle à son œuvre de vie. Ce constat résonne un peu comme la conclusion de tout l’ensemble des ch. 4 & 5. Lors de la tempête apaisée, c’était le peu de foi des disciples qui était mis en relief, mais au moins ils restaient ouverts (« qui donc est celui-ci ? »). Jaïre, tout comme la femme au flux de sang, sont en attente du geste de puissance que Jésus peut faire pour eux. Ici, les proches sont fermés ; ils perçoivent bien que Jésus est habité par un don d’en-haut ; mais ils se refusent à l’inattendu qui advient par lui. C’est cela, ne pas croire. Le choc de l’inattendu se mue en endurcissement qui fait tomber (scandale).

Pas mieux que les prophètes

Face à leurs doutes, Jésus s’appuie sur la figure du prophète. Il ne s’y identifie pas, mais en fait juste allusion à l’occasion de cette maxime : Nul n’est prophète en son pays ! Or le prophète est justement celui que Dieu choisit indépendamment de sa naissance ou de ses compétences. Amos n’était qu’un bouvier et Jérémie était beaucoup trop jeune… Même Moïse avouait à Dieu qu’il n’était pas doué pour s’exprimer (Ex 4,10). Ainsi, Jésus rappelle, à travers la figure du prophète, les choix étonnants de Dieu, libre de toutes conventions et critères humains.

En associant la figure du prophète à celle du mépris, Jésus rappelle également comment ces mêmes prophètes, choisis par Dieu, ont été souvent rejetés. Déjà se profile pour Jésus le rejet des siens… Pour Marc, le passage par Nazareth est un seuil qui annonce de plus en plus clairement, en dépit des succès galiléens, le rejet final par Jésus de tous les « siens ».

Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas accueilli.