AFP Mercredi, 20 décembre 2017
Le pape François a envoyé mercredi ses condoléances pour la mort du cardinal américain Bernard Law, sans mentionner le scandale de pédophilie qui avait entraîné sa démission à Boston, également ignoré dans la biographie du prélat publiée par le Vatican.
Dans un traditionnel télégramme adressé au doyen des cardinaux, le pape François écrit: «j’ai appris le départ du cardinal Bernard Francis Law, archevêque émérite de la basilique papale de Sainte-Marie-Majeure et je souhaite exprimer mes condoléances au collège des cardinaux».
«Je prie pour le repos de son âme, que le Seigneur, Dieu qui est plein de miséricorde, l’accueille dans Sa paix éternelle», écrit le pape, dans un message qui ne revient pas sur la vie du prélat.
Une biographie publiée par le Saint-Siège rappelle pour sa part les grandes étapes de sa carrière, mais reste absente sur les scandales de prêtres pédophiles dans l’archidiocèse de Boston qui avaient conduit Mgr Law à présenter sa démission au pape Jean-Paul II, le 13 décembre 2002, poussé vers la sortie par de nombreux prêtres américains lui reprochant son silence.
«À partir du 13 septembre 2002, il est archevêque émerite de Boston», peut-on simplement lire dans cette biographie officielle.
On apprend aussi qu’il est nommé, le 27 mai 2004, archiprêtre de la basilique papale de Sainte-Marie-Majeure, dont il devient après ses 80 ans l’archiprêtre émérite. Le Vatican rappelle aussi qu’il a participé au conclave d’avril 2005 qui a élu pape Benoît XVI.
Les obsèques du cardinal, mort mercredi des suites d’une longue maladie à l’âge de 86 ans, seront célébrées jeudi en présence du pape dans la basilique Saint-Pierre au Vatican, comme le veut la tradition pour les cardinaux résidant à Rome.
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Pourquoi scandale de plus ?
Quiconque a vu le film Spotlight, qui relate la mise en lumière du système de protection des prêtres pédophiles dans le diocèse de Boston, ne peut que ressentir un profond dégoût pour cette façon qu’a l’Église de se dédouaner de ses crimes.
Le pape François a sanctionné les prêtres du Nigeria, mais il accorde tous les honneurs pour un cardinal qui relevait du Motu Proprio Comme une Mère aimante concernant les évêques qui ont été négligents dans les cas de pédophilie. Deux poids, deux mesures ! Le Motu Proprio de 2016 n’est-il donc que foutaises … ?
Dans son interview sur le site du Figaro, Jean-Marie Guénois affirme que l’Eglise a protégé le cardinal Law, l’exfiltrant à Rome, pour éviter un procès avec la justice américaine.
Le journal La Croix retrace ici l’historique de toute cette affaire.
Bien sûr, bien sûr, il ne faut pas faire d’anachronisme… Mais tout de même, entre 2002 et 2017, cela ne fait que 15 ans… Le Motu Proprio du pape François lui-même ne devrait-il pas l’engager en 2017 à plus de retenue ?
Même si ce décès représente la fin d’une époque, on peut légitimement penser que le pape François se décrédibilise en enterrant honorablement lui-même un tel homme…
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Et voici ce à quoi on aboutit…
Sur le site de La croix, deux jours plus tard, le 22 décembre, un article de Nicolas Senèze :
Entré quelques minutes avant la fin de la messe dans la chapelle de l’abside de la Chaire de Pierre où se tenaient les obsèques, le pape François s’est contenté, comme il le fait pour tout cardinal dont les funérailles sont célébrées à Rome, de présider le rite du dernier adieu.
« Puisse-t-il recevoir un jugement miséricordieux », a-t-il demandé, récitant la traditionnelle prière en latin.
Mercredi matin, dans un télégramme de condoléances, inhabituellement court et tardif, le pape n’avait mentionné que l’ancienne fonction du cardinal Law comme archiprêtre de Sainte-Marie-Majeure.
Alors que, habituellement dans ce genre de télégramme, le pape prend soin de mentionner et de louer l’action pastorale du disparu, il n’a pas eu un mot pour les années bostoniennes du cardinal Law.
C’était « un homme bon avec de bonnes intentions », a confié le cardinal slovène Franc Rodé à l’agence Reuters après la messe.
« Toutes les mesures à propos de la pédophilie n’étaient pas aussi sévères qu’elles le sont maintenant aussi on ne peut pas dire qu’il a fait quelque erreur », a-t-il ajouté, reflétant l’opinion de nombre de personnes de la Curie qui ne comprennent pas les conséquences des graves manquements du cardinal Law accusé d’avoir couvert de nombreux prêtres ayant fait des centaines de victimes.
On croit rêver… Il ne manquait que l’avis du cardinal Rodé, un cardinal corrompu qui a reconnu, moyennant finances, toutes les communautés nouvelles très problématiques qui font tache aujourd’hui dans l’Eglise.
Ce qui est totalement incompréhensible, c’est l’attitude du pape François. Il vient de perdre sa crédibilité dans la lutte contre la pédophilie. Peut-être a-t-il considéré que Law était un migrant réfugié à Rome ? Alors la vue pontificale se sera brouillée. Quant à la nôtre, elle demeure claire.
Tant que l’Eglise catholique romaine n’aura pas fait totalement le ménage, en particulier de ses évêques et cardinaux ensableurs, il ne faut pas s’attendre à ce que l’évangélisation soit féconde, malgré les méthodes de contrainte employées par les communautés nouvelles…
Pour une juste évaluation
On peut citer aussi, pour une juste évaluation de la situation, cet extrait d’une interview de l’historien Alberto Melloni qui vient d’être publiée sur le site italien Formiche (Fourmis) http://formiche.net/2017/12/23/838297/
Concernant la disparition du cardinal de Boston Bernard Francis Law, l’homme de l’enquête Spotlight, quelle signification symbolique peut-elle avoir, dans le domaine de l’assainissement de la pédophilie dans le clergé ? Peut-on penser à une nouvelle phase, ou beaucoup de problèmes restent-ils encore non traités ?
Le cardinal Law a été la figure emblématique de la dimension la plus importante de ce qui est appelé la crise de la pédophilie dans le clergé. Parce qu’il faut toujours se rappeler que la pédophilie est un crime masculin : il n’est pas clérical, célibataire, hétérosexuel ou homosexuel. C’est une forme extrême de violence sur les femmes et leurs enfants, perpétrée dans la grande majorité par des hommes, dans toutes les couches et les strates de la société. Le fait que ce crime se soit développé dans le clergé catholique est déconcertant, mais comme je l’ai dit, il y rarement des vices ou des délits ou d’autres choses qui n’appartiennent pas aussi au monde ecclésiastique.
Ce qui a transformé ces délits en une tragédie structurelle a été l’incapacité des évêques face à des prêtres qui avouaient leur délit et face à des victimes qui dénonçaient les violences subies. Law a été l’exemple le plus dramatique de tout cela, dans un diocèse dans lequel ce type de délit a eu des protagonistes terriblement fameux pour leurs méfaits, dans lequel plutôt que de les accompagner dans un parcours de justice et prendre en charge les victimes, il s’est chargé seulement de ses fils auteurs de ces crimes en les couvrant. En 2002, il avait été envoyé à Rome, après la démission de Boston pour avoir perdu complètement la capacité de gouverner son diocèse, pour échapper à la juridiction américaine.
Quand il a célébré une des messes pour le deuil de Jean-Paul II, il y eut de fortes polémiques, du fait que peut-être le chapeau cardinalice pouvait lui être retiré. Sa mort le place dans l’histoire avec le poids gigantesque qui pesait sur lui : avoir divisé sa propre Eglise entre fils et beaux-fils, traitant les victimes de beaux-fils et de fils les auteurs de crimes, est une chose d’une gravité dont on a du mal à se rendre compte.
Bref, l’Église ne perd jamais une occasion de se tirer une balle dans le pied… Les paroles sont belles, mais les actes ne suivent pas.
D.A.