Un presbyterium diocésain aujourd’hui ?

"J'aiderai les prêtres, les missionnaires, toute l'Eglise", Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus.

Année après année, la liste des nominations dans mon diocèse comporte des mouvements normaux de changements d’affectation et de ministère.

Il y a aussi des arrivées (ou des départs) de prêtres venant d’autres pays pour vivre (de façon provisoire ou définitive ? — qui le sait ?) dans notre diocèse.

Il faut parler aussi des disparitions de prêtres originaires du diocèse. Parce qu’ils font partie de la Communauté de l’Emmanuel, dont était issu aussi notre évêque, ils sont appelés « ailleurs » et partent — pour un temps, pour toujours ? qui le sait ? — dans d’autres diocèses, voire dans d’autres pays. Il en arrive d’autres, de la Communauté de l’Emmanuel, pour les remplacer… Une sorte de « turn-over » presbytéral, comme l’on dit en bon français…

Messe chrismale, cathédrale du Mans

Certes, un « presbyterium » aujourd’hui (l’ensemble des prêtres d’un diocèse) est beaucoup plus « bariolé » qu’autrefois, constitué

  • de prêtres originaires du diocèse lui-même,
  • d’autres venant d’Afrique comme Fidei Donum,
  • d’autres qui sont religieux (ici dans la Sarthe ; Congrégation de Sainte-Croix, Congrégation des Martyrs de Corée, Congrégation Saint Jean, et j’en oublie sans doute)
  • d’autres issus de Communautés Nouvelles (dans la Sarthe, l’Emmanuel).

La présence de prêtres Africains est régie par les accords entre évêques, avec l’aide de la Conférence épiscopale. Celle des prêtres religieux par l’appel de l’évêque au Supérieur Général de la Congrégation. Celle des prêtres issus de la Communauté de l’Emmanuel par l’accord entre l’évêque et le Modérateur général ainsi que le prêtre responsable de l’association cléricale.

Chaque prêtre est au clair sur le type d’obéissance qu’il a promise à l’évêque, en vue d’une unité pastorale de l’ensemble :

  • pour un prêtre diocésain : à moi (l’évêque du Mans) et à ses successeurs
  • pour un religieux : à mon supérieur et à mon évêque (celui du diocèse où il a charge pastorale)
  • pour un prêtre de la Cté de l’Emmanuel : à son évêque (du diocèse d’incardination, et de celui où il a charge pastorale s’il change de diocèse) et à la communauté

On lit ainsi sur l’un des sites de l’Emmanuel : « Dans les missions, qui décide ? L’évêque ou le responsable des prêtres de l’Emmanuel ? Les deux, en communion, dans le souci du bien du prêtre et de la mission. Puisque le prêtre de l’Emmanuel est 100 % diocésain et 100 % Emmanuel, il est évident que et l’évêque, et le responsable des prêtres de l’Emmanuel s’accordent dans les missions du frère prêtre. Tantôt c’est l’évêque qui prend l’initiative et interpelle la Communauté de l’Emmanuel pour une mission particulière. Tantôt c’est la Communauté de l’Emmanuel qui fait une demande particulière de son évêque. Quoiqu’il en soit, la décision est toujours vécue dans un souci de communion et confiance mutuelle. »

On peut penser que cet aspect bariolé du presbyterium d’un diocèse va s’accentuer dans les prochaines années (je pense à la Communauté Saint-Martin dans les diocèses où elle est appelée)…

On lit sur le site de la Cté St Martin : « Dépendant directement du Saint-Siège, la Communauté Saint-Martin est une association de prêtres et de diacres séculiers vivant leur apostolat en communauté, au service des diocèses. » « Vie commune et mobilité sont les deux principales caractéristiques de la vie martinienne. Envoyés au moins par trois, les prêtres et diacres prient, vivent et travaillent ensemble, dans une fraternité spirituelle et pastorale. » « En répondant à l’appel des évêques, elle se voit confier par eux des missions apostoliques variées. Les prêtres et diacres de la Communauté sont ainsi en ministère dans des paroisses, des aumôneries de collège, des internats, des sanctuaires. La plupart sont en France, mais plusieurs sont aussi en mission à l’étranger ».

Toutefois, lorsque l’évêque est issu lui-même d’une Communauté, en l’occurrence l’Emmanuel, on peut avoir l’impression, d’une mobilité plus grande des prêtres issus de la même Communauté.

Dans le diocèse du Mans, cette année en juin 2022, cela signifie le départ de deux prêtres, l’arrivée de deux autres, l’abandon d’un secteur paroissial desservi depuis 12 ans par les prêtres de l’Emmanuel, repris par un prêtre diocésain non-Emmanuel, et le repli sur un autre secteur plus rural où les prêtres de l’Emmanuel sont présents aussi depuis 12 ans (si je ne me trompe pas dans ce décompte). Ces mouvements ont-ils à voir avec le départ de notre Évêque, nommé à Annecy ? Lui seul le sait.

Cela ne va pas sans poser des questions au prêtre diocésain « pur sucre » que je suis, qui se demande quel type de presbyterium l’on construit ainsi…

Le « presbyterium » diocésain n’aura-t-il à l’avenir de « diocésain » que le « nom », devenant un « patchwork » en équilibre instable, où les prêtres originaires du diocèse lui-même seront minoritaires ?

L’enracinement géographique du ministère presbytéral est-il dépassé, devient-on prêtre « hors sol » ? Se déplaçant de diocèse en diocèse ?

Cathédrale du Mans

Les chrétiens de nos communautés locales paroissiales, qui « changent » régulièrement de curé, vont-ils aussi devoir se plier aux « spiritualités communautaires » des uns ou des autres au gré des nominations successives ?

Qu’arrive-t-il pour ces chrétiens lorsque les prêtres issus d’une Communauté avaient investi pendant de longues années leur « secteur » composé de plusieurs paroisses, imposant en plus des orientations diocésaines, certaines orientations issues de leur culture communautaire, puis disparaissent au profit d’une nomination de prêtres purement diocésains… ? Quelle vision relationnelle avons-nous du ministère presbytéral ?

La Communauté de l’Emmanuel poursuit-elle des objectifs supra diocésains, voire nationaux ou internationaux, en déplaçant ainsi « ses » prêtres à son gré, qui sont nommés « en accord avec l’évêque de…, le modérateur de la communauté de l’Emmanuel et le responsable de l’association cléricale de la communauté de l’Emmanuel » ?

Ces questions restent pour moi sans réponse, mais précisément j’aime les mettre par écrit pour mieux les formuler, puisqu’elles m’habitent…

Je ne cache pas un certain malaise devant cet état de fait. Il est arrivé que des confrères de l’Emmanuel, ordonnés ou non dans le diocèse, restés un certain nombre d’années au service du diocèse, disparaissent discrètement, sans même qu’on ait pu se dire au revoir, après ces années passées ensemble… Nous avons appris leur départ et leur nomination ailleurs par la liste des nominations, juste avant les vacances et les déménagements… Est-ce un état de fait « normal » dans un presbyterium ? Quelle église locale, diocésaine, sommes-nous en train de construire ?

Compte tenu de la place beaucoup plus importante des laïcs en responsabilité pastorale, et en dépassant le cadre du presbyterium, pour l’élargir à celui de l’ensemble des « acteurs pastoraux », qu’ils soient prêtres, religieux, laïcs, on constate que leur mobilité est également chaque année plus grande.

Ne pourrait-on pas imaginer, n’avons-nous pas à inventer, soit en fin d’année pastorale, soit au début de la suivante, une rencontre de l’ensemble des acteurs pastoraux, pour dire au revoir, remercier ceux qui partent, et accueillir et faire connaissance de ceux qui arrivent ?

Déjà, en septembre 2020, j’avais fait parvenir au Conseil Presbytéral cette question : « Il me semble qu’il serait intéressant de réfléchir à une rencontre annuelle conviviale de l’ensemble des « missionnés », qu’ils soient prêtres, diacres, laïcs, religieux et religieuses, autour de cette réalité des « changements et/ou fin de mission », ce qui contribuerait à fortifier les liens des uns avec les autres, et à susciter des témoignages de gratitude et de reconnaissance. Bref, une « bonne pratique » de plus, innovante, meilleure que celle que nous avons actuellement… »

Ce serait humain, simplement humain… et donc chrétien.

P. Dominique Auzenet, 7 juillet 2022, © Charismata

Un couple ami d’un autre diocèse m’envoie cette réaction :

J’ai lu avec grand intérêt votre réflexion référencée ci-dessus. Je l’ai fait lire également à mon mari qui l’a trouvée très juste.

De notre place de fidèles, deux mots viennent à l’esprit : attachement et enracinement. Deux réalités qui demandent du temps, de la persévérance et une terre dans laquelle prendre racine pour, un jour, porter du fruit.

Nous pouvons être nous aussi surpris par ces multiples mouvements de mutation qui ressemblent étrangement à la posture de nombreuses entreprises : faire bouger les salariés afin que personne ne s’installe trop durablement. Cela conduit au mouvement pour le mouvement, sans même qu’il y ait toujours un bénéfice pour l’entreprise ou pour les personnes. Il y a un côté « citoyen du monde », à l’aise partout mais ancré nulle part.C’est le gyrovague de la règle de saint Benoît.

On sait aussi combien, longtemps, les mutations ont été la seule et tragique réponse aux actes inacceptables qui avaient pu être posés par des membres de l’Eglise, clercs et laïcs, qu’il aurait fallu stopper fermement au lieu de les déplacer avec le risque considérable de les laisser continuer.

Dans l’Eglise, seul le temps long et une forme de permanence me semblent permettre d’authentiques liens fraternels. Sans cela, chacun devient interchangeable, formaté pour un service, remplaçable, au détriment de la rencontre véritable. Alors, la connaissance mutuelle, le lien d’affection, le soutien authentique ne peuvent se vivre.
La tentation pour les fidèles c’est le nomadisme paroissial, en fonction de l’offre et de la demande : caté ici, messe là-bas, groupe de prière ailleurs, proposition pour les jeunes à un autre endroit…

L’accueil et l’intégration de prêtres africains est aussi un défi compte tenu des différences culturelles que nous peinons à cerner précisément et de la brièveté de certaines missions.