La cupidité, une fausse piste

Luc nous met en garde aujourd’hui contre la fausse sécurité qu’est l’argent, la possession de richesses matérielles, en nous exhortant à percevoir la vraie richesse qu’est le don du Père, c’est-à-dire le Royaume. Il faudrait pouvoir lire cette parabole avec sa suite : « Ne vous souciez pas de ce que vous mangerez, de la manière dont vous vous vêtirez… Cherchez plutôt le Royaume » (vv. 22-32). Laissons la Parole nous adresser trois appels :

1. Avoir du bon sens

Ce qui caractérise le riche de la parabole est précisément un défaut de jugement, d’évaluation de la réalité, de perception, ce qu’exprime l’adjectif aphrôn (« insensé ») dont Dieu le qualifie (v. 20) ; Il est ainsi à l’opposé de l’intendant infidèle du chapitre 16, qui, lui, est dit avoir agi phronimôs, « avec prudence, de manière sensée », cf. 16,8.

La réflexion qu’il fait ne l’amène pas à découvrir le vrai sens de son existence, alors qu’une simple phronèsis (pure évaluation pratique) déboucherait sur le bon choix, qui consiste à « s’enrichir en vue de Dieu » (cf. le vocabulaire financier du v. 21), d’un bien qu’on ne peut perdre.

Jésus en appelle donc au sens commun et pratique, à la simple observation, en utilisant le verbe katanoeïn (« considérer », vv. 24.27 — les corbeaux, les lys), pour apprendre à ses disciples à distinguer la vraie de la fausse richesse, celle qui dure de celle qui périt ; ce renversement de valeurs, dû à un point de vue eschatologique, sera d’ailleurs plus ample­ment développé au chapitre 16, entièrement consacré à l’argent.

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2. Apprendre à partager

« Gardez-vous bien de toute âpreté au gain ; car, la vie d’un homme, fût-il dans l’abondance, ne dépend pas de ses richesses. » Pour Jésus la vie de l’homme n’est pas dans la quantité de son avoir, mais dans la qualité de son être. La société de consommation fait fausse route et se trompe de bonheur.

« Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence. » Tel est le réflexe matérialiste de l’homme : jouir de la vie sur la terre, sans chercher à voir plus loin. Alors Jésus nous prévient : « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » (12,34).

« Te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années. » – PROFITE ! « Tu es fou, cette nuit même, on te redemande ta vie. » L’absurdité d’une vie centrée sur l’accroissement des richesses apparaît clairement face à la mort, mais aussi en considérant que l’homme doit répondre de sa vie devant Dieu. Jésus nous oriente vers le partage comme antidote au matérialisme : « Ce que tu as amassé, qui l’aura ? ».

3. Chercher la sagesse

« Apprends-nous la vraie mesure de nos jours, que nos cœurs pénètrent la sagesse. » Cette prière tirée du psaume 89 n’est-elle pas merveilleuse dans ce contexte de réflexion sur l’argent et la richesse ? Nous lisons au livre de l’Ecclésiaste : « L’abri de la sagesse vaut l’abri de l’argent… La sagesse fait vivre ceux qui la possèdent » (7,12).

« Vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut… Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. » Voilà le fondement de l’attitude chrétienne de pauvreté : le Christ. Il est notre vie, la vérité de notre être. Car tout ce que nous sommes en Dieu et pour Dieu, nous ne le devons qu’à lui. Recevons avec gratitude ce que Jésus nous dit aujourd’hui : soyez riches « en vue de Dieu », au lieu d’amasser pour vous-mêmes seulement.

Paroles du pape François avant l’angelus

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans l’Evangile de la liturgie de ce jour, un homme adresse cette requête à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage » (Lc 12, 13). C’est une situation très ordinaire, ce genre de problèmes est encore à l’ordre du jour : combien de frères et sœurs, combien de membres d’une même famille se disputent pour un héritage, et peut-être ne se parlent-ils plus !

En répondant à cet homme, Jésus n’entre pas dans les détails, mais il va à la racine des divisions causées par la possession des choses et il dit clairement : « Gardez-vous bien de toute avidité » (v. 15). Qu’est-ce que l’avidité ? C’est la convoitise effrénée des biens, vouloir toujours s’enrichir. C’est une maladie qui détruit les personnes, parce que la soif de possession crée la dépendance. Et surtout, celui a beaucoup ne s’en contente jamais : il veut toujours plus, et seulement pour lui-même. Mais ainsi, il n’est plus libre : il est attaché, esclave de ce qui, paradoxalement, devait lui servir pour vivre libre et serein. Au lieu de se servir de l’argent, il devient le serviteur de l’argent. Mais l’avidité est une maladie dangereuse pour la société aussi : à cause d’elle, nous en sommes arrivés aujourd’hui à d’autres paradoxes, à une injustice comme jamais auparavant dans l’histoire, où un petit nombre a beaucoup et où beaucoup ont peu ou rien. Pensons également aux guerres et aux conflits : ils sont presque toujours dus à la soif de ressources et de richesses. Combien d’intérêts se cachent-ils derrière une guerre ? L’un d’eux est certainement le commerce des armes. Ce commerce est un scandale auquel nous ne devons et ne pouvons pas nous résigner.

Aujourd’hui, Jésus nous enseigne qu’au cœur de tout cela, il n’y a pas seulement quelques puissants ou certains systèmes économiques : au centre, il y a l’avidité qui est dans le cœur de chacun. Alors, essayons de nous interroger : où en suis-je du détachement des biens, des richesses ? Est-ce que je me lamente de ce qui me manque ou est-ce que je sais me contenter de ce que j’ai ? Suis-je tenté, au nom de l’argent et des opportunités, de sacrifier mes relations et de sacrifier mon temps pour les autres ? Ou encore : m’arrive-t-il de sacrifier la légalité et l’honnêteté sur l’autel de l’avidité ? J’ai dit « autel », l’autel de l’avidité, mais pourquoi ai-je dit « autel » ? Parce que les biens matériels, l’argent, les richesses peuvent devenir un culte, une véritable idolâtrie. C’est pourquoi Jésus nous met en garde par des paroles fortes. Il dit qu’on ne peut servir deux maîtres et, si nous sommes attentifs, il ne dit pas : Dieu et le diable, non, ou alors le bien et le mal, mais : Dieu et l’argent (cf. Lc 16, 13). On s’attendrait à ce qu’il dise : on ne peut servir deux maîtres, Dieu et le diable. Mais il dit : Dieu et l’argent. Se servir des richesses, oui ; servir la richesse, non ! C’est de l’idolâtrie, c’est offenser Dieu.

Alors, pourrions-nous penser, ne peut-on pas désirer être riche ? Bien sûr que oui, et même, il est juste de le désirer, c’est beau de devenir riche, mais riche selon Dieu ! Dieu est le plus riche de tous : il est riche en compassion, en miséricorde. Sa richesse n’appauvrit personne, il ne provoque ni disputes ni divisions. C’est une richesse qu’il aime donner, distribuer et partager. Frères et sœurs, accumuler des biens matériels ne suffit pas pour vivre bien parce que, comme le dit encore Jésus, la vie ne dépend pas de ce que l’on possède (cf. Lc 12, 15). Elle dépend, en revanche, des bonnes relations : avec Dieu, avec les autres et aussi avec celui qui a moins. Demandons-nous alors : et moi, comment est-ce que je veux m’enrichir ? Est-ce que je veux m’enrichir selon Dieu ou selon mon avidité ? Et, pour revenir à la question de l’héritage, quel héritage est-ce que je veux laisser ? De l’argent en banque, des choses matérielles ou des personnes heureuses autour de moi, des œuvres de bien que l’on n’oublie pas, des personnes que j’ai aidées à grandir et à mûrir ?

Que la Vierge Marie nous aide à comprendre quels sont les véritables biens de la vie, ceux qui restent pour toujours.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat