La reconnaissance du martyre des époux Jozef et Wiktoria Ulma et de leurs 7 enfants

Le 17 décembre dernier, le Saint-Père a donné son accord pour la béatification de la famille Ulma, des catholiques polonais massacrés par les nazis pour avoir abrité des juifs. Le père François-Marie Léthel, consulteur du Dicastère pour les Causes des Saints, revient sur l'importance et la nouveauté de cette béatification, qui rassemble des époux et leurs enfants, ainsi qu'un enfant à naître. 

François-Marie Léthel ocd, consulteur du Dicastère pour les Causes des Saints. Sur le site Vatican News

Le 17 décembre 2022, notre Pape François a approuvé le décret concernant le martyre des époux Jozef e Wiktoria Ulma et de leurs 7 enfants tués par les nazis le 24 mars 1944 à Markowa en Pologne. Six enfants avaient entre 8 et 2 ans et le septième était encore dans le sein maternel.

C’est là un événement nouveau et d’une très grande importance pour l’Église et pour le monde entier, dans la lumière de Noël qui est aussi celle des premiers martyrs: Saint Etienne et les Saints Innocents. Le décret sur le martyre suffit pour procéder à la béatification qui aura lieu en Pologne dans les prochains mois. Il convient de présenter brièvement les caractéristiques les plus originales de cette béatification.

Une famille juive et une famille chrétienne réunies dans un même martyre

On pourrait parler d’un « martyre judéo-chrétien », car il réunit une famille juive et une famille chrétienne. Dans la Pologne occupée par les nazis, les époux Ulma avaient accueilli une famille juive de 8 personnes (plus exactement 6 membres de la famille Szall et deux membres de la famille Goldman) en les cachant pendant un an et demi dans le grenier de leur ferme. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie. Nombreux sont en effet les exemples de personnes qui sont mortes pour le simple fait d’avoir hébergé des juifs, comme le prêtre italien don Giuseppe Beotti fusillé par les SS en 1944 et le carme français P. Jacques de Jésus mort à la suite de sa déportation en 1945, tous deux en voie de béatification.

Le matin du 24 mars 1944, à la suite d’une dénonciation, la police allemande a envahi la maison des Ulma, tuant successivement les juifs, les deux époux et leurs enfants. Tous les corps ont été ensuite jetés ensemble dans une même fosse. Wiktoria était alors enceinte et sur le point d’accoucher.

Cette réunion d’une famille juive et d’une famille chrétienne dans un même martyre a une très profonde signification et offre la plus belle lumière sur l’amitié judéo-chrétienne. La persécution du nazisme visait directement les juifs et indirectement les chrétiens, animée par une haine qui était en même temps haine de la foi (odium fidei) et haine de la charité (odium caritatis). C’est l’aspect du « martyre formel de la part du persécuteur ». La haine nazie envers les juifs était au plus profond la haine du Dieu de l’Alliance, de l’Ancienne comme de la Nouvelle dans le Sang du Christ.

Le choix des époux Ulma avait été illuminé par la parabole du Bon Samaritain. Ils en avaient souligné le texte dans leur Bible. Comme le Samaritain de l’Evangile, ils n’appartenaient pas au Peuple Juif, mais ils avaient mis héroïquement en pratique le commandement de l’amour du prochain jusqu’à donner leur vie pour ces frères persécutés, ce qui leur a mérité d’être reconnus en Israël comme « justes parmi les nations »

Les parents et les enfants réunis dans une même béatification

L’importance et la nouveauté de cette béatification consiste dans le fait qu’elle associe aux deux époux Jozef et Wiktoria tous leurs jeunes enfants qui ont été tués avec eux, y compris celui qui était encore dans le sein maternel.  Ils ressemblent aux saints Innocents de l’Evangile, ces enfants tout-petits massacrés par le roi Hérode qui voulait tuer Jésus. Ils n’étaient pas conscients, ils n’ont pas choisi de mourir pour Lui, et pourtant l’Eglise vénère comme de vrais martyrs, comme les premiers martyrs.

La béatification de la famille Ulma nous invite à dépasser une conception trop individualiste de la sainteté, en considérant aussi son aspect communautaire, à la lumière de la parole de Jésus: « Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Cette dimension communautaire de la sainteté apparaît spécialement dans les groupes de martyrs, comme par exemple les bienheureuses Carmélites de Compiègne et les bienheureux martyrs de l’Algérie.

Cette reconnaissance d’un martyre familial vient éclairer des Causes analogues, en particulier celui des Serviteurs de Dieu Cyprien et Daphrose Rugamba, tués le 7 avril 1994, premier jour du Génocide Rwandais, avec 6 de leurs enfants et une jeune nièce. La Cause de béatification les inclut tous. On trouverait sûrement d’autres exemples de martyre familial, en particulier dans le cadre du Génocide Arménien.

La béatification d’un enfant dans le sein maternel

La béatification du septième enfant encore présent dans le sein de sa mère est sûrement l’élément le plus original et le plus important. Cet enfant sans nom, dont on ignore même le sexe, n’a connu ni la naissance naturelle ni la naissance surnaturelle du baptême, mais seulement la naissance à la vie du Ciel. Pour l’Eglise, c’est une personne et une personne sainte; c’est une âme qui voit la face de Dieu et qui représente dans l’Eglise du Ciel la foule immense des enfants qui sont morts avant la naissance, par une mort naturelle ou par une mort provoquée (l’avortement).

En lien avec cette béatification, il convient de rappeler comment, après le Concile, l’Eglise a pu dépasser la classique doctrine des limbes qui excluait pour toujours de la vie du Ciel tous les petits enfants morts sans baptême. En 2007, le Pape Benoît XVI a approuvé le Document de la Commission Théologique Internationale qui, tout en réaffirmant l’importance du baptême, ouvrait pour ces tout-petits la ferme espérance du salut éternel.

Ici, la grande lumière évangélique nous est donnée dans le récit de la Visitation, lorsque Jésus, déjà présent et vivant dans le sein de Marie, sanctifie Jean-Baptiste dans le sein d’Elisabeth. Selon les mots de saint Irénée de Lyon, l’Incarnation du Fils de Dieu est véritablement « la récapitulation de la longue histoire des hommes », de tous et de chacun en particulier, depuis l’instant de sa conception. Avant la naissance et avant le baptême, Jésus s’unit déjà à tout être humain comme son Créateur et son Sauveur.

« Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5, 20). Telle est la grande vérité de notre Foi que les martyrs font resplendir dans leur union avec Jésus mort et ressuscité, en intercédant avec Lui pour le Salut de tous les hommes.