Ils ont rencontré le Christ

Sur le site de La Croix, recueilli par Florence Chatel, le 27/4/2023

Trois chrétiens reviennent sur le parcours qui les a menés jusqu’au baptême. Un chemin fait de questions et de rencontres de personnes prêtes à accompagner et à écouter.
« En un instant mon cœur fut touché et je crus. » Ces mots de Paul Claudel au sujet de sa conversion le 25 décembre 1886, alors qu’il assistait « avec un plaisir médiocre à la grand-messe » à Notre-Dame, résonnent encore aujourd’hui. Qui n’a pas rêvé qu’il était ainsi foudroyé par l’évidence de Dieu, une conviction telle qu’elle ne laisse plus aucune place au doute ?
Dans ces pages, des hommes et une femme témoignent d’itinéraires plus sinueux entre confiance et doute, recherche intellectuelle et expérience spirituelle. Ils sont originaires de trois continents : européen, asiatique et africain. Tous ont pu un jour demander le baptême grâce à la rencontre d’autres chrétiens qui les ont accueillis avec leurs questionnements, écoutés, accompagnés. Pourquoi leur donner la parole ? Parce qu’en ce temps pascal, leurs récits témoignent de la résurrection du Christ et de la force de la communauté.

En 2013, dans l’exhortation apostolique La Joie de l’Évangile, le pape François invitait « chaque chrétien, en quelque lieu et situation qu’il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus-Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse » (EG 3). Personne ne peut « penser que cette invitation n’est pas pour lui », ajoutait-il, « parce que “personne n’est exclu de la joie que nous apporte le Seigneur” ». Les témoignages de Lucas, Gabrielle et Joseph-Marie voudraient conduire à cette joie. Voir Dieu à l’œuvre dans la vie de quelques-uns soutient l’espérance de tous et rappelle que l’Église est toujours en construction.

« Je suis entrée dans l’église de mon quartier »

Chhor Houng Gabrielle Hui Bon Hoa, 49 ans

Directrice administrative et qualité d’une entreprise agroalimentaire asiatique à Paris, mariée et mère d’une jeune femme

« Depuis que j’ai reçu le baptême lors de la vigile pascale cette année, je me sens sereine, accompagnée par Dieu. Avant, ma religion était le travail. J’étais une machine à gagner de l’argent pour avoir un bon niveau de vie, m’offrir des voyages avec ma famille, satisfaire des besoins matériels. Mais je ressentais parfois un vide dans le cœur.

Mes parents sont bouddhistes, issus de la diaspora chinoise installée au Vietnam et au Cambodge, où je suis née. Après avoir vécu à Taïwan, nous sommes arrivés en France quand j’avais 12 ans. Naturellement, j’ai donc commencé par me tourner vers une association bouddhiste, mais je n’y ai pas trouvé la sérénité que je recherchais.

Un jour d’octobre 2019, il y avait une très belle lumière. Je suis entrée dans l’église de mon quartier, Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles (Paris), pour assister à une messe. En entendant les chants et les prières, j’ai été bouleversée. J’étais tellement touchée par cette atmosphère divine que les larmes me coulaient des yeux.

Après cette expérience, j’ai eu envie de comprendre la religion chrétienne. Le curé de la paroisse m’a proposé de participer à la soirée avec les catéchumènes, tous les quinze jours. Mais dès que nous avons commencé à aborder la Bible, j’ai trouvé cela tellement difficile que j’ai un peu abandonné. J’avais suivi un cycle de conférences sur la peinture religieuse aux Bernardins. L’art sacré, la musique me semblaient beaucoup plus accessibles que les Évangiles.

À un moment, j’ai décroché. Fatiguée après ma journée de travail, je n’avais plus le courage d’aller au catéchuménat. Je m’infligeais des reproches alors que je savais que Dieu me laissait libre d’aller vers lui ou pas. Mon accompagnatrice, Suzanne-Thérèse, continuait de prendre simplement de mes nouvelles. Sans sa bienveillance et son ouverture d’esprit, j’aurais peut-être laissé tomber.

Je n’ai pas eu de mal à croire en Dieu mais à croire que Jésus ait vraiment existé, à prononcer son nom. Je n’arrivais pas à accepter qu’on le représente sur une croix, toute cette souffrance… Lire avec Suzanne-Thérèse le récit de la Passion m’a aidée à le comprendre. Grâce à la série The Chosen, j’ai réussi à mettre un visage sur Jésus. Dernièrement, j’ai regardé le film Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli. C’est d’une beauté ! En juillet, je vais partir à Jérusalem avec la paroisse. Ma fille sera du voyage, juste pour découvrir. Au départ, elle et mon mari étaient surpris que j’aille à l’église. Ils se sont habitués et me soutiennent aujourd’hui.

En apprenant que j’allais me faire baptiser, ma mère m’a dit : “Mais alors, nous ne serons plus de la même religion”, comme si nous ne faisions plus partie du même royaume. Sur le moment, j’ai été un peu triste de sa réaction. Mais en réalité, elle était contente pour moi et elle a tenu à venir à mon baptême. Je souhaite que ceux qui ne connaissent pas Dieu le rencontrent un jour. Il n’est jamais trop tard. »

« Le contact avec la Bible m’a transformé »

Joseph-Marie Bantaba, 49 ans

Professeur de mathématiques et d’informatique à Tours, marié et père de six enfants

« En allant à l’école à Brazzaville (République du Congo, NDLR), je croisais des groupes d’amis qui allaient au catéchisme. Mais ma famille était athée et animiste. À 19 ans, je suis parti au Sénégal où j’ai aiguisé ma recherche de Dieu au contact de l’islam sans y adhérer. C’est en arrivant en France en 2000 que j’ai commencé à entendre parler du Dieu des chrétiens. J’étais alors assez curieux de la religion mais pas au point de me rapprocher d’un groupe de prière.

Dix ans plus tard, j’ai rencontré une jeune femme catholique, Ginette. Nous nous sommes installés ensemble, je la voyais prier. J’avais vis-à-vis de la religion la même attitude que dans mon travail de recherche fondamentale en mathématiques. J’observais, je discutais avec des prêtres quand c’était possible, notamment lorsque nous nous rendions à Lourdes comme en cette fête de Pâques 2016.

Resté au fond de la basilique du Rosaire avec notre premier enfant, je regardais les files de fidèles s’avancer pour recevoir la communion. J’avais l’impression d’être à une fête d’anniversaire et que toute cette foule se dirigeait vers la personne concernée. Pour la première fois, je faisais l’expérience que Jésus était vivant. À notre retour, j’ai commencé à prier avec Ginette, à participer avec elle à un groupe de louange, puis au parcours Alpha d’initiation à la vie chrétienne.

En 2018, nous avons suivi une session d’été avec la communauté de l’Emmanuel à Paray-le-Monial. Après les apparitions de Marie à Lourdes, je découvrais que Jésus était lui aussi apparu à Marguerite-Marie Alacoque. À cette époque, j’avais une vie un peu saccagée. Mes frères mouraient jeunes au pays. J’avais besoin de me sentir protégé, envie de croire que tout cela était réel et allait m’apporter la guérison de l’âme, une autre vie.

Finalement, c’est le contact avec la Bible qui m’a transformé. Lycéen, j’avais retenu la Parole : “Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?” (Lc 24, 5). Devenu professeur, je citais souvent cette parole à un élève quand celui-ci faisait fausse route. Soudain, à Paray-le-Monial, cette Parole s’est adressée à moi. Après une nuit blanche, je suis allé voir le prêtre qui nous accompagnait. “Que fais-tu maintenant de ta vie ?”, m’a-t-il dit.

J’ai été baptisé le 16 avril 2022 lors de la vigile pascale à l’église Sainte-Maure, en Touraine, à la manière des premiers chrétiens, le corps totalement plongé dans l’eau. Je m’appelais Fiancée-Gernavey. J’ai choisi pour nom de baptême Joseph-Marie. Changer de nom, c’était rompre avec les liens de mon passé, renaître de l’eau et de l’Esprit. Deux semaines plus tard, Ginette et moi nous sommes mariés à l’église. La Parole qui me touche aujourd’hui, c’est : “Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout” (Jn 13, 1). Le Père attend de moi que je m’abandonne à lui jusqu’au bout. »

« J’ai ouvert une première fois la porte à la prière »

Lucas Tierny, 31 ans

Consultant en stratégie à Paris

« J’ai laissé entrer Dieu dans ma vie presque sans le savoir. Il se met à notre portée. Comme beaucoup d’étudiants en école de commerce, j’étais fêtard et un peu dragueur, il est venu me chercher là où je me trouvais. Tout a commencé à l’été 2013, alors que j’étais skippeur pour une agence organisant des croisières festivalières en Croatie. L’ambiance à bord était tellement débridée que les Croates nous appelaient les “Sodome et Gomorrhe”. Un dimanche, un ami catholique, François Pinsac, skippeur avec moi, a traversé le ponton en lançant : “Je vais à la messe. Qui veut venir ?” En voyant la réaction intéressée des filles assises à côté de moi, je l’ai suivi et j’ai ouvert une première fois la porte à la prière.

Je me définissais alors comme un jeune progressiste. J’avais grandi loin de l’Église et assez seul. Ma mère bipolaire, féministe, se nourrissait de culture avant-gardiste. Mon père était très pris par son entreprise. Tous deux avaient rejeté l’éducation catholique qu’ils avaient reçue de leurs parents. Ils voyaient dans l’Église une institution menaçant leur idéal de liberté.

Assez logiquement, je m’étais approprié leurs idées que je défendais. Je compensais un manque de confiance en moi par une soif de réussite sociale pour laquelle je mettais toutes les chances de mon côté. Je cherchais par moi-même des clés pour grandir dans la vie. J’étais à la fois en quête de vérité, et empli de préjugés et d’orgueil.

Mon parcours vers le Christ a été une succession de claques. J’ai reçu la première en voyant l’espérance et la force que dégageait mon ami François. Dans un contexte de fêtes incessantes, il restait cohérent avec ses convictions. Avec lui, je découvrais que je n’avais rien à perdre à prier Dieu même si je doutais de son existence.

La deuxième claque a été de découvrir que l’économiste Pierre-Yves Gomez, enseignant dans mon école, l’EM Lyon, était catholique. Par son intermédiaire, j’ai alors commencé à fréquenter l’église Sainte-Blandine. Mais j’étais encore persuadé que l’Église fonctionnait comme une secte qui séduisait ses fidèles pour les garder. Je suis tombé de haut deux ans plus tard lors d’une retraite pour les jeunes avec la communauté Saint-Martin. Le prêtre poussait les jeunes à se dépasser. Cette retraite a été un vrai basculement.

J’étais intrigué par la foi des catholiques. À un moment, je me suis dit : “On ne peut pas naître de rien, il y a sûrement quelque chose ou quelqu’un. Et s’il y a un Dieu, c’est incroyable qu’il nous ait laissés libres de reconnaître ou non sa présence.” Un tel amour au point de s’effacer ne pouvait pas être humain. J’ai ainsi apprivoisé l’idée de l’existence de Dieu. J’ai appris à le prier, à lui remettre mes inquiétudes. Et un jour, j’ai senti qu’il était avec moi.

Je me sentais plus heureux. Confier ma vie à Dieu pour le restant de mes jours devenait de plus en plus cohérent. C’est le choix que j’ai fait lors de mon baptême, le 20 avril 2019 : un plongeon dans la confiance. »

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Pour aller plus loin

Lire

L’Évidence. Itinéraire d’un incroyant converti, de Lucas Tierny, Artège, 2023, 200 p., 17,90 €. Avec sincérité et sans complaisance, Lucas Tierny livre le témoignage de sa conversion. Une quête qui l’a mené à chercher des réponses rationnelles tout en découvrant un Dieu intime.

Comme des cœurs brûlants. L’extraordinaire témoignage des convertis, d’Alexia Vidot, Artège, 2021, 248 p., 17,90 €. Convertie à 20 ans, la journaliste Alexia Vidot témoigne de sa conversion et explore celle de sept hommes et femmes spirituels du XXe siècle.

Témoigner sur les réseaux sociaux

Mon expérience de Dieu est une nouvelle plateforme sur Instagram (@mon_experience_de_dieu) et TikTok (tiktok.com/@monexperiencededieu). Elle propose sous forme de courtes vidéos des témoignages de chrétiens, majoritairement catholiques mais également protestants. On peut leur adresser un témoignage à cette adresse : monexperiencededieu@gmail.com.

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Extrait. Pape François : « Où cherchons-nous le Ressuscité ? »

« Il n’est pas toujours facile de croire, surtout quand (…) on a subi une grande déception. (…) Pour croire, Thomas voudrait un signe extraordinaire : toucher les plaies. Jésus les lui montre, mais d’une manière ordinaire, en se présentant devant tous, dans la communauté, pas dehors. Comme pour lui dire : si tu veux me rencontrer, ne cherche pas loin, reste dans la communauté, avec les autres ; (…) prie avec eux, romps le pain avec eux. Et il le dit à nous aussi. (…) C’est là, dans la communauté que tu découvriras mon visage, alors que tu partageras avec tes frères des moments de doute et de peur. (…) Sans la communauté, il est difficile de trouver Jésus. (…) Où cherchons-nous le Ressuscité ? Dans un événement particulier, dans une manifestation religieuse spectaculaire ou éclatante, uniquement dans nos émotions et nos sentiments ? Ou dans la communauté, dans l’Église, en acceptant le défi d’y rester, même si elle n’est pas parfaite ? »

Regina Caeli, 16 avril 2023.