Le salafisme fantasme l’islam originel contre la tradition musulmane

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – L’islamologue Adrien Candiard propose une analyse nuancée de la crise qui traverse le monde musulman. Selon lui, le monde sunnite est divisé entre une version à la fois moderne et intolérante de l’islam – le salafisme – à un islam traditionnel nettement plus à l’aise avec la diversité.

Adrien Candiard, frère dominicain et membre de l’Institut dominicain d’études orientales (Le Caire), est islamologue. Il est notamment l’auteur de En finir avec la tolérance? Différences religieuses et rêve andalou (Paris, PUF, 2014) etComprendre l’islam. Ou plutôt: pourquoi on n’y comprend rien (Paris, Flammarion, 2016).»


FIGAROVOX – L’irréductible diversité de l’islam sert souvent d’argument pour mettre hors de cause le fait religieux. «Ce n’est pas l’islam» est un leitmotiv qu’on entend à chaque fois qu’une action déplaisante est commise au nom de l’islam. D’autre part, on assiste à une réduction qui consiste à considérer l’islam comme intrinsèquement violent. Comment échapper à ce double écueil?

ADRIEN CANDIARD – En période troublée, on cherche des réponses simples. Il faut pourtant admettre que l’islam – religion qui a quatorze siècles d’histoire, sur des territoires immenses, et qui compte aujourd’hui plus d’un milliard de fidèles dans des cultures très différentes – est une réalité complexe. Complexe ne veut pas dire incompréhensible, mais impossible à réduire à des formules paresseuses: «L’islam, c’est la paix», «l’islam,

c’est la violence»… Des formules qui n’aident pas à comprendre, parce qu’elles réduisent l’islam à une de ses dimensions, un de ses courants, voire une de ses caricatures. L’islam n’a pas un «vrai» visage: il en a plusieurs, et nous n’avons pas à choisir celui qui nous convient. Ne pas reconnaître cette diversité et disserter sur la nature de l’islam en général, c’est en fait se contenter chercher la confirmation de ses propres aspirations, de ses arrière-pensées politiques ou de ses angoisses ; cela ne nous apprend rien sur l’islam.

Certains renvoient dos à dos la violence islamique et la violence d’autres religions. L’islam est-elle une religion spécifiquement violente? Cette violence est-elle à chercher dans le Coran, ou bien sa racine se trouve-t-elle ailleurs?

Chaque religion a ses propres défis par rapport à la violence. Dans le cas de l’islam, la difficulté tient d’abord à l’ambiguïté des sources à cet égard: on trouve, dans le Coran ou les hadiths, des appréciations très différentes de la violence – d’où d’ailleurs notre désarroi. Ces textes réclament donc une interprétation, et ils ont pu être, dans la tradition musulmane, interprétés de manières très différentes. De plus, l’imaginaire lié à l’islam primitif n’est pas un imaginaire non-violent. L’islam offre une disponibilité à un usage violent. Cela ne fait pas de l’islam une religion violente par nature, car avec ces données, de très nombreux courants, nullement marginaux, ont pu et peuvent encore vivre un islam pacifique. Tout texte appelle une interprétation, spécialement un texte religieux, et même ceux qui prétendent qu’il ne faut pas interpréter ne font en fait pas autre chose ; or l’interprétation est un acte éthique, qui engage la responsabilité de l’interprète. Le croyant n’est pas seulement le jouet d’un texte ou d’une tradition ; la violence peut être favorisée par un contexte, mais elle est d’abord un choix.

Vous écrivez que le schéma occidental hérité des Lumières, qui oppose la modernité rationnelle à l’obscurantisme de la Tradition est inopérant en ce qui concerne l’islam. Pourquoi?

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