Sur KTO, Blaise Pascal, de coeur et d’esprit
À l’occasion des 400 ans de la naissance de Blaise Pascal, KTO diffuse un documentaire inédit qui met en lumière les multiples facettes de ce génie philosophique et scientifique qui a laissé à la France un héritage incroyable. Son réalisateur Yves Bernanos revient sur ce personnage singulier qu’il qualifie d’aventurier de la vie intérieure.
Après avoir réalisé un documentaire sur René Girard, et sur votre grand-père Georges Bernanos, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous attaquer à Pascal?Y a-t-il un point commun à ces trois figures ?
L’une des choses qu· m’a le plus donné envie de faire ce documentaire sur Pascal, c1 est d’abord de constater combien il est présent et vivant pour ses lecteurs. Voir leurs regards s’illuminer et entendre leurs voix gagner en intensité et en émotion lorsqu’ils l’évoquent fut vraiment pour moi un, source de motivation et d’inspiration. C’est pourquoi le début du film leur est consacré. Aujourd’hui comme hier, cet héritage est le signe de son universalité. Étrangement, un esprit au. .. si puissant que le sien semble favoriser une certaine capacité d’incarnation chez celles et ceux qui s’ouvrent à lui. Bernanos se rapproche aussi de Pascal par cette faculté. Leur prodigieuse proximité avec le lecteur n’y est sans doute pas étrangère …
Pascal, Bemanos et Girard ont pourpoint commun d’être tous les trois de grands penseurs qui ont marqué leur temps. Ce sont aussi des chrétiens à la spiritualité très profonde qui pour autant ne « transigent » jamais avec la réalité qui est face à eux : réalité scientifique et de notre condition humaine pour Pascal, réalité du désir et de la rivalité mimétiques pour René Girard, réalité des impostures totalitaires de «l’hypocrisie des puissants » et de l ‘instrumentalisation des peuples pour Bernanos.
Cette réalité, quelle qu’elle soit, ils la voient, tout d’abord. Puis ils s’obstinent à la comprendre eu détails. pour en identifier l’essentiel Enfin, ils la mettent en lumière, avec leur génie respectif et toujours avec honnêteté. Pascal, par exemple, pense à la différence d’un très grand nombre de ses contemporains que Galilée a raison. Pour lui, en dépit de fa condamnation de l’astronome par l’Église, si la terre tourne bien autour du soleil, il est absurde de contredire cet état de fait car c’est le réel, C’est le propre d’une conscience libre, donc non partisane, qui place la vérité au-dessus de tout. Cette caractéristique concerne également Girard et Bernanos, dans leur œuvre, leur personne, leur combat.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce grand penseur? Qu’est-ce qui chez lui a retenu plus particulièrement votre intérêt?
Certaines personnes bienveillantes m’ont fait l’honneur de me confier la responsabilité de réaliser un documentaire sur ce trésor du patrimoine culturel et scientifique. Il m’a fallu entrer en immersion à l’intérieur de cette œuvre et de cette vie. J’ai découvert que nos existences et notre mémoire collective sont nourries par sa parole. À travers des citations, tout d’abord, que chacun garde en soi, même si l’on ignore parfois le nom de leur auteur. Les mots de Pascal sont des repères qui nous aident à avancer. Ils sont aussi porteurs de fulgurance car ils éclairent vivement ce qui se joue au plus profond de nous-mêmes. Bernanos, adolescent, exprime son angoisse de la mort en se référant à ce fragment des Pensées : « Le dernier acte est sanglant quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ». Mais lorsque sa mère lui dit que « La foi est un don de Dieu », elle cite aussi Pascal… Ce sont ces fulgurances qui m’attirent chez lui. On se dit que quelqu’un partage avec nous nos douleurs et nos éblouissements, en les exprimant infiniment mieux que nous-mêmes. En ce sens, c’est un véritable sourcier de nos misères et de nos grandeurs. Et un très bon compagnon de route pour beaucoup. Le film est une invitation à ce compagnonnage.
Comment avez-vous travaillé à la mise en forme de ce documentaire?
La première chose à faire, en ce qui concerne un tel sujet, est de faire appel aux bons intervenants, qui sont les meilleurs relais de l’œuvre et de l’itinéraire de Pascal. Après avoir écouté un grand nombre de témoignages, ils se sont pour ainsi dire imposés d’eux-mêmes, tout autant par leur immense connaissance que par leur passion communicative : une passion vive et toujours « fraîche » vis-à-vis du sujet…
J’ai voulu donner au film la forme d’une « aventure du savoir», à l’image de celle que Blaise Pascal a initiée et accomplie durant toute son existence. Son énergie et son courage face à la maladie ou aux difficultés de son temps ont d’ailleurs quelque chose d’exemplaire. C’est une pensée en état d’évolution constante, mue par une insatiable et lumineuse curiosité. Les grands esprits s’affirment tous par la manière dont ils construisent leur réflexion mais aussi par le mouvement de celle-ci. Il y a quelque chose de fascinant à suivre le cheminement initiatique qui a guidé l’auteur vers sa vérité, qu’elle soit scientifique, mathématique, spirituelle (ou les trois à la fois, ce qui arrive chez Pascal…). Le processus cinématographique du montage permet de recréer et de faire vivre ce mouvement, cet « élan » de la pensée. Mon documentaire sur René Girard et sa « théorie mimétique » m’a ouvert la voie dans ce sens. Ce nouveau film sur Pascal m’incite à poursuivre : pour l’exemple, les séquences des « Deux infinis », celle du « Pari » ou même du « Divertissement », sont des mises en lumière de ce mouvement intérieur.
Quel est selon vous l’enseignement principal à retenir de Pascal ?
C’est un homme qui est allé jusqu’au bout de lui-même et qui nous aide, par la force et la justesse de sa pensée, à cheminer vers un accomplissement, dans la réalité et spirituellement. Il place « l’ordre du cœur » très au-dessus de celui de l’esprit, de la connaissance, à laquelle il a pourtant consacré sa vie. En ce sens, il fait siens les mots, sublimes, de la première lettre de Saint-Paul aux Corinthiens : « J’aurais beau avoir toute la science des mystères, s’il me manque l’amour, je ne suis rien » …
Enfin, en pensant à Pascal, je ne peux m’empêcher de songer à des mots qui résument sa démarche et qui sont ceux de Georges Bernanos : « Qui cherche la vérité de l’homme doit s’emparer de sa douleur».
Que pensez-vous que votre documentaire puisse apporter à ceux qui le verront et que souhaitez-vous qu’ils en retiennent?
Ma réponse relève un peu trop de l’évidence, car je souhaite avant toute chose que ce documentaire, qui est une introduction à sa pensée, les incite à lire ou à relire ce grand aventurier de la vie intérieure qu’est Pascal… car il nous rend meilleurs.
Sur KTO
Mardi 13 juin 20h35, Pascal, par Gérard Ferreyrolles. Conférence. Enregistrée le 26 janvier 2023 à l’église Saint-Étienne-du-Mont à Paris (2023, 52 min.)
Lundi 19 juin 20h35. Blaise Pascal, de cœur et d’esprit Documentaire. Coproduction KTO/Crescendo Media F.ilms. Réalisation Yves Bernanos. (2023, 52 min.)
Sur Radio Notre-Dame : L’Œuvre de Blaise Pascal
Laurence Plazenet, normalienne, directrice du Centre International Blaise Pascal, professeur de littérature française à l’université Clermont-Auvergne. Auteur de Pascal – L’Œuvre (éditions Bouquins)
Mathématicien, moraliste, entrepreneur, physicien, ingénieur, polémiste, que ne fut point Blaise Pascal dont on célèbre en ce mois de juin, le 19, le 400e anniversaire de la naissance. Mais son œuvre n’est pas forcément accessible au premier abord, bien que Laurence Plazenet estime le contraire. Pourquoi est-il opportun de redécouvrir Pascal et en quoi les controverses de son temps, qui semblent très éloignées des nôtres, tout comme l’esprit du XVIIe siècle, nous concernent-ils aujourd’hui ?
Écouter l’émission Le Grand Témoin