Récit Emprisonné depuis 2020 pour le combat qu’il mène depuis plus de trente ans pour la démocratie, le magnat de la presse hongkongais Jimmy Lai risque la prison à vie. Il n’a pas quitté Hong Kong lors des contestations politiques en 2019, alors qu’il le pouvait. Ce fervent catholique se dit prêt à affronter toutes les épreuves : « Si je souffre, ce sera comme Jésus sur la croix ». Mardi 19 novembre, il s’est exprimé pour la première fois lors de son procès.
Dorian Malovic, correspondant régional de La Croix à Tokyo (Japon), le 18/07/2024 à 13:03. Modifié le 20/11/2024 à 16:04
« Il garde un bon moral, il va bien, il lit beaucoup mais je m’inquiète beaucoup pour sa santé car il est diabétique ». En quelques mots, ce témoignage rare, recueilli sur messagerie cryptée, d’une personne très proche du cercle familial de Jimmy Lai se veut rassurant mais aussi très lucide.
À 76 ans, le magnat de la seule presse d’opposition de Hong Kong, aujourd’hui censurée, croupit dans sa cellule de la prison de haute sécurité de Stanley, dans l’ancienne colonie britannique, depuis 2020. Et il risque la prison à vie…
Jimmy Laï est un homme grand et robuste mais les épreuves de l’enfermement et de l’isolement – il est à l’écart total des autres prisonniers – font lentement leur œuvre depuis près de quatre ans. Physiquement et mentalement. Pourtant, « il est habité par une force spirituelle rare », cherche à se rassurer depuis Londres Benedict Rogers, militant britannique des droits humains et spécialiste de la Chine, un ami de longue date de Jimmy Lai.
« Dans sa cellule, la bible près de son lit »
« Sa foi est centrale dans son existence », confie encore le fondateur de l’ONG des droits humains Hong Kong Watch, lui-même baptisé à l’âge adulte en… Birmanie. « En prison, Jimmy se nourrit de nombreuses lectures spirituelles, saint Thomas d’Aquin, les écrits des papes, des théologiens… et, bien sûr, la Bible qu’il a près de son lit dans sa cellule. »
Ainsi le plus célèbre prisonnier politique de Hong Kong, fervent catholique, déjà condamné à plusieurs années de prison, mais accusé de « collusion avec des forces étrangères », n’en a toujours pas fini avec la justice. « Jimmy Lai tient bon, il est plus que jamais convaincu que sa place de combattant des libertés est en prison et qu’il doit affronter cette terrible épreuve », ajoute encore ce proche.
Mais pour bien comprendre comment cet homme singulier, qui a réussi en affaires, en est arrivé là, il convient de remonter le fil de sa vie. Arrivé seul à Hong Kong, à la nage, en s’évadant de la province voisine du Guangdong lorsqu’il avait 12 ans, il a travaillé en usine, vendu des fleurs en plastique et grimpé progressivement l’échelle sociale.
Engagé dès 1989
Alors qu’il est à la tête d’un empire de presse et de communication à Hong Kong et Taïwan après avoir fait fortune dans le textile, le soulèvement des étudiants chinois appelant à la démocratie à Pékin et leur massacre sur la place Tiananmen vont marquer un tournant dans sa vie professionnelle mais aussi spirituelle.
Durant toutes les manifestations, il avait imprimé des centaines de milliers de tee-shirts portant le mot « Démocratie » en plusieurs langues et imprimé les portraits des leaders étudiants en première ligne. Rencontré à Hong Kong deux ans plus tard, en 1990, il était revenu sur les motifs profonds de son engagement.
« Ces étudiants demandant plus de liberté, de meilleures conditions de vie et moins de corruption me rendaient fier et me donnaient confiance en un avenir chinois libre et démocratique, aussi bien sur le continent qu’à Hong Kong », expliquait-il à La Croix dans le bureau de sa société.
« De ces années difficiles, je garde l’idée de rendre à Hong Kong ce que j’ai reçu et, depuis l’éveil de ma conscience politique au lendemain du 4 juin 1989, je ne cesse de me battre pour que la démocratie s’installe, que la liberté de la presse soit garantie, ainsi que les libertés individuelles. J’avais déjà beaucoup donné pour les étudiants de Pékin, de l’argent, de la nourriture, des tentes… Je me suis dit après : je vais continuer à me battre. »
« Dieu a dit qu’on ne vivait pas que de pain »
« Le 4 juin a provoqué une profonde tristesse mais aussi une terrible colère en moi ! C’est alors que j’ai commencé à lancer mes journaux, considérés par Pékin comme d’opposition, pour leur montrer que je n’avais pas peur », nous expliquait-il encore à l’époque, citant la Bible : « Dieu a dit qu’on ne vit pas que de pain. » Car son engagement politique s’accompagne également d’un long cheminement spirituel.
Au moment de la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, Jimmy Lai traverse une phase spirituelle intense qui l’amène à se convertir au catholicisme. Il redoutait, au moment du retour de l’ancien territoire britannique sous la souveraineté chinoise, d’être arrêté, envoyé en exil, renvoyé de Hong Kong.
« J’étais prêt à tout, m’avait-il confié à Hong Kong au début des années 2020 lors d’une rencontre impromptue chez des amis communs. J’ai été baptisé par le cardinal Zen le 7 juillet 1997. Dieu m’a accepté et m’a apporté son soutien car j’avais besoin de plus de courage, j’avais peur, et Dieu m’a ouvert ses portes. »
« Il lui manquait quelque chose »
Son itinéraire est plus qu’atypique à Hong Kong, où l’argent a toujours été le moteur principal de l’existence. « Son enfance de misère, ses souffrances dans les usines puis son talent d’homme d’affaires l’avaient amené au sommet du bien-être matériel, explique encore Benedict Rogers. Il aurait pu s’en contenter mais il lui manquait quelque chose, c’est évident. » Il était en quête de quelque chose de plus profond, de plus grand.
Son épouse Teresa, une fervente catholique qu’il accompagnait tous les dimanches à la messe bien avant d’être lui-même baptisé, a joué aussi un rôle important. « Là, il a rencontré le Seigneur et probablement compris ce qu’il cherchait », témoigne un prêtre avec qui il avait très souvent échangé et qui a requis l’anonymat. Souvent en première ligne dans les contestations politiques de 2019, de nombreux prêtres et religieuses font aujourd’hui profil bas.
Le magnat des médias et fervent défenseur du mouvement pro-démocratique à Hong Kong, Jimmy Lai (au centre), a pris la tête des manifestants, le 9 juin 2019. / Zuma / Zuma/ABACA
Lorsque le régime de Pékin tente de renforcer les lois sécuritaires à Hong Kong en 2019, Jimmy Lai se joint aux milliers de manifestants dans la rue. Sous les pluies torrentielles de printemps ou sous le soleil brûlant de l’été, il marchait dans les rues de Hong Kong au milieu de la foule. Discret, sérieux, concentré. Il participait également aux veillées catholiques qui célébraient l’anniversaire du soulèvement du 4 juin 1989. Aujourd’hui totalement interdites sur tout le territoire chinois. Jimmy Lai était souvent en prière.
Il risque la prison à vie
Mon engagement relève de la « dignité humaine, disait-il simplement en marchant au côté de la foule. Elle demande qu’on se batte pour que les Chinois deviennent de véritables citoyens du monde ». Si on lui demande pourquoi lui, un milliardaire, se bat pour la démocratie, il s’étonne : « Mais si moi je ne me bats pas, qui va le faire alors ? » C’était quelques mois avant qu’il ne se fasse arrêter. Car une lourde chape de plomb s’est abattue sur Hong Kong après des mois et des mois de défilés immenses demandant la préservation des libertés.
À la pandémie de Covid, venue de Wuhan en Chine au début de l’année 2020, s’est ajoutée une législation répressive imposée par les autorités de Pékin, appelée « loi de sécurité nationale ». Cette loi vise « la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec des forces étrangères ». Plus de 290 personnes ont été arrêtées en vertu cette loi, dont des dizaines de figures de la vie politique locale, des militants pro-démocratie, des avocats, des syndicalistes et des journalistes. Souvent catholiques.
En décembre 2020, des dizaines de policiers font une descente dans les locaux du quotidien de Jimmy Lai, Apple Daily. Il est arrêté et emprisonné. Quelques mois auparavant, il s’était dit « prêt pour la prison ». Il savait que son long chemin de croix allait désormais commencer.
« Je sentirai alors la grâce de Dieu »
Courageux, cet ancien réfugié devenu richissime, père de deux enfants, n’a pas fui. Titulaire d’un passeport britannique, il avait tous les moyens de quitter le territoire hongkongais quand les violences policières ont éclaté à l’été 2019. Il avait largement les moyens d’affréter un jet privé, de vendre ses biens et de prendre la poudre d’escampette, en laissant derrière lui la ville qui l’avait accueilli alors qu’il était dans le plus grand dénuement. Il a fait le choix totalement assumé de rester.
« Je ne pense pas que Jésus soit contre l’argent, s’était-il confié à un journaliste de la BBC, quelques jours avant son arrestation, en 2020. Et si j’avais été satisfait de ma vie après avoir fait fortune, je n’aurais pas fait le choix de rester à Hong Kong. Maintenant j’estime que c’est le moment de rembourser, c’est ma rédemption. Et quoi qu’il arrive, tout ira bien. Si je souffre, ce sera comme Jésus sur la croix. Même si j’espère que ça n’arrivera pas, je suis prêt pour cela. Je sentirai alors la grâce de Dieu. »
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Bio express
1947. Naissance de Jimmy Lai, de son vrai nom Lai Chee-ying, dans une famille pauvre de la province du Guangdong.
1959. Fuit de Chine à la nage vers Hong Kong, où il travaille dans des usines de production de plastique.
1989. Jimmy Lai est devenu un très riche homme d’affaires dans le textile et s’engage pour la cause démocratique en Chine lors des manifestations d’étudiants à Pékin. Il est taxé de « bête noire » par Pékin.
1997. Au lendemain de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, après des années de réflexion, il demande le baptême.
2019. Jimmy Lai soutient le mouvement démocratique et se joint aux manifestations monstres que connaît Hong Kong.
2020. Arrestation, emprisonnement et procès en cours pour « collusion avec des forces étrangères ». À 76 ans, il risque la prison à vie.