Audition de Mgr Éric de Moulins Beaufort au Sénat, Lettre apostolique du pape François, interview de Pierre Vignon

Mgr Éric de Moulins Beaufort

futur président de la Conférence Épiscopale Française, a été auditionné par la Mission Commune d’Information « Répression infractions sexuelles sur mineurs » du Sénat le 7 mai 2019.

La Lettre Apostolique du pape François, « Vous êtes la lumière du monde »

Texte sur le site du vatican.va

une analyse du P. Patrick Valdrini, canoniste (audio) sur le site vaticannews.va

Interview du P. Pierre Vignon dans La Reppublica

Texte sur le site de La Reppublica, dont voici la traduction :

Le prêtre français qui a été licencié pour avoir lancé une pétition demandant la démission du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, accusé d’avoir couvert un prêtre pédophile, parle. 

C’est un texte technique qui aidera à résoudre les problèmes d’abus et de couverture. Le Motu Proprio « Comme une mère aimante » n’était pas assez concret à mon avis. D’autant plus que la demande de création d’un tribunal pour juger les évêques n’a pas été exécutée. Désormais, tous ceux qui veulent dénoncer un prêtre, un évêque ou un supérieur religieux, peuvent le faire avec des règles précises. Les droits de l’État sont respectés (article 19) et les crimes et délits d’abus sont définis (article 1, paragraphe 1 a) ainsi que les notions d’enfant, de personne vulnérable et de pédopornographie. Il convient de noter que la notion de personne vulnérable prend en compte les phénomènes d’influence dans l’abus de pouvoir. Lors de son audition au Sénat de la République française, le futur Président de la Conférence épiscopale, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, a déclaré qu’il veillerait à ce que les prêtres ne soient pas jugés par les seuls autres prêtres, comme le prévoient les articles 10-14 du Motu Proprio Delicta Graviora. L’article 15 autorise déjà la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à déroger à cette exigence, mais on espère que la demande de Moulins-Beaufort sera prise en compte. Le dernier Motu Proprio est bien fait, il pourrait être amélioré en tenant compte des critiques des victimes et de leurs associations, et je vais aider à entamer un travail concret de nettoyage. Nous ne pouvons que remercier les victimes qui ont crié à haute voix et François parce qu’il les a écoutées. Ce serait plutôt une nouvelle catastrophe pour l’Église si les cardinaux et les évêques utilisaient ce texte pour continuer à occuper leurs postes en se protégeant d’éventuelles accusations ». Ainsi le Père Pierre Vignon, juge ecclésiastique des provinces de Lyon et de Clermond-Ferrand, qui après vingt-cinq ans de service était accompagné à la porte pour avoir lancé une pétition demandant la démission du Cardinal Barbarin, Archevêque de Lyon et « Primat de Gaule », accusé de dissimuler un curé pédophile. La pétition a recueilli plus de cent mille signatures, mais Vignon a de toute façon été démis de ses fonctions.

Père, le Cardinal Barbarin a démissionné. Si vous le rencontriez aujourd’hui, que lui diriez-vous ?

Je serais amical et courtois, mais j’attendrais de voir comment il réagit avant de parler. Barbarin a une attitude sélective avec ses interlocuteurs. Souvent, il ne fait pas attention à ce que vous lui dites et vous avez l’impression qu’il essaie d’atteindre ses objectifs plutôt que d’écouter. Je doute toutefois qu’il soit dans le bon état d’esprit pour parler. En fait, il a dit publiquement au cours du processus qu’il ne reconnaît pas ce dont il a été reconnu coupable.

Vous avez été viré pour accusation de couverture de la part de Barbarin. Que vous rappelez-vous de ces moments ?

 J’ai été frappé par l’incohérence de la réaction des évêques. Il était immédiatement clair qu’il s’agissait d’une intervention personnelle et solitaire du cardinal. Les évêques de France, en particulier ceux de la région Auvergne-Rhône-Alpes, devaient suivre le cardinal pour ne pas être désunis. C’est pourquoi j’ai fait appel à la signature apostolique qui, je l’espère, défendra davantage la justice et la vérité. Non seulement mon renvoi n’est pas conforme à la loi, mais il n’est pas juste. Je n’ai pas été viré pour avoir mal fait mon travail, mais pour avoir dit la vérité sur Barbarin. Se plaindre de son patron n’est pas un motif de licenciement, sauf lorsque l’arbitraire l’emporte. J’ai averti les évêques qu’il aurait été plus sage de ne pas me punir parce que cela les aurait ridiculisés devant l’opinion publique, ce qui n’a pas manqué avec une pétition pour le soutien de près de 75 000 personnes. Pour justifier son attitude controversée devant les évêques de l’assemblée de Lourdes du 3 novembre, le cardinal a parlé d’une erreur de timing. Quand la presse l’a révélé, j’ai répondu que c’était pour moi une erreur de casting !

Avez-vous déjà parlé au Pape de votre cas ?

 Je ne vois aucune raison de parler de ma situation au Pape. C’est un grand défaut de la hiérarchie catholique, comme ce fut le cas dans l’ex-Union soviétique, que de se défausser de la responsabilité qui est la vôtre afin de ne pas faire payer les conséquences par les coupables. Barbarin est allé se réfugier auprès du Pape, plutôt que d’accepter ce qui lui a été reproché par l’opinion publique. Pour minimiser l’opinion publique, on parle de lynchage et d’attaque contre l’Église, ce qui n’est pas juste. Quand on est responsable, il faut savoir soutenir la réalité. Il est très surprenant que l’attitude directe et claire d’un simple prêtre déstabilise toute l’organisation du gouvernement dans l’Église. A tel point que, pour rétablir l’équilibre, il vaut mieux faire taire l’orateur. Malheureusement, ce qui m’arrive est le signe d’une crise profonde dans la gouvernance de notre Église.

Plusieurs évêques à travers le monde ont caché et cachent encore des cas de pédophilie. Pourquoi ?

Cela dépend des prêtres qui sont choisis comme évêques. Depuis des décennies, nous privilégions ceux qui ont donné l’assurance d’une docilité absolue. Il y a donc des évêques de plus en plus autoritaires, comme ce fut le cas dans l’Église de France avec le cardinal Lustiger qui demandait aux prêtres l’obéissance non plus religieuse, mais militaire. Or, dans la doctrine de l’Église, le prêtre est un collaborateur de l’évêque et non un subordonné. Ce qu’ils me reprochent implicitement, c’est que je me suis comporté comme un collaborateur loyal et non comme un subordonné.  

Il y a un an et demi, le Vatican a enterré le Cardinal « ensableur » Law à Santa Maria Maggiore, au cœur de la Rome chrétienne. Cela vous semble-t-il correct ?

J’étais très proche d’un prêtre américain très intelligent qui est malheureusement mort d’un cancer. Il m’a expliqué la personnalité du Cardinal Law. Malheureusement, ce qui lui est arrivé est la manifestation de ce qui doit être réformé dans l’Église et de ce que ses dirigeants ne veulent pas du tout. La Curie et la haute hiérarchie de l’Église catholique sont un environnement de gens qui se croient princes sans être princes. En tout cas, à quelques rares exceptions près de cardinaux humbles, ils n’en ont pas la valeur. En leur donnant du Monseigneur et de l’ Excellence, ils finissent par y croire. Le Cardinal Law était protégé par le système de la manière la plus éhontée qui soit. Il est surprenant que François ait présidé ses funérailles. Il ne pouvait peut-être pas faire autrement, mais c’était une erreur. Il a fait savoir aux victimes qu’elles étaient moins importantes pour l’Église qu’un cardinal. La révocation du cardinal McCarrick était plutôt un meilleur message.  

Certains soutiennent que la plupart des cas de pédophilie ne sont attribuables qu’aux relations homosexuelles entre un adulte et un jeune. Pensez-vous que cette lecture est correcte ?

C’est clairement une manipulation. D’une part, il y a un pourcentage élevé d’homosexuels dans la hiérarchie catholique qui vient d’être montré par le livre de Frederick Martel, Sodome, et d’autre part, il y a un pourcentage tout aussi élevé de pédophiles. La pédocriminalité attaque les enfants jusqu’à la puberté. Un homosexuel masculin brûle de désir pour les jeunes ou les hommes. Je pense qu’il est grave de mélanger ces deux inclinations. Ainsi, les néo-conservateurs traditionalistes confirment implicitement les déclarations de Martel. Et ils préfèrent reconnaître l’homosexualité de la hiérarchie catholique plutôt que d’accepter que certains de ses membres soient clairement pédophiles.  

D’autres disent que la pédophilie est partout et qu’il y a un acharnement contre l’Église. Qu’en pensez-vous ?

C’est une façon de nier la réalité. Dans le livre de la Genèse, quand Dieu pose une question, nous répondons : ce n’est pas moi, c’est elle (Eve). Nous continuons à nier le cancer qui dévore l’Église. Il est évident que la pédophilie est universelle, mais cela ne justifie pas de ne pas tenir compte de la réalité. François explique de façon lumineuse que la racine de ces abus est dans le cléricalisme, c’est-à-dire dans le viol de conscience, l’abus de pouvoir et, enfin, les abus sexuels. La pédocriminalité est rendue encore plus odieuse qu’ailleurs quand elle est pratiquée par un prêtre, surtout parce que certains de ces pervers expliquent à leurs victimes qu’ils le font au nom de Dieu. Nous ne devons pas rejeter ce qui se présente à nous comme l’heure du jugement de Dieu. Avec la vox populi c’est la vox Dei qui nous parle. François a bien fait de remercier les médias pour le sérieux de leur travail. C’est dommage d’accuser les journalistes qui font leur travail avec la déontologie. Je préfère l’attitude de saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens quand il dit qu’il y a parmi eux une mauvaise conduite telle qu’on ne la trouve même pas chez les païens. Pour moi, le sens spirituel de cette crise est que la hiérarchie catholique doit retrouver l’humilité qu’elle a perdue. Tant que nos dirigeants continueront de faire des phrases et d’expliquer qu’ils n’ont rien à voir avec cela, les scandales continueront de pleuvoir. Chercher l’humilité d’une manière sincère, accepter la réalité que les victimes survivantes présentent, est à mes yeux la meilleure façon de sortir de cette crise. C’est ce que dit saint Antoine dans ses lettres : j’ai vu le diable étendre ses filets à travers le monde. C’est seulement l’humilité qui vous permet d’échapper aux filets que le diable étend dans le monde.