Au chapitre 4 de l’Évangile selon St Jean, nous lisons comment Jésus a rencontré une femme, « la Samaritaine ». Il y a là comme une pédagogie de la rencontre et du dialogue, qui nous est utile à nous pour nos propres contacts d’évangélisation.
1. Jésus nous apprend à nous laisser guider vers la personne à rencontrer (4,1-6)
En effet, Jésus quitte la Judée, au sud de la Palestine, pour se rendre en Galilée, au nord. Il part du bord du Jourdain et, géographiquement, il lui aurait été plus facile de suivre la vallée du Jourdain, de remonter le Jourdain en quelque sorte. Or, Jean écrit : “Il lui fallait traverser la Samarie”.
Et on peut comprendre ceci : c’est sur la base d’un discernement et d’un accueil de la volonté divine que Jésus se rend en Samarie, et qu’il va se trouver en plein midi, seul, au puits de Jacob. Et la volonté de Dieu, c’est le salut éternel de cette femme, et également l’unité spirituelle retrouvée entre Juifs et Samaritains par l’accueil de la Bonne Nouvelle.
Ainsi, dans un travail missionnaire, s’il est indispensable de chercher à discerner les chemins de la mission, il faut aussi chercher à se rendre disponible à la personne qui se trouve sur notre chemin. C’est dans l’aléa des rencontres que l’Esprit Saint nous guide. Les plans les meilleurs peuvent quelquefois nous faire passer à côté de ceux qui nous attendent.
Se laisser guider, cela peut vouloir dire : accueillir simplement les personnes qui se trouvent sur mon chemin, celles que je rencontre, avant même de rentrer dans une maison précise. Et lorsque nous partons avec le souci de témoigner et d’évangéliser, commençons par prier en disant : “Seigneur, guide mes pas… Seigneur, guide mes pas vers ceux que tu veux me faire rencontrer”.
2. Aborder l’autre dans un esprit de partage (4,7-9)
Lorsque Jésus se laisse aborder par cette femme au bord du puits de Jacob (verset 7), il commence par lui dire : “Donne-moi à boire” ; la femme est très surprise de cette parole de Jésus. C’est un deuxième aspect qui nous indique comment vivre l’évangélisation : il faut aborder l’autre dans un esprit de partage.
Jésus est réellement dans une attitude de pauvreté par rapport à cette femme : il est fatigué par la route, il s’est assis près du puits. Il est midi, il fait chaud ; Jésus a faim et soif. Les disciples sont partis acheter quelque nourriture, et Jésus réclame à boire.
Lui qui veut donner l’eau vive de l’Esprit commence par demander. En se situant sur un plan tout à fait accessible à cette femme qui vient puiser de l’eau. Même si, par ailleurs, cette phrase – banale en apparence – peut aussi se comprendre à un autre niveau.
Et cette pauvreté dans la démarche est essentielle à l’évangélisation. On ne parviendra à rien en proclamant nos certitudes évangéliques avec la force d’un coup de poing dans l’estomac. Quand on est désireux de donner, il faut commencer par demander. Voilà la pédagogie que Jésus nous enseigne.
Car le fond de la démarche de Jésus, c’est d’éveiller la liberté de cette femme. Pour qu’elle puisse apprécier ce qu’il va lui offrir, il est nécessaire que, d’abord, elle commence par ressentir la joie de donner. Saurons-nous, par notre pauvreté, éveiller la liberté, susciter le désir, accueillir pour donner ?
3. Un langage direct sur la vie éternelle (4,10-15)
Juste après, Jésus dit à cette femme : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive ». Et Jésus ajoute : « Quiconque boit de cette eau (en parlant de l’eau du puits) aura soif à nouveau ; mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle ».
Jésus ne s’embarrasse pas de mille et un détours pour parvenir à poser la question de la relation à Dieu. Il est même tout à fait direct, en invitant la Samaritaine à s’ouvrir au don de Dieu, à le prier avec foi, à désirer l’eau vive de l’Esprit. Aux questions posées par la femme, Jésus ne donne pas de réponse ; il ne discute pas avec elle. Il continue à affirmer une vérité première : l’eau d’ici-bas ne peut satisfaire le désir infini du cœur humain, seule l’eau vive de l’Esprit peut faire entrer dans la dimension de l’éternité.
Manifestement, elle n’a pas compris ce que Jésus lui disait : Jésus parle de l’eau de l’Esprit Saint, et elle comprend “l’eau du puits”. Il y a un décalage extraordinaire, c’est un peu un dialogue de sourds. La femme dit à Jésus : “Mais enfin, tu n’as rien pour puiser et le puits est profond ; d’où l’as-tu donc, l’eau vive ?”. Et elle va dire encore : “Seigneur, donne-moi de cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser”.
Jésus nous aide à comprendre que nous ne devons pas craindre ce décalage dans l’évangélisation. Car il prépare la Samaritaine à accueillir pleinement ce qu’il veut lui donner. Un cadeau dont on ne connaît pas suffisamment la valeur deviendra vite indifférent ou mal apprécié. C’est pourquoi Jésus éclaire cette femme, il lui fait sentir ses vrais besoins spirituels, il lui inspire le désir d’accueillir un nouveau don de Dieu.
C’est à partir de cette ouverture que manifeste la femme en disant : “Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser”… (une ouverture qui, à première vue, peut paraître bien matérielle) que le dialogue de Jésus avec cette femme va changer de direction, comme nous le verrons un peu plus loin, à partir du verset 16.
4. La nécessité de l’aveu du péché (4,16-18)
À partir de la demande de la femme : “Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je n’aie plus soif”, il semble que le dialogue change de direction. Jésus se permet directement une provocation : “Va, appelle ton mari, et reviens ici”. Jésus, sans doute, est en train de s’engouffrer dans l’indice du désir qui s’éveille dans le cœur de cette femme.
Dans un contact direct d’évangélisation, l’expérience montre que, souvent, la personne que nous rencontrons avoue et dévoile d’elle-même de grandes misères, comme si elle en sentait la nécessité. Souvent aussi nous restons dans l’ignorance. Et pourtant, reconnaître le péché, c’est la condition de base pour accueillir l’amour. À Charles de Foucauld qui demandait à être instruit de la foi, l’abbé Huvelin dit : « Mettez-vous à genoux, repentez-vous de vos péchés, et vous croirez… ».
Jésus avait pris l’initiative du dialogue au bord du puits : “Donne-moi à boire”. Il prend à nouveau l’initiative de demander à cette femme d’entrer dans le repentir de son péché : “Appelle ton mari”. À la dérobade qui s’ensuit : “Je n’ai pas de mari”, Jésus répond en rétablissant la vérité, et en dévoilant lui-même le péché : “Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq et celui avec qui tu vis n’est pas ton mari. En cela tu dis vrai”.
C’est très important de passer par cette étape de vérité. Et ainsi de veiller à se mettre toujours en vérité dans les dialogues que nous avons en osant dénoncer certaines situations de péché par amour du pécheur.
5. Se convertir : passer de la religion à la foi (4,19-26)
Les paroles de Jésus, qui dévoile à cette femme son péché, l’ont profondément impressionnée, et elle dit à Jésus : “Je vois que tu es un prophète”. Alors sa curiosité la pousse à savoir ce qu’il pense du conflit entre Juifs et Samaritains. Peut-être aussi cherche-t-elle à détourner la conversation pour la situer sur le plan de la religion. Et nous savons combien le réflexe premier du croyant non pratiquant éloigné de l’Église, ou de celui qui vit dans le péché, c’est de parler « religion ». Il ne faut pas se laisser détourner du but : nous avons à amener à la foi en Jésus.
Jésus poursuit la conversation sur le plan où la femme vient de la placer, mais il sort du grand débat religieux qui divise les Juifs et les Samaritains pour se situer bien au-delà. À cette femme qui lui demandait s’il fallait adorer Dieu au temple situé sur le Mont Garizim, en Samarie, ou bien au temple situé à Jérusalem, Jésus lui dit : “Au fond, ce n’est pas la question ; l’heure vient et c’est maintenant où les vrais adorateurs adoreront le Père dans l’Esprit et la Vérité. Dieu est Esprit, et ceux qui l’adorent, c’est dans l’Esprit et la Vérité qu’ils doivent adorer”.
Jésus maintient son langage direct sur l’adoration véritable : la Samaritaine pressent que c’est là son besoin secret, son désir le plus profond. À travers l’écoute des paroles de Jésus, elle fait déjà l’expérience de l’eau vive “jaillissant en vie éternelle”.
C’est peut-être là qu’il nous faut demander avec insistance l’inspiration de l’Esprit Saint quant aux paroles que nous avons à prononcer dans nos rencontres. Elles peuvent faire franchir ce seuil de la foi, faire passer de la religion à la foi, et permettre l’accueil de l’Amour vivant.
6. Le critère de la conversion : devenir apôtre (4,27-30)
Jésus a fini par dire à cette femme qu’il est le Messie, et après que Jésus ait fait cette déclaration, la Samaritaine ne répond rien. La femme laisse sa cruche et court en ville, la ville de Sichem, Naplouse aujourd’hui. Les disciples reviennent.
La cruche laissée au bord du puits marque combien cette Samaritaine a été bouleversée par ce qu’elle a entendu de Jésus. Elle quitte ses préoccupations qui étaient purement matérielles, elle quitte son ancienne vie, à vrai dire, pour entrer dans une vie nouvelle. Elle a reçu l’eau vive qui commence à étancher sa soif la plus profonde par l’ouverture de la source dans son cœur.
Partie à la ville, elle témoigne de sa rencontre avec Jésus. Parce qu’elle était connue à Sichem, sa transformation pose question, les paroles qu’elle prononce interrogent et donnent du poids à sa question : “Ne serait-il pas le Christ ?”
Ainsi, cette femme touchée par Jésus, convertie, devient une apôtre fervente. Jésus l’a invitée à se convertir en l’aidant à dévoiler quel était son péché, et il nous fait comprendre que le critère de la conversion c’est non seulement l’aveu du péché, mais encore le fait de devenir à son tour un apôtre.
7. L’objectif ultime : le salut éternel (4,31-34)
Les disciples sont revenus, ils apportent quelque nourriture et évidemment ils sont surpris de voir Jésus parler avec une femme. Ils se demandent même si on n’a pas déjà amené à manger à Jésus. Et les paroles que prononce Jésus à ce moment-là s’adressent aux disciples et leur donnent la compréhension qu’il a, lui, de ce qu’il vient de vivre avec la Samaritaine.
* Jésus révèle de quoi il vit, sa nourriture : “Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin” (v. 34). Autrement dit, la mission se reçoit. Jésus dira en Jean 6,40 : “Telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour”. Dans nos contacts évangélisateurs, nous ne devons jamais perdre de vue cet objectif ultime : le salut éternel de ceux à qui nous nous adressons.
* Jésus exprime encore que sa nourriture c’est de “mener son œuvre à son achèvement”. C’est ce que Jésus vient de vivre avec la Samaritaine, et c’est le contenu même de l’action de l’Église dans le temps. “L’Église existe pour évangéliser” (Paul VI). C’est là l’œuvre du Père qu’il s’agit d’accomplir.
8. La mission, c’est d’abord la moisson (4,35-42)
Les disciples sont un peu comme la Samaritaine, à un plan relativement matériel : “Rabbi, mange !” (ils ont apporté la nourriture, les provisions). Jésus va leur citer deux dictons paysans, en contredisant l’un et en surenchérissant sur l’autre. Jésus va définir ce que doit être l’apostolat dont il confie la charge à ses disciples.
Le premier proverbe, c’est celui-là : “Encore quatre mois et vient la moisson” ; et il y a effectivement en Galilée quatre mois de distance entre les semailles et la moisson. Évidemment, ce dicton laisse entendre qu’on a encore le temps. Or Jésus affirme : c’est une erreur. “Regardez, dit Jésus, regardez, les champs sont blancs pour la moisson” (v. 30). Les Samaritains sortent de la ville et se dirigent vers Jésus.
Rappelons-nous comment Jésus, en Matthieu 9,36-38, dit : “À la vue de ces foules il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n’ont pas de berger. Alors il dit à ses disciples : la moisson est abondante”. Et c’est bien la même image que Jésus emploie ici.
Jésus est le ‘semeur’ qui ayant semé dans le cœur de la Samaritaine… récolte déjà la foi des Samaritains : il est donc aussi le ‘moissonneur’. Les disciples seront moissonneurs à sa suite, récoltant le fruit de Jésus semeur, alors que d’autres ont peiné, encore avant, dans le champ de Dieu.
“Je vous ai envoyé moissonner”, dit Jésus (v. 38). Telle est la présentation qui est faite de la mission dans l’Évangile selon St Jean : Jésus envoit ses disciples cueillir une moisson mûre. Ils vont récolter, rassembler les fruits pour la vie éternelle (v. 36), c’est-à-dire les hommes que le Père attire.
Dans cette œuvre, le rôle de la Samaritaine est important. Le rôle du converti-témoin, ce rôle demeure essentiel pour amener ses frères à la foi. Et la finale de cet épisode samaritain le souligne abondamment (vv. 39-42) : “Un bon nombre de Samaritains de cette ville crurent en lui à cause de la parole de la femme qui attestait : il m’a dit tout ce que j’ai fait »…
Dominique Auzenet
copyright, texte publié dans le livre « Évangéliser sur les pas de Jésus », DDB, 1998.
Une réflexion sur « Jésus et la samaritaine : une pédagogie de la rencontre »
Les commentaires sont fermés.