Homélie de Benoît XVI pour la nuit de Noël 2011 (extraits)
Dieu est apparu – comme un enfant. Par cela même il s’oppose à toute violence et apporte un message qui est la paix. En ce moment où le monde est continuellement menacé par la violence en de nombreux endroits et de diverses manières ; où il y a toujours encore des bâtons de l’oppresseur et des manteaux roulés dans le sang, nous crions vers le Seigneur : Toi, le Dieu-Fort, tu es apparu comme un enfant et tu t’es montré à nous comme Celui qui nous aime et Celui par lequel l’amour vaincra. Et Tu nous as fait comprendre qu’avec Toi nous devons être des artisans de paix. Nous aimons Ton être-enfant, Ta non-violence, mais nous souffrons du fait que la violence persiste dans le monde, c’est pourquoi nous te prions aussi : montre Ta puissance, ô Dieu. En notre temps, dans notre monde, fais que les bâtons de l’oppresseur, les manteaux roulés dans le sang et les chausseurs bruyantes des soldats soient brûlées, qu’ainsi Ta paix triomphe dans notre monde.
Noël est une épiphanie – la manifestation de Dieu et de sa grande lumière dans un enfant qui est né pour nous. Né dans l’étable de Bethléem, non pas dans les palais des rois. Quand, en 1223, François d’Assise célébra Noël à Greccio avec un bœuf et un âne et une mangeoire pleine de foin, une nouvelle dimension du mystère de Noël a été rendue visible. François d’Assise a appelé Noël « la fête des fêtes » – plus que toutes les autres solennités – et il l’a célébré avec « une prévenance indicible » (2 Celano, 199 : Fonti Francescane, 787). Avec une profonde dévotion, il embrassait les images du petit enfant et balbutiait des paroles de tendresse à la manière des enfants, nous raconte Thomas de Celano (ibid.).
Pour l’Église antique, la fête des fêtes était Pâques : dans la résurrection, le Christ avait ouvert les portes de la mort et il avait ainsi changé radicalement le monde : il avait créé en Dieu même une place pour l’homme. Eh bien, François n’a pas changé, il n’a pas voulu changer cette hiérarchie objective des fêtes, toute la structure de la foi centrée sur le mystère pascal. Toutefois, par lui et par sa façon de croire, quelque chose de nouveau s’est produit : François a découvert avec une profondeur toute nouvelle l’humanité de Jésus.
Cet être-homme de la part de Dieu, lui a été rendu évident au maximum au moment où le Fils de Dieu, né de la Verge Marie, fut enveloppé de langes et fut couché dans une mangeoire. La résurrection suppose l’incarnation. Le Fils de Dieu comme un enfant, comme un vrai fils d’homme – cela toucha profondément le cœur du Saint d’Assise, transformant la foi en amour. « Apparurent la bonté de Dieu (…) et son amour pour les hommes » : cette phrase de Saint Paul acquérait ainsi une profondeur toute nouvelle. Dans l’enfant dans l’étable de Bethleem, on peut, pour ainsi dire, toucher Dieu et le caresser. Ainsi, l’année liturgique a reçu un second centre dans une fête qui est, avant tout, une fête du cœur.
Tout ceci n’a rien d’un sentimentalisme. Dans la nouvelle expérience de la réalité de l’humanité de Jésus se révèle justement le grand mystère de la foi. François aimait Jésus, le petit enfant, parce que, dans ce fait d’être enfant, l’humilité de Dieu se rendait évidente. Dieu est devenu pauvre. Son Fils est né dans la pauvreté d’une étable. Dans l’enfant Jésus, Dieu s’est fait dépendant, ayant besoin de l’amour de personnes humaines, en condition de demander leur – notre – amour. Aujourd’hui Noël est devenu une fête commerciale, dont les scintillements éblouissants cachent le mystère de l’humilité de Dieu, et celle-ci nous invite à l’humilité et à la simplicité. Prions le Seigneur de nous aider à traverser du regard les façades étincelantes de ce temps pour trouver derrière elles l’enfant dans l’étable de Bethléem, pour découvrir ainsi la vraie joie et la vraie lumière.
Sur la mangeoire qui était entre le bœuf et l’âne, François faisait célébrer la sainte Eucharistie (cf. 1 Celano, 85 : Fonti, 469). Par la suite, sur cette mangeoire un autel fut construit, afin que là où un temps les animaux avaient mangé le foin, maintenant les hommes puissent recevoir, pour le salut de l’âme et du corps, la chair de l’Agneau immaculé Jésus Christ, comme raconte Celano (cf. 1 Celano, 87 : Fonti, 471). Dans la sainte nuit de Greccio, François comme diacre avait personnellement chanté d’une voix sonore l’Évangile de Noël. Grâce aux splendides cantiques de Noël des Frères, la célébration semblait tout un tressaillement de joie (cf. 1 Celano, 85 et 86 : Fonti, 469 et 470). Justement la rencontre avec l’humilité de Dieu se transforme en joie : sa bonté crée la vraie fête.
Celui qui aujourd’hui veut entrer dans l’église de la Nativité de Jésus à Bethléem découvre que le portail, qui un temps était haut de cinq mètres et demi et à travers lequel les empereurs et les califes entraient dans l’édifice, a été en grande partie muré. Est demeurée seulement une ouverture basse d’un mètre et demi. L’intention était probablement de mieux protéger l’église contre d’éventuels assauts, mais surtout d’éviter qu’on entre à cheval dans la maison de Dieu. Celui qui désire entrer dans le lieu de la naissance de Jésus, doit se baisser.
Il me semble qu’en cela se manifeste une vérité plus profonde, par laquelle nous voulons nous laisser toucher en cette sainte Nuit : si nous voulons trouver le Dieu apparu comme un enfant, alors nous devons descendre du cheval de notre raison « libérale ». Nous devons déposer nos fausses certitudes, notre orgueil intellectuel, qui nous empêche de percevoir la proximité de Dieu. Nous devons suivre le chemin intérieur de saint François – le chemin vers cette extrême simplicité extérieure et intérieure qui rend le cœur capable de voir. Nous devons nous baisser, aller spirituellement, pour ainsi dire, à pied, pour pouvoir entrer à travers le portail de la foi et rencontrer le Dieu qui est différent de nos préjugés et de nos opinions : le Dieu qui se cache dans l’humilité d’un enfant qui vient de naître.
Célébrons ainsi la liturgie de cette sainte Nuit et renonçons à nous fixer sur ce qui est matériel, mesurable et touchable. Laissons-nous simplifier par ce Dieu qui se manifeste au cœur devenu simple. Et prions en ce moment avant tout pour que tous ceux qui doivent vivre Noël dans la pauvreté, dans la souffrance, dans la condition de migrants, afin que leur apparaisse un rayon de la bonté de Dieu ; afin que les touche, ainsi que nous, cette bonté que Dieu, par la naissance de son Fils dans l’étable, a voulu porter dans le monde. Amen.