Les lèvres et la bouche attendent d’être ouvertes pour exprimer le fond du cœur. Et de la bouche s’échappent le pur et l’impur, l’eau douce et l’eau amère, comme dit Jacques dans sa lettre : « De la même bouche sortent bénédiction et malédiction. Mes frères, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. Une source fait-elle jaillir par le même orifice de l’eau douce et de l’eau amère ? » (Jc 3, 10-11).
La parole a une vraie consistance. Dans les cultures orientales, tout comme chez les peuples primitifs, la parole n’est pas seulement l’expression d’une pensée ou d’une volonté, mais la réalité elle-même qu’elle désigne. Plus qu’un son, elle est une chose, invisible, mais réelle, comme une haleine sortie avec elle de la bouche. Une fois proférée, elle demeure active et efficace (p. ex. : Isaac ne peut reprendre sa bénédiction accordée à Jacob — Gn 27, 35-37).
La parole extériorise ce qui est dans le cœur. Intimement liée au dynamisme intérieur de celui qui la profère, elle extériorise ce qui était d’abord dans le cœur, comme le dit Jésus (Lc 6, 45). Elle est révélatrice de la motion intérieure qui nous habite (qu’on taxera aujourd’hui en xxx-phobe ou en xxx-phile). Autrement dit, elle ne sort pas de nulle part. Rien n’est plus étranger à la Bible que notre façon moderne de « lancer des paroles en l’air », de « parler pour ne rien dire ».
La parole exprime la personne. Elle est donc la pierre de touche des qualités humaines. Comme le dit si bien Ben Sira le Sage : « Les petits côtés d’un homme apparaissent dans ses propos… on juge l’homme en le faisant parler… la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger » (Si 27, 4-7).
À cause du mauvais usage qu’il en faiton reconnaît
– le bavard : « Tel se montre sage en gardant le silence, tel autre se rend odieux par son bavardage… Qui parle trop se rend insupportable, qui se croit tout permis devient odieux » (Si 20, 5-8) ;
– le sot : « Le mensonge est une faute grave, l’imbécile l’a toujours à la bouche » (Si 20, 24) ;
– le méchant : « Les paroles des méchants sont des embûches meurtrières » (Pr 12, 6).
Ils calomnient et blessent : « Rien n’est vrai dans leur bouche, ils sont remplis de malveillance ; leur gosier est un sépulcre béant, et leur langue, un piège » (Ps 5, 10) ; mais ils séduisent les pervers : « Les mots du calomniateur, quel régal ! On s’en délecte jusqu’au plus profond » (Pr 26, 22).
Le sage et le chrétien se gardent de tout écart de langage
– Le sage : « Autant qu’il le faut, il gardera pour lui ses paroles ; l’éloge de sa perspicacité sera sur toutes les lèvres » (Si 1, 24) ; « tu mets sous clé ton argent et ton or ; eh bien, pèse aussi tes mots sur une balance et mets à ta bouche porte et verrou » (Si 28, 24-25).
– Le chrétien : « Sachez-le, mes frères bien-aimés : chacun doit être prompt à écouter, lent à parler » (Jc 1, 19) ; « la langue, personne ne peut la dompter : elle est un fléau, toujours en mouvement, remplie d’un venin mortel » (Jc 3, 8).
Jésus s’élève contre toute dévaluation de la parole. Il recommande un usage sobre et loyal des mots : « Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout… Que votre parole soit « oui », si c’est « oui », « non », si c’est « non ». Ce qui est en plus vient du Mauvais » (Mt 5, 34-37). Et même dans la prière : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé » (Mt 6, 7-8).
Notre prière : « Établis donc Seigneur une garde à ma bouche, et veille sur la porte de mes lèvres ! » (Ps 141, 3). Ou encore cette supplication tirée du Siracide : « Qui placera une garde à ma bouche et, sur mes lèvres, le sceau du discernement, pour que je ne tombe pas, que ma langue ne cause pas ma perte ? » (Si 22, 27). Puisque Jésus a mis en nous un cœur nouveau, habité par l’Esprit Saint : « En toutes circonstances, offrons à Dieu, par Jésus, un sacrifice de louange, c’est-à-dire les paroles de nos lèvres qui proclament son nom » (He 13, 15)