Charles Journet et Nicolas de Flüe

Pour les 600 ans de la naissance de Saint Nicolas de Flüe, trois conférences de carême lui ont été dédiées à l’église saint Jean à Fribourg au mois de mars. Voici celle de l’abbé Philippe Blanc intitulée : « Journet et saint Nicolas de Flüe ».

 Introduction « Ô Seigneur, toi seul peux me suffire ! ».

Par cette simple invocation souvent répétée par Nicolas de Flüe, nous entrons dans l’intimité de sa foi vécue et de son abandon total à Dieu. Elle dit en quelques mots l’absolu de son expérience. Comme le rapporte Journet dans sa biographie en se référant à un récit de Welty von Flue, alors que Nicolas hésitait quelque peu dans l’orientation à donner à sa vie, un nuage vint du ciel et il en sortit une voix qui lui disait de s’abandonner à la volonté de Dieu… et de consentir d’avance à ce que Dieu voudrait faire de lui (Nicolas de Flue, p. 126).

S’abandonner à la volonté de Dieu et y consentir d’avance, voilà une façon de décrire la vie de Nicolas et il n’est pas abusif de penser que cette attitude a eu un fort impact sur Charles Journet aussi bien dans sa vie spirituelle que dans ses engagements très concrets. Dans l’avant-propos de sa Petite biographie de Nicolas de Flue, daté du 23 février 1942, Journet parle de la séduction qu’exerce le mystère de Nicolas de Flue. Et il poursuit en disant que cette séduction est trop prenante pour qu’on puisse s’arrêter en route quand on a commencé de s’approcher de lui, ou pour qu’on puisse se retenir, quand on l’aime, de vouloir le faire aimer autour de soi (p. 9).

On pourrait repérer les traces de cette séduction dans différents écrits de Charles Journet, comme dans certaines de ses prises de position lorsqu’il s’agit de défendre la Vérité de l’Évangile et la vie de foi qu’il inspire. On sait aussi la place que Journet accorde à l’expérience des saints et à la connaissance contemplative dans l’acte théologique. Dans son Portrait intérieur, le Père Pierre-Marie Emonet écrit : à ses yeux, par les contemplatifs, l’Église remonte à ses sources (p. 20). Nicolas de Flüe est de ces contemplatifs qui ne perdent rien de leur enracinement dans l’humanité, mais qui la vivent sous le regard et en présence de Dieu. Parmi les attitudes qui peuvent décrire la vie spirituelle de Nicolas, Journet écrit : Il ne souhaitait que se défaire de tout, pour enfin gagner le Tout (Nicolas de Flue, p. 167). On pourrait imaginer qu’il y a là seulement le désir d’une certaine fuite mais, en fait, il s’agit de retrouver le réel par ce qu’il a de plus humain lorsqu’il est vu dans la lumière du Christ. Et Journet poursuit : il ne pouvait certainement pas penser qu’en s’enfonçant dans la solitude du Ranft, il retrouvait, mais dociles et domestiquées, bien des choses à quoi il renonçait avec une énergie presque sauvage, même celles de la politique (Ibid., pp. 167-168).

En ce temps du carême, nous avons peut-être besoin nous aussi de cette énergie presque sauvage pour nous ouvrir à la conversion qui est d’abord l’accueil de la grâce que Dieu nous offre. Avec saint Nicolas de Flüe, Journet nous invite à nous plonger en la présence de Dieu, présence qui habite en nous et nous transfigure. Nous entendons en même temps l’appel universel à la sainteté, sainteté incarnée, vivante et rayonnante. Guy Boissard, dans son livre Quelle neutralité face à l’horreur ?, écrit à propos de Nicolas : Le rayonnement qui a convaincu (ses concitoyens) venait de la beauté de son âme proche du Seigneur (p. 359). Et il ajoute à propos de Journet : Nous pensons que c’est cette même voie que suit Charles Journet (id.). Se convertir, c’est peut-être se laisse séduire par la beauté de Dieu, se rapprocher de lui et aller sur les chemins, rayonnants de sa présence.

I – Primauté de la vie intérieure

La grandeur de Nicolas est d’avoir affirmé la primauté de la vie intérieure, d’avoir regardé aux choses divines qui sont éternelles, d’avoir saisi, avec une intensité extraordinaire, qu’elles sont seules capables d’équilibrer et de pacifier les choses temporelles (Nicolas de Flüe, pp. 199-200). Dans ces paroles de Charles Journet on pourrait reconnaître aussi les traits caractéristiques de son cheminement personnel. Il est saisi par la vie et le regard de Nicolas, vie et regard d’un contemplatif, et pour lui, d’une certaine manière seul les contemplatifs sont des théologiens. C’est la vie et le regard d’un homme qui entre dans la connaissance mystique du mystère trinitaire et qui, par là, devient un ami de Dieu.

Dans Introduction à la théologie, Journet se réfère à la Théologie mystique de Denys l’Aréopagite et au commentaire qu’en fait saint Thomas d’Aquin. Trois caractéristiques qualifient cette sagesse de la connaissance mystique :
1° La connaissance mystique est le fruit d’une extase… il y a un amour qui s’en va vers les êtres en raison de ce qu’ils sont, qui veut le bien même de l’être aimé : un tel amour cause l’extase, il transporte l’amant hors de ses limites. Alors, si l’Aimé est Dieu, l’amant n’a rien à réserver, il peut et doit tout aliéner : c’est en s’aliénant en Dieu que la créature se retrouve, qu’elle est rendue à elle-même…
2° Du fait qu’elle est une connaissance par extase d’amour, la connaissance mystique est une connaissance par sympathie… L’Aimé commence de venir dans l’aimant, d’une certaine manière secrète, intime, imperceptible… la conséquence, c’est que l’aimant ira, tout en restant lui-même, se perdre dans l’Aimé…
3° Enfin la connaissance mystique… est une connaissance sans concepts, ou plus exactement une connaissance par-delà les concepts. Elle suppose en effet les données conceptuelles de la révélation, elle les croit de foi divine, elle en vit, mais pour les dépasser dans le silence et la nuit (Introduction à la théologie, Œuvres complètes, vol. IX, pp, 967-968).

Cette citation un peu longue peut nous aider à mieux mettre en lumière, et d’une d’une façon originale, la personne de Nicolas de Flüe et la séduction qu’elle a pu avoir sur Journet. On peut en effet reconnaître les traits de Nicolas dans cet homme épris d’Amour et qui se perd en Dieu pour mieux se retrouver, dans cet aimant qui se dépouille de tout pour revêtir le vêtement de gloire des amis de Dieu, dans cette vie donnée comme une participation active à l’offrande du Christ. Dans l’urgence de retrouver un regard contemplatif (cf. Pape François, La joie de l’Evangile, n° 264), il y a là pour nous un itinéraire de choix.

Pour vivre cette primauté de la vie intérieure, les conseils spirituels de Journet ne manquent pas : Il y a quelque chose de plus important que de savoir aimer Dieu, c’est de savoir qu’il nous aime… si l’on n’a pas dit non, il entre et creuse son silence dans le cœur ; c’est de l’Absolu que notre cœur a finalement besoin, et c’est Lui qui peut combler la capacité infinie de nos cœurs ; ce qui est décisif, c’est de vivre avec la foi dans le cœur, au milieu d’un monde qui renie Dieu ; il suffit de regarder avec l’amour de Dieu ceux qu’il nous envoie, alors c’est Lui qui à travers nous les prend en charge (Comme une flèche de feu, pp. 22.24.27.37). Ces quelques exemples s’appuient sur l’expérience personnelle de Journet et ne sont pas très éloignés de ce que Nicolas a pu vivre en son temps. Ce qui ravit le saint ermite, c’est le contraste entre la grandeur de Dieu et la petitesse de l’univers… Plus précisément, c’est la magnificence des divins mystères et la fragilité de leur enveloppe visible : une vierge qui enfante un Dieu, une petite hostie où se sache le Sauveur du monde, la brièveté de la vie humaine faite pour s’ouvrir sur une félicité éternelle (Nicolas de Flue, pp. 38-39). Ainsi on peut dire que Nicolas fut un maître de vie intérieure, d’une vie enracinée en Dieu, d’une vie totalement donnée.

II – Porter la passion de Dieu en son cœur (85)

Vous parler de JÉSUS, je ne saurais pas ; il faudrait avoir un amour tout brûlant, tout passionné de Lui et, en moi, c’est la misère. Il n’y a qu’une seule chose que j’ai éprouvée une fois pour ne plus jamais l’oublier, c’est que c’est LUI qui nous aime (Comme une flèche de feu, p. 19). Et cette confidence, faite par Journet dans une de ses lettres, trouve un écho jusque dans son testament où il affirme : Il m’a envahi de son Amour – et de son amour pour son Église… Il est venu au devant de moi par les plus extraordinaires et les plus bouleversantes des amitiés. C’est cette sagesse de l’amour que Nicolas d’abord et Journet dans son sillage ne cesse de contempler dans le mystère trinitaire. Il semble que la continuelle extase intérieure du bienheureux naisse du contraste éblouissant qu’il découvre entre la puissance et la perfection indicibles de la divine Trinité et la fragilité de notre univers, qu’elle a créé pour s’en faire une demeure, qu’elle considère avec un amour vraiment incompré-hensible, et qu’elle daigne visiter merveilleusement (Nicolas de Flue, pp. 45-46).

Contraste éblouissant entre puissance divine et fragilité humaine, entre grandeurs de sainteté et grandeurs de hiérarchie, entre douceur de Dieu et folie des hommes. C’est cela l’expérience de Nicolas et c’est aussi cela, à sa manière celle de Journet. C’est aussi celle de l’Église sainte et composée de pécheurs. C’est enfin la nôtre entre appel à la sainteté et confrontation avec nos infidélités. D’où la nécessité de s’abandonner à la puissance de guérison qu’offre le Christ car seules les plaies du Christ peuvent guérir les plaies du monde (Nicolas de Flue, p. 23). Alors que le curé de Kriens apprend à Nicolas à méditer sur la passion du Sauveur, Journet explique : Le mystère d’un Dieu, martyrisé pour les hommes, le bouleverse en lui faisant mesurer la profondeur infinie du mal qui est dans le monde et, en même temps, le rassérène en lui découvrant la profondeur infiniment plus infinie de l’amour divin (ibid., pp. 23.24). Et là il ne peut y avoir de demie mesure, soit on donne tout, soit on ne donne rien. Soit on suit le Christ sur le chemin de l’offrande libre et totale, soit on suit les appels du monde et on continue à être occupés à se durcir les uns contre les autres, à se disputer les uns aux autres quelques pfennigs, à préparer de (nos) mains (nos) propres malheurs (ibid., pp. 58-59).

Alors, dans sa prière, Nicolas s’en remet totalement à Dieu et il porte le monde dans son intercession. Au jeune homme de Berthoud, il confie : Dieu sait faire que le prière ait un tel goût, qu’on y aille comme à la danse ; et encore qu’elle ait un tel goût, qu’on y aille comme au combat (ibid., p. 26). Et puis, il y a cette belle prière de Nicolas que Journet présente ainsi : Certaines des exclamations brûlantes qui lui jaillissent du cœur… sont arrivées jusqu’à nous : O mon Dieu et mon Maître, prends-moi à moi, et donne-moi tout en propre à toi. O mon Dieu et mon Maître, arrache de moi tout ce qui me sépare de toi. O mon Dieu et mon Maître, donne-moi tout ce qui m’attire à toi… C’est de cette oraison que découle la paix divine qui s’empare dès lors de toute sa vie (Ibid., pp, 27-28).

En ce temps du carême, nous pouvons entendre Journet nous dire, avec une autre traduction, que la plus belle – de ces prières – et qui résume tout (est) : Prends-moi à moi et donne-moi tout entier à Toi (Dieu à la rencontre de l’homme, p. 153). C’est cela aussi avoir la passion de Dieu en son cœur.

III – Une vision transcendante de la réalité

Cette vision transcendante d’une réalité enveloppée dans l’histoire humaine, Journet l’a reçue de Nicolas de Flue (Guy Boissard, Quelle neutralité face à l’horreur ?, p. 117). Cette réflexion de Guy Boissard s’applique en particulier au patriotisme de Journet, au rôle que chaque nation est appelée à s’acquitter en vue du bien commun de l’humanité (id.), mais on pourrait élargir encore la vision et l’étendre à toute réalité humaine. Nous ne sommes plus dans le contexte de 1942, année durant laquelle Journet publie une Petite biographie de Nicolas de Flue, mais ne pourrait-on repérer en notre temps des menaces contre la dignité de la personne humaine, contre son droit inaliénable à la vie de sa conception à son terme naturel, contre une juste répartition des richesses et des ressources… ? N’y aurait-il pas une certaine urgence à rappeler la dimension transcendante de la personne humaine qui peut être vue à la fois comme signe de la présence de Dieu et sacrement du frère ?

Dans ses différentes interventions auprés de ses contemporains, Nicolas a fait preuve d’une vraie liberté de parole et le fondement de cette liberté était en Dieu. Elle était le fruit visible et efficace de sa contemplation du mystère de Dieu et de l’expérience de sa présence. Comme le souligne Guy Boissard à l’égard de Journet, il a fait entendre sa voix comme citoyen de son pays ; comme philosophe de l’être et de l’agir humains, observateur de la chose politique ; comme théologien, apportant la lumière de l’Évangile et celle de l’Église sur les événements. À ce dernier titre, ce n’est pas seulement à la théologie formelle, discursive, qu’il se référait mais à la théologie en tant que connaissance spirituellement vécue des choses de Dieu (Guy Boissard, Quelle neutralité face à l’horreur ?, p. 353). Et la conclusion est clairement exprimée : C’est encore chez Nicolas de Flue que nous découvrons l’archétype de la conduite de l’Abbé (Ibid., p. 358).

De fait, on peut dire que comme Nicolas, Journet ne se dérobe pas à l’engagement auquel il est alors sollicité et qui se traduit notamment par ses prises de position. Cet engagement politique ‘procède de la vocation même du théologien, il est dans le prolongement normal de la théologie de l’Église du Verbe incarné’, car aucun problème n’est étranger au théologien (Id.). Sa vision du monde n’est pas conditionnée par les aléas de l’histoire, aussi dramatiques soient-ils, mais par le dessein de Dieu, par l’étonnante providence de Dieu qui se manifeste dans l’histoire. D’où sa grande liberté prophétique, selon l’expression du Père Emonet (cf. Guy Boissard, Quelle neutralité face à l’horreur ?, p. 360).

Dans le chapitre sur la signification politique de saint Nicolas, Journet écrit : Il est exact que le miracle de cette vie est d’avoir uni en elle, avec une aisance en quelque sorte divine, l’amour de l’infini et l’amour du fini, le souci du spirituel et le souci du temporel, le souci du royaume qui n’est pas de ce monde et le service d’une patrie terrestre. C’est le trait que relève Pie XII : ‘Nicolas de Flue incarne avec une plénitude admirable l’union de la liberté terrestre et de la liberté céleste’ (Nicolas de Flue, p. 202). Comme héritier de Nicolas, dès les premières pages de la nouvelle Revue catholique pour la Suisse romande – Nova et Vetera, Journet présente ainsi ses objectifs : Il s’agit pour nous, à chaque moment du temps, de découvrir les fils ténus et innombrables qui doivent unir, dans un monde bien fait, le passé, le présent et l’avenir. Il s’agit d’élever nos regards assez haut pour que se découvre la hiérarchie décroissante et délicate des valeurs spirituelles, capables d’ordonner, sous le signe de Dieu et de son Christ, les manifestations les plus nobles ou les plus humbles de la vie intellectuelle et affective, artistique et morale, individuelle et corporative, nationale et internationale, qu’elles soient d’hier, d’aujourd’hui ou de demain (Nova et Vetera, n° 1, janvier-mars 1926, pp. 6-7). Présenter ainsi le projet éditoriale de la Revue, c’est avoir une vision transcendante de la réalité.

Conclusion L’esprit de l’Évangile au lieu de l’esprit de Machiavel

Les saints nous sont adressés par Dieu comme autant de paroles de chair, dont chacune est débordante de sens. On ne peut les écouter sans y consentir, ni sans souhaiter d’être meilleur. On ne les utilise pas. Ce sont eux qui nous ravissent, et qui parfois mènent l’un ou l’autre d’entre nous jusqu’où il ne pensait pas (Nicolas de Flue, p. 93). Avec ces paroles, Journet reconnaît que chez Nicolas, l’homme des Alpes, on peut repérer les signes d’une humanité nouvelle, d’une humanité apprenant à se rendre disponible à une incarnation de surcroît. Dans le témoignage des saints, c’est quelque chose de la présence de Dieu qui se fait proche.

Mais il voit aussi en Nicolas un entraîneur ou, plus adapté aux reliefs alpins, un premier de cordée. La sainteté n’est pas fuite du monde et Nicolas offre sur ce point à Journet un exemple assez unique d’un chercheur de Dieu, d’un contemplatif, appelé en même temps – et dans la lumière de sa contemplation – à dénouer des conflits et à se mettre au service de la paix. Comme l’a bien écrit le Père Emonet, … Charles Journet tournait ses regards vers le Ranft. Il éprouvait le besoin de contempler chez un Saint de l’Église la coexistence, sans confusion, de la vie mystique la plus haute et de la conscience politique la plus large (Portrait intérieur, p. 119).

Commentant l’intervention de Nicolas de Flue au moment où il adresse un message aux députés des cantons et qui a permis à Fribourg et Soleure d’être admis dans l’alliance, Journet écrit : … à cause de ce mystérieux message… il semble qu’un rayon de lumière soit soudain descendu sur le monde… C’est l’Esprit de l’Évangile au lieu de l’esprit de Machiavel. C‘est le miracle de la politique chrétienne (Nicolas de Flue, pp. 77-78). Les saints, les contemplatifs ont cette belle mission d’illuminer le monde d’une lumière qui à sa source en Dieu, en son Amour pour tous les hommes. Ils témoignent de la gratuité de l’amour contre les calculs bassement intéressés. Par leur témoignage de vie et leurs paroles ils offrent au monde de leur temps un rayon de lumière qui permet de voir autrement, à la manière de Dieu. Par ce qu’ils sont, ils contribuent à répandre les semences de l’Évangile dans toutes les réalités humaines et ainsi ils travaillent à l’humanisation de la société et de la culture dans lesquelles ils vivent.

Cette présence de Nicolas de Flue a accompagné Charles Journet tout au long de sa vie. Il y fait assez curieusement allusion y compris dans son discours en réponse à l’hommage du Président de la Confédération qui l’accueille officiellement à son retour de Rome comme cardinal. Vêtu de pourpre, mais désirant demeurer simplement l’abbé Journet, il dit alors : Qu’est-ce que le Souverain Pontife a pu voir dans votre serviteur, dans cet homme chargé d’années, caché dans le silence d’une vie d’étude et de professorat, inexpert dans les choses de la vie active, qu’est-ce que le Souverain Pontife a pu voir pour le désigner comme messager de ses vœux et de sa bienveillance à votre égard ? Je suppose que le Saint-Père a songé à un petit livre que j’ai écrit avec amour pendant les années de guerre, sur Nicolas de Flue (Guy Boissard, Charles Journet. Biographie, p. 500).

Ainsi, d’après Journet, Nicolas de Flue serait en quelque sorte responsable de l’épreuve que fut pour lui son élévation au cardinalat. On peut toutefois penser que d’autres raisons ont aussi guidé le choix de Paul VI. Journet aimait dire que Nicolas avait été pour lui l’exemple de l’amour de la patrie (Pierre-Marie Emonet, Portrait intérieur, p. 124). Et dans l’exergue de sa biographie il écrit : A l’Église ma grande patrie de toujours. A Genève et à Fribourg mes petites patries d’un jour. Au terme de ce même livre, il donne une précision qu’il pourrait être intéressant de replacer dans un contexte actuel : Ce n’est pas le rôle des patries d’enfanter des saints. Elles ne peuvent que fournir la matière. C’est le rôle de l’Église, qui est l’Épouse du Christ. En Suisse, elle a enfanté saint Nicolas de Flue… Les patries, elles, n’enfantent jamais que des génies ou des héros (Nicolas de Flue, p. 209).

De Nicolas de Flue et peut-être un jour de Charles Journet, nous pouvons dire les saints, ce sont ceux qui ne disent pas non à l’Amour quand il essaie de pénétrer en eux… Que l’un devienne meilleur, ou qu’il prie, ou qu’il souffre dans la lumière, c’est pour tous que cela se fait. Ensemble, ils soulèvent le monde (Comme une flèche de feu, p. 33).

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