Le jour de l’enterrement de son bébé, atteint d’une cardiomégalie et mort à 6 mois de grossesse, son père s’est adressé à son fils Pio dans un texte bouleversant et empreint d’humour. Car Pio n’est pas « un ange », façon chérubin « pour vendre du carpaccio au Bistrot romain », mais un vrai enfant, « bien aimé du Père » et inscrit dans une filiation humaine et divine. Fruit de son union avec Clémence, le fils de Pierre-Louis de Fenoÿl se voit confier un rôle important: le soin de veiller sur leur mariage, et d’être ferment d’unité pour sa famille. Le témoignage que laisse Pierre-Louis permettra sans doute de mieux comprendre la mort d’un enfant si jeune, et d’aider d’autres parents à affronter cette épreuve. Sur le site de Famille Chrétienne
Pio,
Tout ce que tes parents souhaitent te dire ce matin, devant tous, tient en une phrase :
Pio bien-aimé, tu as été et tu es, pour l’éternité :
un être humain de totale dignité ;
notre fils et comme tel membre à part entière de notre famille ici représentée ;
un enfant de Dieu.
Tu as été attendu, espéré, aimé. Tu es pleinement homme, tu es unique et nous t’aimons toi. Ainsi, notre chagrin n’est pas celui de la déception d’un « projet d’enfant » remis à plus tard : notre chagrin c’est celui de l’absence de toi. Le vide laissé que ressent ta mère si profondément dans son corps comme dans notre coeur à tous les deux, c’est le manque de toi, Pio, unique et irremplaçable.
Si la grâce d’autres enfants nous est accordée, ceux-là seront nos enfants aimés d’un même coeur que Mahé et toi – qu’ils le sachent sans craindre une inexistante concurrence d’un frère parti trop tôt. Mais ils ne te remplaceront pas, ils seront tout simplement tes petits frères et soeurs. Exactement comme aujourd’hui tu es le petit frère de Mahé, notre fille aimée qui venait tambouriner à ta porte en te faisant un baiser et en disant « bébé ». Je vais te reparler dans un instant de ta famille.
Avant cela, il faut commencer par établir que tu as été pleinement petit d’homme.
Certains d’entre vous ont pu bien légitimement se demander ce que c’est qu’un bébé de presque six mois de grossesse. Et bien outre le fait que la dignité de l’être commence à la première cellule, samedi dernier c’est un petit gars parfaitement conforme que nous avons pris dans nos bras, simplement en version modèle réduit : le ventre, le dos, les pieds, la tête, le cou, les mains, les ongles, les yeux, le nez, la bouche, tout était là. Oui je dis bien tout, le papa a aussi regardé ce qui permet d’attribuer un bonnet bleu plutôt qu’un bonnet rose et bien il était très fier le papa.
Tu étais beau et pas seulement de cette beauté que trouvent tous les parents de la terre à la découverte de leur petite merveille « que c’est la plus belle de toutes les merveilles ».
Pio, nous sommes heureux d’avoir vu ton visage. Nous t’avons reconnu et avons pu te dire dans nos bras : « mon fils ».
Pio est tout un être, simplement en version petit donc. Enfin pas tout à fait. Tu avais un gros coeur. On appelle cela une cardiomégalie. C’est trivial quand on y pense que tu sois mort d’un trop gros coeur. Sous une forme symbolique c’est en tout cas très contagieux : autour de toi, nous avons tous le coeur gros aujourd’hui. Il y a eu l’effet papillon, il y a l’effet Pio désormais: celui qui dilate le coeur.
Gros coeur ou non, ça ne change rien, tu es donc bien un petit d’homme de pleine dignité mais voilà, l’état civil a quelques précautions sur le patronyme et la filiation des petits enfants partis trop tôt. J’en ai beaucoup moins et avec ta maman je souhaite établir parfaitement qui tu es car la pire des insultes et l’humiliation ultime que l’on puisse infliger à quelqu’un c’est de nier son existence, de le déshumaniser :
Tu es Pio, Marie de Gayardon de Fenoÿl, fils de Pierre-Louis et Clémence, frère de Mahé, petit-fils d’Olivier et Véronique de Fenoÿl, d’Antoine et Stéphane Deschard, arrière petit-fils de Jacques et Aliette de Fenoÿl, de Jean et Annie Deschard, de Régis et Marielle de Penanster, d’Henri-Hubert et Monique de Maistre. Tu es le Neveu de Maxime, Gildane et François, Apolline, Guirec, Amaury et Catherine, Guillaume, Alban et Louise. Tu es le cousin d’Amicie, d’Eulalie , d’Auguste et de tous les membres a venir de nos familles.
A vous tous membres de nos familles présents ou unis à notre prière, notre démarche est celle d’établir Pio comme être à part entière, membre de sa famille. Pio ce n’est pas l’enfant que n’auraient pas eu Pilou et Clem, Pio c’est votre arrière-petit-fils, votre petit-fils, votre neveu, votre cousin.
Pio, te voilà donc situé dans ta famille humaine. Tu le sais à présent mieux que nous car tu le vis déjà sans réserve ni préalable : tu es avant tout et pour toujours un enfant bien-aimé du Père. Ce n’est pas la moindre des filiations. Tu n’es pas un ange, ni devenu un ange. Cette formulation se voudrait consolatrice comme si la vision du chérubin toutes ailes dehors et la mandoline en bandoulière était d’un quelconque réconfort. C’est peut être efficace pour vendre du carpaccio au bistrot romain mais ce n’est pas vrai du tout te concernant. Tu n’es pas un ange, tu es plus que cela, tu es un petit homme, un enfant de Dieu. Et il se murmure chez quelques saints qui sont dorénavant tes fréquentations habituelles (Papa et Maman cautionnent, t’inquiète pas) que le bon Dieu a les oreilles plus larges pour les demandes des enfants.
Alors Pio, comme j’estime que :
un papa peut encore avoir la possibilité de donner des consignes à son fils avant qu’il ne puisse plus s’agir que de prières,
les affaires de coeur c’est parfaitement ton domaine.
Ecoute bien ton père s’il te plaît. Aide ta maman à retrouver la paix du coeur alors que nous souffrons de ton absence physique. Elle t’a donné la vie, par elle tu as été porté à la vie éternelle, souviens-t’en. Puisse tu passer ton ciel à veiller sur ta maman. De mon côté Clémence, je te dis devant tous mon admiration pour ton courage, pour ta force que ne contredit en rien ton hyperactivité lacrymale de ces derniers jours. Nous ne sommes pas forts d’être étanches, nous sommes forts de faire avec la grâce et un non moins sacré soutien logistique familial, ce qui doit être fait. Ma femme, en un mot, je te redis OUI comme j’ai dit oui le 22 septembre 2012. De la même façon que l’on se marie devant tous, on renouvelle aussi son engagement devant tous.Mais ton mari n’y suffira pas toujours alors ne cesse pas de demander l’aide de cette autre Marie. Elle sait ce que c’est que de perdre un fils. Ma Clé, tu m’as confié craindre de perdre ta joie de vivre. Sache qu’un sourire de ta part, un rire de ta part, surtout un rire de toi ma Clé d’ailleurs, même dès aujourd’hui, ce n’est pas une injure au deuil de notre fils et un interdit à s’imposer. C’est au contraire un aperçu de la joie véritable qui est maintenant le présent permanent de notre fils. Ton rire et ton sourire te rapprochent de lui bien plutôt qu’ils ne t’en éloigneraient. Bon, nous sommes nombreux ici à se figurer un paradis moins sonore que ce que donne à entendre ton rire mais je tiens tout ceci pour vrai et t’engage à partager cette conviction.
Clémence, je te dis aussi ma gratitude de ce que tu vives cette épreuve en union avec moi sans t’autoriser le repli sur toi. Pio, c’est ma deuxième demande, puisse-tu être pour toute notre vie sur terre ferment d’unité dans le couple de tes parents, dans notre famille, dans nos familles en portant avec ton gros coeur irrésistible cette demande vers Dieu.
C’est vers lui que nous nous tournons à présent, avec toi Pio. Tu es dans la joie plénière des enfants de Dieu. Là haut, la cardiomégalie n’est pas un vilain défaut.
Une dernière chose à te dire. Ton passage terrestre se termine comme il a commencé, dans l’amour. Nous t’aimons de tout notre coeur. Tu vois, nous y revenons toujours au coeur avec toi. La cardiomégalie à ton école, c’est d’abord de passer du gros coeur au coeur gros. A présent, Seigneur, à l’école de Pio et de son saint patron, aide-nous à passer du coeur gros au grand coeur et que, comme le dira tout à l’heure lors de la prière eucharistique notre padre et ami le père Pascal Nègre, que jamais Seigneur nous ne soyons séparés de toi.
Sursum corda? Oui mais avec toi Pio, c’est avec un magna corda.
Tes parents.
PS: ta mère me charge de te dire que le latin est un drôle de détour pour dire je t’aime