Former des prêtres et des pasteurs aujourd’hui
La formation des prêtres dans un séminaire catholique
Prêtre du diocèse de Nanterre, le P. Didier Berthet est supérieur du Séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux. Il présente ici les différentes composantes de la formation du « clergé séculier », c’est-à-dire des hommes appelés à servir comme prêtres dans les diocèses catholiques.
Revue Unité des Chrétiens, n° 165, janvier 2012. Publié avec l’autorisation de la revue.
Un cadre et un parcours
La formation des prêtres dans l’Église catholique a été profondément renouvelée à partir du décret Optatam Totius du Concile Vatican II. Les dernières orientations de fond ont été données par la remarquable exhortation apostolique Pastores Dabo Vobis qui a fait suite au Synode des évêques de 1990. Pour l’Église universelle, cette formation est régie par deux documents généraux, la Ratio fundamentalis et la Ratio studiorum, que les épiscopats nationaux s’approprient en rédigeant leurs propres chartes fondamentales. Le cadre normal où elle se déroule est le séminaire, établissement entièrement consacré à la formation des futurs prêtres, où les candidats sont admis sur présentation et envoi de leur évêque. À côté des grands séminaires classiques où l’ensemble de la formation est vécu sur place, on trouve aussi des séminaires universitaires qui sont associés à une université catholique où les séminaristes effectuent l’ensemble de leurs études qui les mènent normalement dans ce cas jusqu’à la maîtrise de théologie. Dans les grands séminaires habituels, la formation se déroule en général sur un parcours de six ans : deux années de 1er cycle marquées par l’enseignement prédominant de la philosophie et considérées comme un temps de discernement important ; quatre années de théologie qui aboutissent à l’ordination au diaconat à la fin de l’avant-dernière année, et au presbytérat à la fin du séminaire.
De plus en plus souvent, les évêques demandent que les candidats effectuent une année de fondation ou propédeutique spirituelle avant d’intégrer le séminaire. Vécue en retrait dans une communauté restreinte, cette année leur permet de s’enraciner dans la vie spirituelle, de fréquenter assidûment la Parole de Dieu et de s’ouvrir à l’intelligence de la foi. Elle leur donne aussi l’occasion d’un expériment au contact des pauvres et d’une longue retraite qui leur permet d’intérioriser plus profondément l’appel du Seigneur.
Des profils bien divers
Si l’on se situe encore en amont, il convient de mentionner le travail très important des services diocésains des vocations. Ils offrent souvent un accompagnement personnel et communautaire qui aide les jeunes à effectuer un premier discernement de l’appel qu’ils ressentent. Qui sont ces « jeunes » qui se présentent ? Peut-on se risquer à esquisser un profil généraI ? Cela serait bien hasardeux. Il est assez naturel que beaucoup viennent de familles chrétiennement enracinées et assez souvent engagées. Dans leur parcours, le scoutisme ou un autre mouvement de jeunes, l’aumônerie scolaire et universitaire ou tel groupe de prière ont été des jalons importants. Cependant, un nombre significatif de nos séminaristes sont des « recommençants » dans l’ordre de la foi, et parfois même des néophytes, tout récemment baptisés ou confirmés. Leur entrée en formation est ainsi marquée par la fraîcheur et l’élan des commencements, mais elle postule aussi la poursuite d’une certaine initiation chrétienne. On rencontre aussi une grande diversité dans les parcours humains. On entre au séminaire à vingt ans comme à trente ans ; du BTS à la Grande École, les parcours de formation sont bien différents, les expériences humaines voire professionnelles également. Cette très grande diversité est d’abord une belle richesse pour la communauté formatrice du séminaire, et ensuite pour le ministère qu’accompliront ces futurs prêtres. Elle représente aussi un défi pour la formation dans son ensemble, qui doit s’adresser à des personnalités et des parcours bien divers.
Une formation intégrale
À regarder l’ensemble de ce parcours, on constate donc que l’Église catholique prend son temps pour former ses ministres ! Les textes d’orientation de l’Église soulignent à bien des reprises qu’une telle formation comporte toujours de manière équilibrée quatre dimensions fondamentales : humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale.
La formation humaine est fondamentale et pénètre d’une certaine manière toutes les autres. Il s’agit d’accompagner et de vérifier la croissance d’une personnalité dans son équilibre général, sa capacité à la relation, à l’effort, à la responsabilité loyale et à la collaboration. Une attention particulière est portée à l’équilibre affectif de la personne, à sa capacité à vivre un célibat chaste et suffisamment épanoui. À ce titre, une vie communautaire vécue au jour le jour est à la fois le lieu et le moyen privilégié pour favoriser et authentifier la croissance humaine de nos futurs prêtres.
La formation spirituelle vise à faire grandir les séminaristes dans l’union au Christ, à approfondir leur vie théologale et à promouvoir déjà en eux l’émergence d’une vraie charité pastorale, en attendantque celle-ci s’accomplisse pleinement dans la grâce de l’ordination et du ministère. Beaucoup d’éléments et de moyens de la vie au séminaire contribuent directement à la croissance de cette vie spirituelle. La liturgie des heures et l’Eucharistie célébrées quotidiennement, de même que la fidélité à l’oraison personnelle et à la méditation de la Parole de Dieu sont les moyens quotidiens de cette vie avec le Seigneur. La direction spirituelle personnelle reçue auprès d’un des « pères » du séminaire est un lieu essentiel de structuration et de relecture par le séminariste de sa vie de disciple ; elle est aussi pour discerner dans la plus grande liberté possible l’appel reçu de Dieu et le chemin pour y répondre. Tout esprit de recrutement ou de pression morale doit évidemment être exclu ; c’est librement que chaque candidat doit discerner l’appel à être prêtre.
Les études forment évidemment l’ossature d’une journée au séminaire, et de la formation tout entière. Il ne s’agit pas d’en dresser ici un descriptif exhaustif. Qu’il suffise d’abord de rappeler que l’Écriture sainte, qui est l’âme de la théologie, est à la base de bien des enseignements, et pas seulement des cours d’exégèse proprement dite. Elle est bien sûr prolongée par toute la Tradition vivante de l’Église, et l’étude des grands thèmes de la dogmatique nécessite une fréquentation sérieuse des Pères de l’Église, des principaux docteurs et théologiens, et bien évidemment des documents essentiels du Magistère. Dans cette perspective, les documents du Concile Vatican II ont une importance centrale et fournissent un socle à bien des enseignements, que ce soit en ecclésiologie, en théologie de la révélation, en morale, en liturgie ou en formation à l’œcuménisme ! Comme on l’a déjà indiqué, le début de la formation intellectuelle est marqué par un enseignement philosophique soutenu. En effet, comme le souligne la charte des études établie par les évêques de France : « L’étude de la théologie ne rend pas inutile celle de la philosophie : elle la présuppose pour mieux servir l’intelligence de la foi qu’elle veut susciter ». C’est bien à cette intelligence de la foi que visent les études au séminaire, afin de préparer pour demain des prédicateurs fidèles et crédibles de l’Évangile.
La formation pastorale est le quatrième et dernier pilier de l’éducation dispensée au séminaire. Elle doit normalement s’étendre à l’ensemble du parcours accompli par les séminaristes, même si elle est évidemment marquée par une nécessaire progressivité dans l’engagement et les activités. Son moyen principal est ce que l’on a coutume d’appeler « l’insertion pastorale ». Chaque fin de semaine, les séminaristes quittent le séminaire et vivent en paroisse. Ils y partagent la vie des prêtres qui en ont la charge et sont engagés dans des activités apostoliques bien diverses : catéchèse et catéchuménat, aumônerie des jeunes, service liturgique et préparation aux sacrements, accueil paroissial, engagement auprès des malades ou des pauvres, etc. Cette insertion pastorale est suivie avec soin par les formateurs et fait l’objet de bilans réguliers. Elle est d’abord essentielle pour le discernement vocationnel du séminariste, notamment dans les premières années. En côtoyant des prêtres dans le quotidien de leur ministère, les séminaristes sont mieux à même d’éprouver ce que représente la vie d’un pasteur et peuvent davantage fonder et éclairer le choix qu’ils font. Dans l’accomplissement fidèle de leurs divers engagements pastoraux, ils ont aussi l’occasion d’acquérir progressivement un « savoir-faire » de même qu’un « savoir-être » et jusqu’à une véritable charité pastorale par lesquels se forme en eux le prêtre de demain. Enfin, les séminaristes reconnaissent souvent l’importance du terrain pastoral pour leurs études : il leur fournit un lieu de questionnement très fertile pour leur réflexion ; il leur permet aussi d’expérimenter avec joie la synthèse théologique qui se forme en eux et qu’ils peuvent déjà redonner dans leurs diverses activités de transmission de la foi.
Prêtres à la manière des Apôtres
Le sacerdoce apostolique et ministériel est fondateur de la vie de l’Église depuis le début de son existence et de sa mission. À ce titre, il n’est pas à réinventer à chaque génération. Collaborateurs directs de l’ordre épiscopal, les prêtres sont, aujourd’hui comme hier, consacrés pour exercer la triple charge d’enseignement de la Parole de Dieu, de sanctification du Peuple chrétien et de gouvernement de la communauté ecclésiale. Cependant, leur vie et leur ministère se déroulent à chaque époque dans les circonstances concrètes de la vie de l’Église et du monde. En rappelant le caractère profondément missionnaire de l’Église, le Concile Vatican II a donné un accent très apostolique à la théologie et à la spiritualité du presbytérat. En même temps, il a rappelé que la vie des prêtres devait être marquée par un véritable radicalisme évangélique. Ce style de vie est ainsi structuré par l’obéissance apostolique, un célibat qui est le signe du don total de soi à la mission reçue et au peuple confié, une vraie simplicité de vie qui permet de rester libre et accessible dans la charge pastorale. Cette exigence de dynamisme évangélique ne fait pas du prêtre un être séparé et à l’écart : il doit se monter au contraire profondément humain et proche de ce que vivent les gens ; elle nous rappelle cependant qu’il n’est pas un simple desservant ou prestataire de services pastoraux : c’est au contraire toute son existence qui est engagée dans une unité profonde entre sa vie et son ministère. Nous savons d’ailleurs que les nouvelles conditions du ministère, et notamment la diminution du nombre des prêtres, réclament plus que jamais de former des pasteurs vivant d’une profonde vie intérieure et choisissant un style de vie simple et disponible à la suite du Christ : des prêtres à la manière des Apôtres.
Serviteurs de l’unité
Parce que l’Église est mystère d’unité, parce que le Christ lui-même a prié pour l’unité des siens et de tous ceux qui croiront en leur parole, le ministère du prêtre est radicalement au service de cette dimension essentielle du Royaume de Dieu. Certes, il se trouve d’abord quotidiennement chargé de la communion entre les fidèles dont il a la charge, et ce service réclame beaucoup d’ouverture, de vigilance et de charité pastorale. Pourtant, son ministère d’unité revêt aussi deux dimensions qui font partie de la mission même de l’Église : la recherche de l’unité entre chrétiens et le dialogue interreligieux. La sociologie et l’actualité religieuse de notre pays nous ont évidemment poussés à mettre en place des cours structurés d’introduction au judaïsme, à l’islam et au bouddhisme, ainsi qu’aux grands principes du dialogue interreligieux.
Cependant, la dimension œcuménique est bien présente dans notre formation, quoique de manière plus diffuse. Dans de nombreux enseignements (anthropologie théologique, ecclésiologie, sacramentaire, etc.) les accents divers ou les divergences réelles qui divisent nos traditions doctrinales sont bien sûr évoqués. Ces différences ont eu souvent un grand impact dans l’élaboration et l’expression du dogme catholique. Leur étude sérieuse et sereine doit aussi permettre aux séminaristes de grandir dans l’estime de ces autres traditions doctrinales pour elles-mêmes, en vue de contacts fraternels et éclairés avec nos frères séparés. Au séminaire Saint-Sulpice, un module du cours d’ecclésiologie est consacré à un enseignement systématique sur le sens et les principes du dialogue œcuménique, comme cela est officiellement prévu. Ce module est d’ailleurs complété par une série de rencontres « sur le terrain » avec des responsables d’autres Églises du monde orthodoxe ou protestant. À cela s’ajoutent des contacts ponctuels ou plus réguliers avec d’autres lieux de formation, notamment orthodoxes (visite à l’Institut Saint-Serge de Paris, échanges fraternels avec le séminaire russe-orthodoxe d’Épinay-sous-Sénart). Chaque année, les diacres du séminaire sont accueillis au monastère de Chevetogne pour une session sur l’actualité des relations entre Églises et sur l’Orient chrétien. Même s’ils sont peut-être moins passionnés que leurs aînés par l’urgence de l’unité, les séminaristes se montrent volontiers disponibles pour la rencontre et l’échange de dons spirituels avec les chrétiens d’autres confessions ; cela nous permet d’espérer que leur futur ministère aura une réelle dimension œcuménique.
Didier BERTHET