Le père Bernard Bro est mort à Solesmes (Sarthe) le 23 octobre, à l’âge de 93 ans. Considéré comme l’un des grands spécialistes mondiaux de la vie et des écrits de Thérèse de Lisieux, ce dominicain a contribué par son œuvre à éveiller et à former des générations de croyants.
Depuis plus de cinquante ans, il prêchait l’Évangile sans relâche. Auteur d’environ 35 ouvrages, il a enseigné la théologie, dirigé les Éditions du Cerf, participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision…
Ordonné prêtre à 26 ans
C’est à l’âge de 26 ans, le 15 juillet 1951, que Bernard Bro a été ordonné prêtre au Saulchoir d’Étiolles (Essonne). Il a par la suite été professeur de théologie aux facultés pontificales du Saulchoir, et chargé des Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris.
De 1964 à 1971, il a dirigé les Éditions du Cerf, maison d’édition spécialisée dans les textes religieux, fondée et gérée par l’ordre dominicain.
Le père Bro a également été responsable de la messe de la radio à France Culture, prédicateur à l’émission de télévision « Le Jour du Seigneur », et auteur de plus de 400 émissions « Paraboles » sur la chaîne KTO.
Auteur prolifique
Cet auteur prolifique a étudié de près les écrits de sainte Thérèse de Lisieux et fondé de séminaires thérésiens.
En 1983, il a reçu le Grand prix catholique de littérature pour l’ensemble de son œuvre et, en 1991, le prix Charles-Blanc pour son livre La Beauté sauvera le monde. Il a par ailleurs reçu la médaille d’argent de l’Académie française.
Bernard Bro, fils de saint Dominique en notre temps
par Gérard Leclerc
vendredi 26 octobre 2018
Mort à Solesmes, à l’âge de 93 ans, le père Bernard Bro, baptisé sous le prénom de Gérard, représente d’abord pour nous une vie entière au service de l’Église. Et de quelle admirable façon ! Nous ne saurions oublier d’abord ce qu’il a apporté à notre hebdomadaire France Catholique, dont il fut le collaborateur assidu, à l’instigation de Robert Masson, qui avait su réunir autour de lui une prestigieuse équipe avec laquelle notre dominicain s’entendait fort bien (Jean-Marie Domenach, René Pucheu, Olivier Clément, sans oublier le grand poète Pierre Emmanuel). Il était déjà connu d’un vaste public, à cause de sa prédication mémorable à Notre-Dame de Paris, pour les Conférences de Carême qu’il prononça de 1975 à 1978, à la demande du cardinal François Marty. Le moment est important, puisque l’on vit alors la crise consécutive à un véritable changement de civilisation.
Il a eu par la suite l’occasion de largement s’expliquer sur la thématique qu’il avait choisie alors : « Quelle question ai-je en commun avec tous les hommes sur terre, croyants ou non ? » « Ce que j’ai en commun avec tous ? C’est la question du mal ou plutôt c’est l’interrogation du bonheur. Malgré la litanie des horreurs, un bonheur est-il encore possible ? Pourquoi la souffrance, la mort et le pouvoir (pas seulement le problème) mais le pouvoir concret du mal ? Depuis Auschwitz, la question de Dieu est-elle encore permise ? Avant toute parole, il y a une autre question, primordiale : est-il encore permis d’espérer ? Cela me donnait les deux premières années des conférences. Puis les deux années suivantes : “Qu’ai-je à dire en face de cette interrogation ?” “Rien d’autre que Jésus Christ”. Dieu est venu. Il s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. Sinon tout est une farce. Une condition, une seule : accepter d’être désarmé, accepter l’ouverture d’une blessure, ce par quoi l’homme peut imiter Dieu et s’unir à Lui : la blessure des Béatitudes, celle des doux, celle des miséricordieux qui introduit aux mœurs de Dieu et aux sacrements de l’homme. Je savais que je n’avais et n’aurait rien d‘autre à dire sur terre que la miséricorde, fut-ce en commentant Rembrandt, Mozart ou Manessier. »
Cette explication suffit à nous faire comprendre toute la personnalité de ce fils de saint Dominique, qui avait été à l’école de saint Thomas d’Aquin et qui était doué, de plus, d’une sensibilité artistique prodigieuse, nourrie par une culture sans cesse approfondie. L’auditoire de Notre-Dame était à l’image de la diversité du peuple que le prédicateur pouvait toucher. La nef était remplie d’une assemblée attentive, mais il y avait aussi présentes dans les stalles du chœur les personnalités que l’archiprêtre de l’époque, Mgr Berrar, avait invitées à prendre place : Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde, Julien Green, Pierre Emmanuel, Georges Clouzot, les philosophes Jean Lacroix et Étienne Borne, l’historien André Latreille. Chose étonnante : les plus humbles amis du père, ceux du village de montagne qu’il rejoignait chaque été, se trouvaient sur la même longueur d’ondes que les plus avertis des intellectuels.
Ces conférences furent un des moments majeurs de la vie du père Bro. Le cadre de Notre-Dame est terriblement impressionnant. Un jour que j’en parlais avec lui, je fus étonné qu’il n’avait pas eu connaissance de l’impression rapportée par le cardinal Pacelli, le futur Pie XII, pour qui prendre la parole à Notre-Dame avait été une des plus grandes émotions de sa vie. Il fut en tout cas complètement débordé par le succès de ses conférences, dont l’écho fut international. Du coup, sa renommée fut telle qu’on lui demanda de venir prêcher jusque dans les régions les plus éloignées. Il faut préciser aussi que le prédicateur avait déjà derrière lui une expérience sérieuse de la parole publique, à travers les messes de France Culture et de la télévision. Ainsi son ministère revêtait une dimension moderne, avec des auditoires qui dépassaient le cadre habituel des assemblées paroissiales. Certes, il n’y avait pas le contact direct du curé avec ses ouailles, mais il y avait le courrier très abondant et souvent touchant auquel il fallait répondre.
Il convient d’aborder aussi un autre aspect des responsabilités du Père, celui d’éditeur. Il fut, en effet, longtemps directeur des éditions du Cerf, qui appartiennent à l’ordre des frères prêcheurs et qui jouent un grand rôle dans la vie intellectuelle du catholicisme français. On connaît la célèbre collection « Sources chrétiennes », consacrée aux Pères de l’Église. Mais il y en a bien d’autres. Parmi les créations réalisées sous sa direction, il faut noter la TOB, c’est-à-dire la traduction œcuménique de la Bible, qui réclamait une belle mobilisation d’énergie. Mais il faut aussi insister sur le renouveau des études thérésiennes, qui fut décisif dans la redécouverte de la pensée de Thérèse de Lisieux, à un moment où certains croyaient que c’en était fini de son rayonnement. Le père Bro n’a-t-il pas raconté qu’un père carme (c’est un comble !) faisait des enquêtes dans les carmels pour rendre compte de son inactualité… Afin de répondre à certaines objections critiques à l’égard de la publication d’Histoire d’une âme, il était nécessaire d’entreprendre une édition « scientifique » des manuscrits de Thérèse, ce qui fut accompli trente ans durant sous la direction du père Guy Gaucher, futur évêque auxiliaire de Lisieux, de Jacques Lonchampt puis du père Conrad De Meester. Au-delà du travail d’édition, ce qui était en cause c’était le génie de Thérèse que le père Bro a toujours associé à celui de Pascal. Au terme, cela devait aboutir à la proclamation de la carmélite comme docteur de l’Église, sous les acclamations des JMJ de Paris en 1997.
Le curé d’Ars était cher aussi au directeur des éditions du Cerf. Il aimait rappeler que le père Lacordaire, refondateur des dominicains en France et son prédécesseur dans la chaire de Notre-Dame, était allé écouter le saint curé et avait été émerveillé de la doctrine qu’il dispensait dans ses prédications. On était loin de l’image convenue du pauvre paysan en peine avec ses études au séminaire. Mais une autre carmélite avait requis l’attention de l’éditeur : Élisabeth de la Trinité, pour laquelle Conrad de Meester se passionnait également. À l’occasion de son centenaire, Mgr Decourtray, alors évêque de Dijon, avait fait appel aux deux religieux, leur avouant franchement : « Je ne connais rien à sœur Élisabeth. » Il devait largement se rattraper par la suite. J’ai connu le cardinal archevêque de Lyon dans les années 80, vivant continuellement dans la proximité avec Élisabeth, récitant sa fameuse prière trinitaire régulièrement dans la journée, et lui demandant son conseil dans les grandes décisions qu’il avait à prendre…
Ces quelques indications montrent le rôle capital du père Bro dans le retour à la doctrine et à la mystique, qui furent pleinement consacrées durant le long pontificat de saint Jean-Paul II. Au moment de la retraite du cardinal Marty, son nom fut avancé comme successeur probable à l’archevêché de Paris. On sait que c’est Jean-Marie Lustiger qui devait être choisi, à la grande satisfaction de l’intéressé, qui eut toujours avec lui les plus amicales relations, dans un accord total sur les orientations pastorales nécessaires. Avec le cardinal, il manifesta le désir d’une catéchèse mieux nourrie à la doctrine et à ses fondements scripturaires.
La fin de vie de Bernard Bro fut marquée par une fécondité nouvelle, en fait de prédications, notamment pour Radio Notre-Dame et KTO, où il déployait ses paraboles sur le mode évangélique mais aussi avec une grande force d’imagination souvent inspirée par ses réminiscences culturelles et ses expériences de prêtre toujours proche des âmes et amical à l’égard de leurs soucis et de leurs peines. Il nous aura laissé aussi quelques livres majeurs, qui s’offrent, au lendemain de son retour vers le Père, à notre réflexion, dans la perspective du Salut, son seul horizon.
https://www.france-catholique.fr/Bernard-Bro-fils-de-saint-Dominique-en-notre-temps.html
Le père Bro, une figure de l’intelligence catholique
par le Père Philippe Verdin op
lundi 29 octobre 2018
Le dominicain Bernard Bro est décédé cette semaine. Il avait 93 ans. Il fut le célèbre prédicateur d’une parole chrétienne franche et gorgée d’espérance.
Que l’on se figure un dominicain de grande allure, de haute taille, à la voix franche, tour à tour séduisante ou tonnante, un homme sensible et de profonde culture. Un dominicain, donc par vocation passionné par la vérité et la Parole de Dieu. Il fut pendant quarante ans le prédicateur de France le plus écouté à la télévision, à la radio, dans la nef de Notre-Dame de Paris, à travers ses nombreux livres aux tirages de best-sellers. Il fut aussi un ami fidèle et un soutien indéfectible pour France catholique. Impossible d’oublier ces conseils de rédaction où il prenait la parole à la fin de nos débats pour tirer de ces propos en vrac l’intelligence des enjeux à la lumière de la foi. Il avait un don prophétique : avant tout le monde il avait proclamé le génie théologique de Thérèse de Lisieux et vu en elle un Docteur de l’Eglise. Il se fâchait à propos d’une publication sur l’Eglise où jamais le mot « miséricorde » n’apparaissait, vingt ans avant que le pape François proclame une année de la Miséricorde dont on n’a pas encore mesuré les fruits spirituels. Aime et tu sauras tout (1998) demeure le meilleur traité sur la miséricorde chrétienne.
Né à Chablis dans une famille nombreuse, il vit son enfance à Paris. Le marquent profondément ses années de scoutisme. Les activités scoutes ne sont pas pour lui une garderie de plein air mais un exceptionnel lieu de formation. Soixante-dix ans plus tard, il écrira : « Nous sommes 248 en famille, simplement des descendants de mon père, et ce laboratoire est pour moi précieux. Il y a des neveux et des nièces qui ont été scouts, d’autres qui ne l’ont pas été. Ceux qui ont été scouts ont gagné parfois quinze ans de maturité, de rapidité en évolution vers l’âge adulte. » Il commence des études de philo à la Catho, puis vit la semaine pascale de 1944 au grand couvent de formation des dominicains, le fameux Saulchoir à Etiolles. « Là j’ai vu des hommes heureux, menant une vie d’études intenses dans des conditions d’existences démunies, une vie monastique austère et joyeuse malgré la guerre. » Il entre au noviciat l’été suivant, à l’âge de 19 ans. Six ans de formation théologique, dont un séjour en Allemagne où il fréquente Curtius et Hans Urs von Balthasar, puis ses supérieurs lui demandent d’enseigner à ses cadets la question de Dieu de la Somme de saint Thomas d’Aquin. Il publiera une reprise de sa thèse sur « la notion métaphysique du tout et son application au problème de l’union hypostatique »… En 1958, à l’invitation du père Carré, il commence sa collaboration aux Editions du Cerf qui allait durer jusqu’en 1993. Il devient directeur de la maison d’édition dominicaine en 1962. Ces deux plus grands chantiers comme éditeur, et ceux dont il est le plus fier, seront la publication de la Traduction Œcuménique de la Bible et des Œuvres complètes de Thérèse de Lisieux. « Grâce à ce travail, on peut être heureux de lire vraiment Thérèse qui est avec Pascal l’un des deux génies les plus profonds de l’histoire religieuse française. »
A partir de 1975, le père Bro devient pour onze ans le responsable des émissions religieuses de France culture, à la suite de son ami le père Carré. Sa réputation de prédicateur, dans des années où l’on ne sait plus très bien quoi croire et qui adorer, lui vaut d’être appelé à la chaire de Notre-Dame de Paris pour les carêmes de 1975 à 1978. Sa prédication fait date. Il témoigne de la confiance et de l’espérance. Il redonne courage aux chrétiens français désemparés : « la fête du Dieu de gloire est déjà commencée pour toujours. » Le secret de l’incroyable écho de ses prédications à Notre-Dame, retransmise à la radio, c’est le ton du père Bro, qui parle, comme s’il s’adressait à chacun de ses auditeurs, du mystère du Christ vivant. Le journal le Monde écrit : « Mieux que personne, le père Bro a compris que l’homme moderne n’a que faire de la charpente doctrinale, d’exhortations morales, de propos menaçants ou lénifiants, mais qu’il a soif de la chaleur d’une conviction, de l’authenticité d’un témoignage, d’une discrétion, d’une amitié à toute épreuve. » Le succès de sa prédication lui vaut d’être cité parmi les successeurs potentiels du cardinal Marty à la tête du diocèse de Paris….
Durant cette période si féconde, le père Bro publie un livre par an. Il s’agit de nourrir le Peuple de Dieu par l’intelligence de la foi et le lien avec la vraie vie. On retient notamment le radicalisme de son Jésus-Christ ou rien : « L’Eglise, ce sont des sages, encore trop sages peut-être, mais qui suivent des fous ; ce sont des institutionnels, peut-être, mais au service des saints. Oui des sages, mais qui découvrent que les fous du Christ possèdent la seule joie véritable, celle de la vérité ! » Devenir Dieu : « Le courage et la véritable avant-garde, c’est de tenir bon et d’attester paisiblement et heureusement la lumière inépuisable du Credo. » La Stupeur d’être : « Que possédons-nous ? Rien, sinon notre fragilité. Tout, parce que n nous portons Celui qui nous porte : le Christ. » Ses ouvrages de solide spiritualité, nourris de la foi et de l’expérience, n’ont d’équivalents durant ces années que ceux du père Varillon. Les tirages sont impressionnants : 80 000 exemplaires pour Apprendre à prier, plus de 100 000 pour ses livres inspirés des conférences de carême, ou la Gloire et le mendiant, son premier livre consacré à Thérèse de Lisieux…
Sa nature solide lui permet de mener de front ces innombrables chantiers : la direction d’une maison d’édition qui compte plus de cent salariés, les conférences, prédications de retraite, la messe radiodiffusée, ses mandats de prieur du couvent Saint-Dominique, la rédaction de ses livres, les rencontres improbables avec Clouzot, Nicolas de Staël ou Louis de Funès. Il se ressource chaque jour dans la lecture féconde des poètes et la prière liturgique. Après avoir quitté la direction du Cerf, il accepte les nombreuses invitations à prêcher à travers le monde. Il affirme que ces retraites d’un bout à l’autre du monde auront représenté quatre années pleines de sa vie !
En 1990, il publie un magnifique album la Beauté sauvera le monde, méditation sur la Salut et la rencontre de Dieu illustrée d’innombrables reproductions d’œuvres d’art. « J’ai voulu me demander comment et où l’on pouvait regarder le mystère et le visage du Christ avec douceur et paix, mais sans gommer les cicatrices, les blessures et les stigmates de la vie. » Un livre de référence pour toute approche du mystère de la beauté de Dieu révélé par les artistes. « Un livre initiatique » affirme-t-il. En 1999, il reçoit la Légion d’honneur des mains de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. En 2003, ce seront ses mémoires, La libellule ou… le haricot. Et enfin, en 2007, quatre volumes de ses Paraboles, prêchées sur KTO chaque semaine : « A quoi bon nos pastorales, nos débats, notre langage « herméneutique si cela ne « parle » plus à quelqu’un ? Et si ça ne parle plus, n’est-ce pas parce que nous nous sommes éloignés du langage de l’Evangile : celui des paraboles et celui du cœur. Or le privilège de ce langage est de partir du concret et de nous y ramener, tout en nous ouvrant à l’universel. Il y a une ascèse de la poésie et de la parabole, aussi exigeante que celle de la pensée abstraite. »
En relisant les ouvrages du père Bro, on se sent accompagné sur le chemin où nous attend le Christ resplendissant de beauté et qui nous tend les bras. C’est dans ces bras divins que le père Bernard Bro fait aujourd’hui sa demeure pour l’éternité.
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