24° D. TO. B — (Mc 8, 27-35) Le prologue de l’évangile de Marc nous présente dès le 1er verset Jésus comme le Christ, le Fils bien-aimé de Dieu : « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » (1,1). Mais pendant huit chapitres tout le monde s’interroge : « qui donc est celui-là ? ». Avec la réponse de Pierre, « tu es le Christ », voici qu’éclate enfin pour la première fois la reconnaissance de sa véritable identité. Mais attention, le récit de Marc est très différent de celui de Matthieu que nous connaissons mieux (16,13-20), où la confession de Pierre reconnaissant Jésus comme « le Christ, le Fils du Dieu vivant » se prolonge en institution de Pierre comme chef de l’Église. Ici, le ton est très différent, et manifeste une tension certaine. Car si Marc est très succinct dans l’évocation de la foi de Pierre, il souligne fortement qu’il devra revoir sa perception du Christ.
La marche est propice à la réflexion…
C’est au long d’une marche, vers la ville païenne de Césarée de Philippe, que Marc situe cet épisode de la confession de foi de Pierre. C’est bien plus qu’une indication géographique. La foi se proclame en chemin, dans un cheminement, et sur un territoire moins réputé pour sa piété que la Judée. Césarée symbolise à la fois l’ancienne frontière nord du royaume d’Israël (1 S 3,20) et la présence païenne. Israël et les nations sont concernés par cette confession de foi et surtout par cette révélation de Jésus à son propos.
Ce que Pierre dit de Jésus
« Tu es le Christ ». Court et essentiel. Pierre est en quelque sorte le porte-parole des apôtres. Pour lui, pas de doute, Jésus est le Christ. Pierre reconnaît en Jésus, celui que Dieu envoie pour la délivrance d’Israël, délivrance spirituelle pour une vraie conversion du peuple, mais aussi délivrance temporelle pour restaurer cet espace géographique vital en vue de l’alliance entre Dieu et Israël.
Ce que Jésus dit de lui-même
Une fois encore, Jésus oblige les disciples au silence. Si le terme de Christ convient, sa définition doit en être précisée. Jésus préfère celui de Fils de l’homme, la figure que décrit Daniel (Dn 7,13- 14) à l’heure du combat ultime entre l’envoyé de Dieu et les forces du mal. Le Fils de l’homme manifeste la victoire universelle, ultime et définitive de Dieu sur le Mal et son jugement sur le monde. Et pourtant Jésus annonce ici, pour la première fois, sa Passion et sa mort. C’est une révolution vis-à-vis de la conception traditionnelle de l’idéal messianique. « Et c’est sans détour qu’il disait ces choses… » (8,32).
De l’électricité dans l’air
Brusquement tout s’écroule, comme il peut nous arriver aussi dans notre cheminement de foi. Pierre « s’emporte contre » Jésus, et Jésus « s’emporte contre » Pierre. Le verbe grec (epitimaô, 3 fois) est le même, son meilleur équivalent français serait le très familier « engueuler ». Après le temps des questions impatientes en aparté, le différent éclate, l’opposition devient frontale et publique, ce qu’exprime sans ambages la parole de Jésus : « Va derrière-moi, Satan ! Tes idées sont celles des hommes »…
« Jésus s’emporta contre eux : qu’ils n’en parlent à personne » (8,30). Jésus refuse toute confession prématurée : l’écart est trop grand entre ce que signifie le mot Christ et ce que Pierre ou les disciples ou la foule en pensent. Il en va de même pour nous : un écart entre les enseignements de l’Évangile et notre propre vie de foi… Le paradoxe de Pierre traité de Satan dit bien que LA DIVINITÉ DE JÉSUS SANS LA CROIX S’APPARENTE À UNE IDOLÂTRIE. La croix : là est le sceau proprement divin qui ne relève pas des « idées des hommes »…
Bien lire la notice
Après avoir pris à témoin les disciples (v. 33) contre Pierre, c’est maintenant la foule (v. 34) que Jésus prend à témoin devant les disciples, en définissant les exigences de ce que signifie le fait de la « suivre ». Ce n’est pas un codicille en petits caractères au bas d’une longue notice présentant les effets secondaires désagréables, mais d’une solennelle prise à témoin. La première exigence posée à celui qui veut suivre Jésus est « qu’il se renie lui-même » (v. 34-37), qu’il laisse ouverte la possibilité d’une méconnaissance, d’un mystère (« Je ne connais pas cet homme » dira Pierre lors de son reniement). La seconde condition : « Qu’il soulève sa croix ». Et pas seulement avec le petit doigt. Pas d’alternative pour suivre Jésus avec les conditions qu’il pose : le disciple va au-devant d’une mort assurée… Car il s’agit d’éviter que Jésus ait honte de nous au dernier jour.