Accueillir le cadeau du Royaume de Dieu
Souvenons-nous de la toute première parole prononcée par Jésus : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4, 17) entendue dimanche dernier. La conversion consiste à changer de direction pour le suivre dans le Royaume de Dieu : une telle faveur obtenue nécessite de s’y adapter par la conversion. La forme de l’enseignement de Jésus en Mt 5-6-7 est une pédagogie du salut, focalisée sur la conversion, c’est-à-dire l’adhésion à l’Évangile.
Jésus prononce plusieurs fois l’adjectif « heureux » pour nous montrer l’importance du message qu’il nous adresse. Nous sommes « heureux », non pas d’avoir reçu un quelconque bien matériel, mais de pouvoir accueillir le Royaume de Dieu, longtemps attendu et qui, maintenant, en lui, Jésus, nous est accordé. C’est pour cette grâce offerte, ce don reçu gracieusement que Jésus nous félicite.
Non pas adhérer à une loi, à une éthique philosophique, mais marcher à sa suite
Les béatitudes tracent le chemin de l’homme nouveau, l’homme mis sur la route de la grâce, de la paix et de l’amour. C’est la « vie heureuse » selon l’Évangile. Voilà le vrai message chrétien (tout autre que celui de la « sobriété heureuse » de P. Rabhi). Mais Jésus en souligne ensuite les difficultés inhérentes : persécutions, insultes, calomnie, mais aussi joie et récompense qui en résulteront.
L’enseignement du Christ est commandé par l’urgence de la conversion. La conversion chrétienne ne concerne ni la loi comme dans le judaïsme, ni l’éthique comme dans la philosophie grecque ; elle revêt un caractère au-delà de la morale, le dépassement de la simple morale, très perceptible dans Matthieu : « Vous avez appris qu’il a été dit… Eh bien, moi, je vous dis… ». La perspective est à long terme ; il s’agit d’entrer dans le Royaume de Dieu (Mt 7, 21), en bâtissant dès maintenant notre maison sur le roc (Mt 7, 24).
Le texte des Béatitudes dans Matthieu
Lorsque la liturgie nous donne un passage de l’évangile à proclamer, il faut, pour bien l’interpréter, ne jamais omettre de regarder ce qu’il y a avant et après. Avant, nous l’avons vu, c’est l’affirmation que le Royaume est proche, exigeant une réorientation. Après, c’est l’affirmation que nous sommes sel et lumière.
Le sel et la lumière du bonheur (Mt 7, 13)
La première et la dernière béatitudes sont au présent ; y est rattachée une promesse absolue identique, qui manifeste un état de maturité : « car il est à eux le Royaume des Cieux ». Il s’agit d’abord des pauvres en esprit, et ensuite des persécutés à cause de la Justice. Ces deux états absolus qualifient la sainteté véritable : la pauvreté en esprit est comme le sel de la sainteté, la persécution est une conséquence de la lumière des fruits de sainteté.
Les récompenses annoncées dans les béatitudes suivantes sont des promesses au futur, et manifestent un cheminement vers la maturation.
Le sel de la sainteté (qui est pauvreté en esprit) a trois saveurs : l’humilité, le renoncement ou deuil des biens du monde (1), la faim et la soif de la justice (le désir de la sainteté). C’est le SEL, qui diffuse de l’intérieur, au niveau du CŒUR. Ce sont les RACINES cachées de la sainteté des disciples .
La lumière de la sainteté (qui attire la persécution) brille de trois éclats de justice : la miséricorde envers les pauvres, la pureté personnelle et conjugale, la construction de la paix… C’est la LUMIÈRE, qui brille extérieurement, et se traduit par des ACTES. Ce sont les FRUITS manifestés de la sainteté des disciples.
Vous pouvez combiner cette découverte de plusieurs façons.
- De la maturation à la maturité; la croissance des trois béatitudes relatives nous mènent peu à peu à la béatitude absolue de la possession du Royaume.
- Du sel à la lumière, des racines aux fruits, du coeur aux actes (attirant persécutions parce qu’ils sont visibles); cultiver la pauvreté de coeur est nécessaire à l’éclosion des fruits qui provoquent la persécution. C’est l’hypothèse qui a ma préférence lorsque je considère que les béatitudes 3+3 ont comme la « table des matières » de l’ensemble des chapitres 5-6-7, comme je le montre dans la Petite École Biblique n° 7.
- Ou même séparer les deux en disant que certains sont déjà dans le Royaume parce qu’ils sont parvenus à la pauvreté de coeur grâce à un profond combat spirituel, et que d’autres sont dans le Royaume parce leur engagement radical pour la miséricorde, la pureté, la paix leur a valu de grandes persécutions…
L’habillage des deux lectures
La première lecture tirée du livre de Sophonie nous demande de « chercher Justice et Humilité« . On y retrouve donc la complémentarité racines-fruits, sel-lumière. Comme quoi l’Écriture Sainte a une belle unité. Et il nous est dit que Dieu a un penchant pour ce qui est « pauvre et petit » (ce qui est en train de nous arriver dans l’étape actuelle du cheminement de la vie de l’Église).
Le psaume décline cette petitesse à travers de mots qualifiant des états : opprimés, affamés, enchaînés, aveugles, accablés, justes, étranger, orphelin…
La seconde lecture, tirée de la 1° lettre aux Corinthiens, coïncide pour une fois, et manifeste à nouveau de façon tranchée le choix de Dieu pour ce qui est fou, faible, modeste, méprisé, inexistant… « voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ».
Prenons le temps, cette semaine, de vérifier comment nous cultivons laborieusement (car elle a un coût) la « vie heureuse » selon l’Évangile. Au niveau des racines (le sel), la pauvreté de cœur, l’intériorité. Au niveau des fruits de lumière, vécus dans le combat spirituel et la persécution (deux faces d’une même réalité).
(1) Dans le texte araméen du N.T., le mot employé (« laouilé ») fait penser à ceux qui ont quitté le monde, parce que le monde n’est pas la source de leur joie. Un moine, c’est un « laouila », c’est quelqu’un qui ne trouve aucune chose en ce monde pour réjouir son cœur. Cette nuance est importante, parce que l’araméen est la langue de Jésus. On pourrait traduire : « heureux ceux qui n’ont pas leur consolation en ce monde, car ils seront consolés ». Cette seconde racine spirituelle de la sainteté, c’est la liberté intérieure que procure le renoncement à la recherche de l’avoir (pauvreté), et à la convoitise qui en résulte.