(2° D. CAR B — Mc 1, 12-15) Il y a tout lieu de penser que le récit de la Transfiguration transmis par Marc reflète de très près l’expérience de Pierre (dont il témoigne encore en 2P 1, 16-18). Une expérience de bien-être : « Il est bon que nous soyons ici », nous avons bien de la chance, nous, de nous trouver en cet endroit, alors que les autres apôtres sont demeurés au pied de la montagne. Expérience bienfaisante aussi au regard du drame affreux du calvaire auquel il sera mêlé ensuite.
Délivre-nous de la croix !
Le mystère de la Croix est précisément celui que Pierre avait eu le plus de peine à accepter, témoin sa réaction violente lors de la première annonce de la Passion (8, 32-33) : « il prend Jésus à part et lui adresse une admonestation », ou encore lors du lavement des pieds dans le quatrième évangile (Jn 13, 8) ; témoin encore la méditation assidue de ce mystère que suppose sa première Lettre1.
Même si la Transfiguration est un jalon sur le chemin qui mène à la Résurrection, ce chemin passe par la Passion. Elle ne supprime pas à l’avance le scandale de la Croix. Peut-être aide-t-elle à l’assumer ? Les trois apôtres qui sont les témoins de la Transfiguration sont ceux-là mêmes que l’on retrouvera à Gethsémani (cf. 9, 2 et 14, 33).
C’est vrai que dans saint Marc2 (9, 2-9), la Transfiguration est essentiellement une épiphanie qui éclaire celle du Baptême : ici le Christ révèle sa gloire. Il se manifeste comme le Fils de l’homme venant sur les nuées ; c’est le Fils bien-aimé du Père évoqué au baptême.
La Transfiguration est aussi une « avance » sur l’épiphanie de la Résurrection. Si l’on tient compte de la finale de l’évangile (16, 19-20), la Transfiguration passagère (métémorphôthè, v. 2) apparaît comme le prélude et l’annonce de la transfiguration définitive manifestée au matin de Pâques (cf. 16,12 : éphanerôthè en étéra morphè).
Et pourtant, la croix est incontournable
Un indice important dans le récit de Marc, bien qu’il n’ait l’air de rien. Chez Marc, et chez lui seulement, Élie est nommé en premier lieu. « Élie et Moïse ». C’est Élie qui s’est présenté le premier à l’esprit de l’évangéliste ou du témoin dont il s’est fait l’écho. Pourquoi ce renversement de l’ordre normal ? À ses yeux Élie représente le dernier des prophètes, le Baptiste, qui réalise l’attente du retour d’Élie, et dont le martyre faisait présager le sort douloureux réservé par les hommes à Jésus, Serviteur de Yahvé, et Messie souffrant.
Les propos tenus par Jésus sur Élie aussitôt après la Transfiguration en 9, 12-13, vont dans le même sens. « Certes, Élie vient d’abord pour remettre toute chose à sa place. Mais alors, pourquoi l’Écriture dit-elle, au sujet du Fils de l’homme, qu’il souffrira beaucoup et sera méprisé ? Eh bien ! je vous le déclare : Élie est déjà venu, et ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu, comme l’Écriture le dit à son sujet. » Souvenons-nous aussi, à la fin du récit sur Jésus tenté au désert, Marc donnait déjà cet indice : « Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu » (1, 14).
La tentation de la tente
Revenons à la parole de Pierre : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il exprime son désir de demeurer en cet entre-soi, ce doux confort des yeux en dressant trois tentes équivalentes, pour honorer trois prophètes. La scène qui se déroule à ses yeux est pour lui un événement appelé à durer mais évacuant l’annonce et la perspective de la Passion.
C’est ce qu’on pourrait appeler : la tentation de la tente du confort et du bien-être. Nous souhaitons le plus souvent vivre de Dieu au cœur d’expériences euphorisantes, ou dans le train-train d’une atmosphère ouateuse. Lorsque Dieu sent qu’une âme n’est pas prête à mettre le prix d’une vraie avancée spirituelle, il la laisse à son petit train, exprime Ste Thérèse d’Avila.
Nous vivons une époque marquée par cette recherche de bien-être où la croix n’a pas sa place. Ainsi pensait Pierre, ainsi pensons-nous. Mais la vie se charge de nous détromper, et nous met à l’écoute de l’Esprit. Ce 2° dimanche de Carême, avec en première lecture le sacrifice d’Isaac, et en seconde lecture l’affirmation de Paul en Rm 8 : « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous », nous invite à ne pas nous replier sur nos propres aises ; et à regarder combien la croix concerne Dieu d’abord. C’est lui qui a livré son Fils. Notre acceptation de la croix dans nos vies n’est qu’une réponse d’amour à son amour premier.
Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous.
11 P 1, 6-7,11,19 ; 2, 4.7.8,19-25 ; 3, 9.17.18 ; 4, 3.12.16-19 ; 5, 1…
2Voir la Petite École Biblique n° 39 : Jésus transfiguré, lumière du monde.