Disons-le tout net : dans l’Église, on parle beaucoup d’amour mais on n’est pas toujours à l’aise pour parler du corps ! Et pourtant le christianisme est la religion la plus « charnelle » qui soit ! Dieu nous a créés avec un corps, il a pris chair lui-même d’une femme, il nous a donné le sacrement de son corps… et il nous a promis de ressusciter nos corps ! Aimer avec notre corps, c’est donc la grande affaire de notre vie… Aux jeunes réunis au Parc des princes en 1980, Jean-Paul II avait eu ces mots lumineux : « Adoration du corps jamais, mépris du corps pas davantage, maîtrise du corps oui, transfiguration du corps plus encore. » Voici un petit parcours en 6 affirmations à destination des jeunes pour vivre heureux et « glorifier Dieu dans son corps » (1 Co 6,20) !
1. Ce que tu fais avec ton corps dit beaucoup de toi-même !
Le corps n’est pas « un objet » de travail ou de plaisir dont on dispose à son gré mais il est manifestation de la personne.
L’esprit et l’âme ne sont jamais loin quand le corps s’exprime ! Car le corps est la personne elle-même et il engage donc le jeune tout entier dans ce qu’il en fait. « Dis-moi ce que tu fais de ton corps, dis-moi quels films tu regardes, quels gestes tu poses… je devinerai quelque chose de ton âme ». Un des grands défis est de grandir dans le respect de son propre corps, d’apprivoiser ses désirs. Cela passe autant par l’action de grâce pour ce corps « capable » d’aimer que par la lutte contre les tentations de tous ordres. L’enjeu est de mettre son corps au service de l’amour en faisant respirer ensemble l’âme et le corps.
2. Ton corps est fait pour la relation, pas pour la consommation.
La base de l’éthique sexuelle chrétienne est d’apprendre à donner et à recevoir des dons. Le corps est le lieu de cet échange et de ce don. Or la tentation est forte de vivre sous le mode de la consommation ce qui devrait l’être sous ceIui de la relation. Par exemple, quand on vit dans la séduction facile et non pas dans la vérité. C’est au nom de la dignité de la relation et du corps qu’on est appelé à résister à sa dégradation comme produit de « consommation ». D’où l’importance de sa tenue, de ce que l’on donne à voir ou de ce que l’on offre de son corps à l’autre. Et chacun est parfaitement conscient de ce qu’il peut susciter chez l’autre.
L’exhibitionnisme d’un côté, le voyeurisme de l’autre, sont le contraire de la relation humaine. Pourquoi ? Parce que s’offrir à tout le monde (même seulement visuellement ou virtuellement), c’est ne se donner à personne. L’extériorité du corps dévoilé le laisse sans mystère : il ne révèle plus rien.
3. Le geste que tu poses modifie la relation !
Quand le cœur commence à éprouver des sentiments, le corps a son mot à dire ! Le geste a toute sa place dans la relation, mais il doit être prudemment posé dans une relation débutante.
Croire que le geste n’a pas de conséquence est une naïveté. Or on ne cesse de nous mentir à ce sujet. Réaliser le désir, c’est passer à l’acte… et on n’est plus le même avant ou après !
Car poser un geste amoureux, c’est changer quelque chose dans le déroulement de la relation.
Et si on a l’impression que le geste amoureux est vécu « sans problème » ou sans répercussion, c’est alors qu’il est tellement banalisé qu’il est vidé de sa signification : quel dommage !
Sur le tapis roulant de l’amour, il est fréquent de brûler les étapes. Savoir prendre le temps, c’est se respecter et c’est entrer dans l’émerveillement d’une découverte progressive.
4. Le geste t’engage et engage ta liberté !
Se prendre par la main ou s’embrasser ne signifient pas la même chose. Il est urgent de réfléchir en soi-même à la portée des gestes que l’on désire poser. Car « tout m’est permis, dit Paul, mais tout ne m’est pas profitable et je ne me laisserai asservir par rien » (1 Co 6,12).
En bref, le geste amoureux doit s’inscrire dans un projet où s’articulent le sens (mon geste exprime-t-il un amour authentique et respectueux ?), la vérité (ce geste correspond-il à mon amour et à ma capacité d’engagement ?) et la maîtrise (suis-je capable de prendre du recul pour vérifier la correspondance entre gestes et sentiments ?).
Prenons le cas du baiser sur la bouche, geste aujourd’hui banalisé à l’extrême. Comment ne pas s’arrêter sur sa signification très profonde : l’échange des souffles, la communion des êtres. Le Père Varillon, sj, soulignait : « Dans le baiser, les deux amoureux se disent : je me décentre de moi-même et je te reçois comme mon centre. Je reçois mon souffle de toi, et tu reçois de moi le souffle vital, ce qui te fait vivre ». Aimer, c’est vivre pour l’autre (le don), et par l’autre (l’accueil) : le baiser en est un signe merveilleux. Mieux vaut garder ce geste pour quand on y est prêt !
Que dire alors de la relation sexuelle qui constitue le sommet de la relation amoureuse ? La blessure — ou la déception, l’insignifiance, — se font toujours ressentir (parfois bien après) quand l’acte est posé en dehors d’un projet. Quand tu donnes, donne vraiment quelque chose et quelqu’un et non pas seulement des bribes ou une ébauche, car l’amour doit avoir la consistance de l’être !
5. La chasteté permet à ton corps de s’inscrire dans un projet !
La difficulté que l’on rencontre aujourd’hui est de respecter les étapes, de maîtriser les pulsions, bref de vivre humainement sa sexualité alors que tous les cadres protecteurs ont explosé.
C’est dans ce lieu de fragilité que renaît silencieusement l’aspiration à la chasteté. La chasteté signifie la maîtrise de soi ordonnée au don de soi, c’est-à-dire une certaine justesse dans le rapport aux corps et aux gestes qui va permettre une justesse de la relation. Être chaste, ce n’est pas supprimer le désir mais c’est l’éduquer. Saint Thomas disait que la chasteté consiste à « vivre selon l’ordre de la raison », on pourrait dire vivre dans la réalité.
La réalité, c’est reconnaître honnêtement où on en est dans la relation, c’est accepter ses propres limites et celles de l’autre. C’est devenir adulte en intégrant la portée de ses actes, c’est accepter le renoncement, c’est apprendre la bonne distance et le bon moment : pas trop vite, pas trop tôt, pas trop près. Jamais valeur, apparemment désertée, n’est si secrètement désirée par les jeunes !
6. Ton corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour ton corps !
Oui le Seigneur aime notre corps et veut nous réconcilier avec lui ! La relation au corps et plus généralement les soubresauts de la vie affective sont le lieu privilégié de la rencontre avec Celui « qui a pris notre chair ».
Dans le chemin de l’humanisation de la sexualité, chacun fait l’expérience de sa faiblesse : à certains moments, la volonté de bien faire est dépassée, la force des pulsions l’emporte ; bref il s’agit d’accepter humblement d’être sur un chemin, là-même où nous faisons l’expérience de la miséricorde.
Notre frère le corps, transfiguré par l’Amour, se souvient qu’il est aussi membre du Corps, tout à la fois souffrant et glorieux du Christ. C’est Lui qui donne de comprendre, dans la fougue des désirs et l’attente des engagements, ce que signifient les Paroles qu’il prononça lors de son dernier repas : « Ceci est mon corps… livré pour vous ! »
P. Vincent BREYNAERT Aumônier des étudiants à Reims et curé de la paroisse St André
FOI, n°32, Mars-Avril-Mai 2012
Témoignage de Tiffen 23 ans
J’ai découvert l’importance du corps dans la, relation en dansant avec un garçon qui était attiré par moi.
Je sentais que son attitude, très corps à corps et sensuelle, était un peu trop osée à mon goût et à la fois comme j’étais peu habituée aux danses en couple je ne savais pas trop ce que je devais en penser ; et puis c’était une expérience agréable et nouvelle pour moi, même si j’étais un peu mal à l’aise. Je découvrais ce qu’on éprouve quand on est désiré par l’autre. Mais je croyais que s’il osait ce comportement avec moi, c’est qu’il vivait quelque chose de profond, et qu’il pouvait envisager une relation durable.
Or j’ai compris plus tard, les quelques fois où on s’est revu, que ça n’était pas du tout le cas, qu’il avait juste répondu à un sentiment passager. Il y a eu une incompréhension entre nous : j’ai interprété les gestes qu’il a posés d’une manière qui ne correspondait pas à ce qu’il voulait dire. Parce que c’étaient des gestes forts, mais que lui ne devait pas trop réfléchir au sens de ces gestes. Il y avait un décalage entre ce que les gestes exprimaient et ce qui habitait ce garçon. Par la suite j’avais choisi de tenter l’expérience, d’accepter son invitation à me revoir, et je me suis un peu poussée à poser des gestes envers lui ou à accepter des gestes de sa part. J’ai cru un moment qu’on pouvait construire une relation à l’envers : poser des gestes et apprendre à connaître l’autre au fur et à mesure.
Mais ce qui est beau et fort, c’est qu’on t’aime, pas qu’on t’embrasse. Si on t’embrasse sans t’aimer, ça n’est ni beau ni fort, tout au plus c’est plaisant et agréable. Or comment peut-on aimer profondément quelqu’un, au point de vouloir s’engager dans une relation avec lui ou elle, alors qu’on ne se connaît pas ou très peu ? Je sentais bien que les gestes que je posais ne venaient pas de mon cœur, et ça me laissait mal à l’aise.
Le corps est vraiment un langage par lequel on peut faire passer beaucoup de choses, et aussi beaucoup d’incompréhensions si on ne prend pas soin de ce qu’on exprime à travers lui…
Témoignage de Timothée 22 ans
Avant ma rencontre avec Jésus Vivant, ma relation avec mon propre corps et celui de l’autre au sein de mes relations affectives se résumait à me « faire plaisir ». Mon corps et mon esprit étaient dissociés. Le corps de l’autre ne servait que mon propre plaisir sans que j’en aie conscience. Cela se traduisait par des regards d’envie sur le corps des femmes, des relations sexuelles sans amour et sans véritable sens autre que mon désir personnel. Je ne réfléchissais pas à la construction d’une vie de couple, qui était dénuée de sens, sans objectif, mais à la découverte de sensations nouvelles avec ma partenaire.
Après ma conversion, Dieu m’a petit à petit fait comprendre l’importance et la beauté de mon corps et de celui de l’autre. Le Seigneur a travaillé et continue de travailler mon cœur pour réajuster ma relation à notre enveloppe corporelle. Le Seigneur a réajusté mon regard et m’a révélé que je ne faisais qu’un avec mon corps, qu’il faisait partie de ma personnalité, de mon histoire, de mon être tout entier. Il est le Temple du don parfait qu’est l’Esprit Saint (1 Co 6, 19-20). Et j’ai compris que je n’avais pas le droit de salir le corps de mon prochain, même avec son consentement. Par égoïsme, je pouvais freiner la disponibilité d’une personne à recevoir l’esprit de Dieu dans tout son être.
Avec sa pédagogie de douceur, Jésus m’a fait comprendre que c’était de l’autodestruction que de céder à la moindre pulsion. Je suis dans une démarche de réconciliation avec mon corps pour le respecter ainsi que celui de mon prochain.
Petit à petit, je marche vers une unité entre mon esprit, mon âme et mon corps, qui est don de Dieu. J’ai le devoir d’en prendre soin comme Il en prend soin depuis le début.
Ce texte est disponible au format A5 sur la page « Fiches » au n° 507